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À une jeune fille
Pourquoi, tout à coup, quand tu joues,
Ces airs émus et soucieux ?
Qui te met cette fièvre aux yeux,
Ce rose marbré sur les joues ?
Ta vie était, jusqu’au moment
Où ces vagues langueurs t’ont prise,
Un ruisseau que frôlait la brise,
Un matinal gazouillement.
Berceuse
Au comte de Trévelec.
Endormons-nous, petit chat noir.
Voici que j’ai mis l’éteignoir
Sur la chandelle.
Tu vas penser à des oiseaux
Sous bois, à de félins museaux…
Moi rêver d’Elle.
Nous n’avons pas pris de café,
Et, dans notre lit bien chauffé
(Qui veille pleure.)
Nous dormirons, pattes dans bras.
Pendant que tu ronronneras,
J’oublierai l’heure.
Sous tes yeux fins, appesantis,
Reluiront les oaristys
De la gouttière.
Comme chaque nuit, je croirai
La voir, qui froide a déchiré
Ma vie entière.
Et ton cauchemar sur les toits
Te dira l’horreur d’être trois
Dans une idylle.
Je subirai les yeux railleurs
De son faux cousin, et ses pleurs
De crocodile.
Si tu t’éveilles en sursaut
Griffé, mordu, tombant du haut
Du toit, moi-même
Je mourrai sous le coup félon
D’une épée au bout du bras long
Du fat qu’elle aime.
Puis, hors du lit, au matin gris,
Nous chercherons, toi, des souris
Moi, des liquides
Qui nous fassent oublier tout,
Car, au fond, l’homme et le matou
Sont bien stupides.
École buissonnière
Ma pensée est une églantine
Eclose trop tôt en avril,
Moqueuse au moucheron subtil
Ma pensée est une églantine ;
Si parfois tremble son pistil
Sa corolle s’ouvre mutine.
Ma pensée est une églantine
Eclose trop tôt en avril.
Ma pensée est comme un chardon
Piquant sous les fleurs violettes,
Un peu rude au doux abandon
Ma pensée est comme un chardon ;
Tu viens le visiter, bourdon ?
Ma fleur plaît à beaucoup de bêtes.
Ma pensée est comme un chardon
Piquant sous les fleurs violettes.
Ma pensée est une insensée
Qui s’égare dans les roseaux
Aux chants des eaux et des oiseaux,
Ma pensée est une insensée.
Les roseaux font de verts réseaux,
Lotus sans tige sur les eaux
Ma pensée est une insensée
Qui s’égare dans les roseaux.
Ma pensée est l’âcre poison
Qu’on boit à la dernière fête
Couleur, parfum et trahison,
Ma pensée est l’âcre poison,
Fleur frêle, pourprée et coquette
Qu’on trouve à l’arrière-saison
Ma pensée est l’âcre poison
Qu’on boit à la dernière fête.
Ma pensée est un perce-neige
Qui pousse et rit malgré le froid
Sans souci d’heure ni d’endroit
Ma pensée est un perce-neige.
Si son terrain est bien étroit
La feuille morte le protège,
Ma pensée est un perce-neige
Qui pousse et rit malgré le froid.
L’Orgue
À André Gill
Sous un roi d’Allemagne, ancien,
Est mort Gottlieb le musicien.
On l’a cloué sous les planches.
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
Il est mort pour avoir aimé
La petite Rose-de-Mai.
Les filles ne sont pas franches.
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
Elle s’est mariée, un jour,
Avec un autre, sans amour.
« Repassez les robes blanches ! »
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
Quand à l’église ils sont venus,
Gottlieb à l’orgue n’était plus,
Comme les autres dimanches.
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
Car depuis lors, à minuit noir,
Dans la forêt on peut le voir
À l’époque des pervenches.
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
Son orgue a les pins pour tuyaux.
Il fait peur aux petits oiseaux.
Morts d’amour ont leurs revanches.
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
Un immense désespoir
Un immense désespoir
Noir
M’atteint
Désormais, je ne pourrais
M’égayer au rose et frais
Matin.
Et je tombe dans un trou
Fou,
Pourquoi
Tout ce que j’ai fait d’efforts
Dans l’Idéal m’a mis hors
La Loi ?
Satan, lorsque tu tombas
Bas,
Au moins
Tu payais tes voeux cruels,
Ton crime avait d’immortels
Témoins.
Moi, je n’ai jamais troublé,
Blé,
L’espoir
Que tu donnes aux semeurs
Cependant, puni, je meurs
Ce soir.
J’ai fait à quelque animal
Mal
Avec
Une badine en chemin,
Il se vengera demain
Du bec.
Il me crèvera les yeux
Mieux
Que vous
Avec l’épingle à chapeau
Femmes, au contact de peau
Si doux.
Testament
Si mon âme claire s’éteint
Comme une lampe sans pétrole,
Si mon esprit, en haut, déteint
Comme une guenille folle,
Si je moisis, diamantin,
Entier, sans tache, sans vérole,
Si le bégaiement bête atteint
Ma persuasive parole,
Et si je meurs, soûl, dans un coin
C’est que ma patrie est bien loin
Loin de la France et de la terre.
Ne craignez rien, je ne maudis
Personne. Car un paradis
Matinal, s’ouvre et me fait taire.
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