Norge (1898-1990)

L’Âme du boulanger

Mon âme et moi, nous nous voyons très peu :
Elle a sa vie et ne m’en parle guère.
Je connais mal ses loisirs oublieux,
Moi, je n’ai pas le temps; j’ai mes affaires

Un boulanger, ça ne dort pas beaucoup ;
Toujours le four qui ronfle et la levure
En mal d’amour dans la pâte au long cou.
Pâte et pétrin, voilà mon aventure.

Ma pâte est chair que j’engrosse des mains,
Ma forte fille au ventre chaud et grave,
Ma femme lisse et ma pliante esclave,
Tous mes élans aboutis jusqu’au pain.

L’autre divague et court la prétentaine !
Quand son museau se blottit sous mes bras,
Je sens un souffle étreint d’histoires vaines
Au lendemain de quel fol opéra !

Comment savoir d’où lui viennent ces robes
Où parfois brille une grenaille en feu
Et qui ressemble aux flammèches des globes
Qu’on voit cligner dans l’épaisseur des cieux.

Moi, ruminer ses conseils saugrenus,
Moi l’écouter, faisant la bête ou l’ange ?
Elle exagère ! Et l’instant est venu
Que je me plonge à fond dans ma boulange.

Ah ! pauvre jeune biche, âme farouche,
Dors bien, mais dors. Et n’ouvre pas les dents.
Promène un peu tes cheveux sur ma bouche,
Puis laisse-moi. La farine m’attend.


Mars

Tu giboules, giboulée
Et la terre est roucoulée
De cent mille colombées.

Et la terre est en amour.

Tu giboules, giboulée
Et la terre est fleuron née
De cent mille cerisaies.

Et la terre est en amour.

Tu giboules. giboulée
Et la terre est baisoyée
De cent mille rayonnées

Et la terre est festoyée

De cent mille bourgeonnées

Et la terre est chatouillée
De cent mille germinées.

Tu giboules. giboulée
Et la terre est jouvencée
De cent mille chansonnées.

Tambour, coulour et bonjour.
Et la terre est en amour !


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