Clément Marot (1496-1544) 

Plus ne suis ce que j’ai éte

Plus ne suis ce que j’ai été,
Et plus ne saurais jamais l’être :
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.
 
Amour, tu as été mon maître,
Je t’ai servi sur tous les Dieux :
Ah ! si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !

Dedans Paris, ville jolie 

Dedans Paris, ville jolie
Un jour, passant mélancolie,
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie demoiselle
Qui soit d’ici en Italie.

D’honnêteté elle fut saisie,
Et crois, selon ma fantaisie,
Qu’il n’en est guère de plus belle
Dedans Paris.

Je ne vous la nommerai mie,
Sinon que c’est ma grande amie,
Car l’alliance se fit telle,
Par un doux baiser que j’eus d’elle
Sans penser aucune infamie
Dedans Paris.

A son ami lion

Je ne t’écris de l’amour vaine et folle :
Tu vois assez s’elle sert ou affole ;
Je ne t’écris ni d’armes, ni de guerre :
Tu vois qui peut bien ou mal y acquerre ;
Je ne t’écris de fortune puissante :
Tu vois assez s’elle est ferme ou glissante ;
Je ne t’écris d’abus trop abusant :
Tu en sais prou et si n’en vas usant ;
Je ne t’écris de Dieu ni sa puissance :
C’est à lui seul t’en donner connaissance ;
Je ne t’écris des dames de Paris :
Tu en sais plus que leurs propres maris ;
Je ne t’écris qui est rude ou affable,
Mais je te veux dire une belle fable,
C’est à savoir du lion et du rat.

Cettui lion, plus fort qu’un vieux verrat,
Vit une fois que le rat ne savait
Sortir d’un lieu, pour autant qu’il avait
Mangé le lard et la chair toute crue ;
Mais ce lion (qui jamais ne fut grue)
Trouva moyen et manière et matière,
D’ongles et dents, de rompre la ratière,
Dont maître rat échappe vitement,
Puis met à terre un genou gentiment,
Et en ôtant son bonnet de la tête,
A mercié mille fois la grand’bête,
Jurant le Dieu des souris et des rats
Qu’il lui rendrait. Maintenant tu verras
Le bon du compte. Il advint d’aventure
Que le lion, pour chercher sa pâture,
Saillit dehors sa caverne et son siège,
Dont (par malheur) se trouva pris au piège,
Et fut lié contre un ferme poteau.

Adonc le rat, sans serpe ni couteau,
Y arriva joyeux et esbaudi,
Et du lion (pour vrai) ne s’est gaudi,
Mais dépita chats, chattes, et chatons
Et prisa fort rats, rates et ratons,
Dont il avait trouvé temps favorable
Pour secourir le lion secourable,
Auquel a dit : « Tais-toi, lion lié,
Par moi seras maintenant délié :
Tu le vaux bien, car le cœur joli as ;
Bien y parut quand tu me délias.
Secouru m’as fort lionneusement ;
Or secouru seras rateusement. »

Lors le lion ses deux grands yeux vertit,
Et vers le rat les tourna un petit
En lui disant : « Ô pauvre verminière
Tu n’as sur toi instrument ni manière,
Tu n’as couteau, serpe ni serpillon,
Qui sût couper corde ni cordillon,
Pour me jeter de cette étroite voie.
Va te cacher, que le chat ne te voie.
– Sire lion, dit le fils de souris,
De ton propos, certes, je me souris :
J’ai des couteaux assez, ne te soucie,
De bel os blanc, plus tranchants qu’une scie ;
Leur gaine, c’est ma gencive et ma bouche ;
Bien couperont la corde qui te touche.
De si très près, car j’y mettrai bon ordre. »

Lors sire rat va commencer à mordre
Ce gros lien : vrai est qu’il y songea
Assez longtemps ; mais il le vous rongea
Souvent, et tant, qu’à la parfin tout rompt,
Et le lion de s’en aller fut prompt,
Disant en soi : « Nul plaisir, en effet,
Ne se perd point quelque part où soit fait. »
Voilà le conte en termes rimassés
Il est bien long, mais il est vieil assez,
Témoin Ésope, et plus d’un million.

Or viens me voir pour faire le lion,
Et je mettrai peine, sens et étude
D’être le rat, exempt d’ingratitude,
J’entends, si Dieu te donne autant d’affaire
Qu’au grand lion, ce qu’il ne veuille faire.

Au Roi pour le délivrer de prison

Roi des Français, plein de toutes bontés,
Quinze jours a, je les ai bien comptés,
Et dès demain seront justement seize,
Que je fus fait confrère au diocèse
De Saint-Marri, en l’église Saint-Pris.
Si vous dirai comment je fus surpris,
Et me déplaît qu’il faut que je le dis.

Trois grands pendards vinrent à l’étourdie
En ce palais me dire en désarroi :
« Nous vous faisons prisonnier, par le Roi. »
Incontinent, qui fut bien étonné ?
Ce fut Marot, plus que s’il eût tonné.
Puis m’ont montré un parchemin écrit,
Où n’y avait seul mot de Jésus-Christ :
Il ne parlait tout que de plaiderie,
De conseillers et d’emprisonnerie.
 « Vous souvient-il, ce me dirent-ils lors,
Que vous étiez l’autre jour là-dehors,
Qu’on recourut un certain prisonnier
Entre nos mains ? »  Et moi de le nier !
Car, soyez sûr, si j’eusse dit oui,
Que le plus sourd d’entre eux m’eût bien ouï
Et d’autre part, j’eusse publiquement
Eté menteur : car, pourquoi et comment
Eussé-je pu un autre recourir,
Quand je n’ai su moi-même secourir ?

Pour faire court, je ne sus tant prêcher
Que ces paillards me voulussent lâcher.
Sur mes deux bras ils ont la main posée,
Et m’ont mené ainsi qu’une épousée,
Non pas ainsi, mais plus roide un petit.
Et toutefois j’ai plus grand appétit
De pardonner à leur folle fureur
Qu’à celle-là de mon beau procureur :
Que male mort les deux jambes lui casse !
Il a bien pris de moi une bécasse,
Une perdrix, et un levraut aussi,
Et toutefois je suis encore ici !
Encor je crois, si j’en envoyais plus,
Qu’il le prendrait; car ils ont tant de glus
Dedans leurs mains, ces faiseurs de pipée,
Que toute chose où touchent est grippée.

Mais pour venir au point de ma sortie,
Tant doucement j’ai chanté ma partie
Que nous avons bien accordé ensemble,
Si que n’ai plus affaire, ce me semble,
Sinon à vous. La partie est bien forte :
Mais le droit point où je me réconforte,
Vous n’entendez procès non plus que moi.
Ne plaidons point, ce n’est que tout émoi.
Je vous en crois, si je vous ai méfait.
Encor posé le cas que l’eusse fait,
Au pis aller n’y cherrait qu’une amende :
Prenez le cas que je vous la demande;
Je prends le cas que vous me la donnez,
Et si plaideurs furent onc étonnés
Mieux que ceux-ci, je veux qu’on me délivre,
Et que soudain en ma place on les livre.

Si vous suppli, Sire, mander par lettre
Qu’en liberté vos gens me veuillent mettre;
Et si j’en sors, j’espère qu’à grand peine
M’y reverront, si on ne m’y ramène.

Très humblement requérant votre grâce
De pardonner à ma trop grande audace
D’avoir empris ce sot écrit vous faire;
Et m’excusez, si pour le mien affaire
Je ne suis point vers vous allé parler :
Je n’ai pas eu le loisir d’y aller.


De s’amie bien belle

Amour, me voyant sans tristesse
Et de le servir dégoûté,
M’a dit que fisse une maîtresse,
Et qu’il serait de mon côté.
Après l’avoir bien écouté,
J’en ai fait une à ma plaisance
Et ne me suis point mécompté :
C’est bien la plus belle de France.

Elle a un œil riant, qui blesse
Mon cœur tout plein de loyauté,
Et parmi sa haute noblesse
Mêle une douce privauté.
Grand mal serait si cruauté
Faisait en elle demeurance ;
Car, quant à parler de beauté,
C’est bien la plus belle de France.

De fuir son amour qui m’oppresse
Je n’ai pouvoir ni volonté,
Arrêté suis en cette presse
Comme l’arbre en terre planté.
S’ébahit-on si j’ai plenté
De peine, tourment et souffrance ?
Pour moins on est bien tourmenté
C’est bien la plus belle de France.

ENVOI

Prince d’amours, par ta bonté
Si d’elle j’avais jouissance,
Onc homme ne fut mieux monté
C’est bien la plus belle de France.


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