Francis Viélé-Griffin (1864-1937)

Octobre

La brise, déjà brusque et de voix rude,
A poussé, devant nous, le vantail d’or
Du vieil Automne auguste aux yeux de solitude ;
L’herbe est joyeuse encore
Et, dès le seuil,
Le regain vêt le pré de sa verdure neuve ;
Regarde : la vallée s’élargit comme un fleuve ;
L’arrière-été, frileux sous son manteau de feuilles,
Se lève, au loin, souriant la bienvenue,
Et chante, comme au temps des cueilles
Et les oiseaux,
Alors qu’il cherchait l’ombre et riait nu
D’entre les grands lys d’eau et les roseaux…
L’été n’eut pas de gloire comme celle-ci :
Le verdoyant orgueil de son laurier
N’a pas valu les diadèmes d’or verdi
Que te voici cueillant au peuplier léger ;
Et si des feuilles saignent sous nos pas
Comme une lie vive de vendange,
L’âme subtile et fauve de l’effeuillaison
Monte sous-bois, en griserie étrange
Entre les ormes tors.
Quand nous passons, riant tous deux, couronnés d’or
Et tout autour de nous est beau comme la mort.

Seules les feuilles bruissent,
Au sillage de ta jupe hâtive ;
Arrête ! écoute et retiens ton haleine :
Il n’est plus un murmure qui vive,
Le silence des rayons oblique et glisse
Furtif entre les chênes…
La brise meurt ;
L’air est si calme qu’on entend son cœur
Qui bat la vieille peine…


La Mort est belle comme ce soir, je crois
— Silencieuse et pâle, sans rêve et sans émoi —
Nulle douleur voilée ne guette entre les ifs
Ceux dont la voix s’éteint comme un chant qui s’éloigne
Et le geste crédule où les lèvres se joignent
Scelle d’un sceau d’enfant la loi grave du sort ;
Saluons d’un baiser l’Automne aux yeux pensifs ;
La Vie est un sourire aux lèvres de la Mort…

Si de la gaîté claire de tes guirlandes
J’ai fait comme un refrain au rêve de la vie,
La sente du verger ou le sentier des landes
Ondule au rythme égal de ma mélancolie ;
On pleurerait, peut-être, à rêver l’ombre grande
Et le cri du tombeau où nul ne vient à l’aide ;
Mais l’ombre grêle est douce sous la charmille tiède,
Le râteau à tes pieds mord des feuilles crispées ;
L’été hésite, avec ses heures attroupées,
Au seuil de l’occident et sourit à la nuit…

…Que ferons-nous demain de ces roses coupées ?
J’ai hâte du feu clair et de ta voix qui lit…


Étire-toi…

Étire-toi, la Vie est lasse à ton côté
— Qu’elle dorme de l’aube au soir,
Belle, lasse
Qu’elle dorme —
Toi, lève-toi : le rêve appelle et passe
Dans l’ombre énorme?;
Et, si tu tardes à croire,
Je ne sais quel guide il te pourra rester
— Le rêve appelle et passe,
Vers la divinité.

Laisse, ne prends qu’un viatique,
Et, de tout cet amour qui double chaque pas,
Ne prends que le désir, et va?;
Dépêche-toi :
Le rêve appelle et passe,
Passe — et n’appelle qu’une fois.

Marche dans l’ombre, cours?!
Est-il un abîme que tu craignes??
Ô hâte-toi !… il est trop tard :
La belle Vie en son sommeil d’amour
Étend ses doux bras qui t’étreignent
— Trop tard?; le rêve appelle et passe,
Appelle en vain,
Passe et dédaigne…

Alors,
Étreins la Vie, encore, de baisers lasse,
Engendre d’elle un art?;
Si tu ne fus vers Dieu, à l’infini,
Selon le rêve muet et qui prie,
Retourne-toi, étreins la belle Vie?;
Immortalise en elle ta seule heure :
De ta douleur de mort et de sa joie
Procréant quelque Verbe harmonieux
Qui te survive et rie et pleure
Quand le printemps verdoie
Au bois joyeux
Du jeune leurre d’amour qu’il faut redire?;

Et chante dans la clarté de son sourire…

Ne croyez pas…

Ne croyez pas,
Pour ce qu’avril rit rose
Dans les vergers
Ou pâlit de l’excès voluptueux des fleurs
Que toutes choses
Sont selon nos gais cœurs,
Et qu’il n’est plus une soif à étancher.

Ne croyez pas,
Glorieux des gloires automnales,
Ivres des vins jaillis que boit l’épi qu’on foule,
Qu’il n’est plus une faim que rien ne soûle ;
Car décembre est en marche dans la nuit pâle.

Oui, mais ne croyez pas,
– Parce qu’autour de vous toute âme est vile,
Et que la foule adore son vice servile ;
Parce que, sur la plaine, où le Mystère halette !
Courbant l’épi, froissant la feuille, d’ailes inquiètes
Grandit la ville ; –

Ne croyez pas
– Bien que tout cœur soit bas –
Que le vieil Angélus sonne à jamais le glas ;
Croyez, sachez, criez à pleine voix
Que l’Amour est vainqueur et que l’Espoir est roi !

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