Jean Pérol (1932-)

Ceux qui dans leur chair s’inscrivent

Ceux qui dans leur chair s’inscrivent
Ceux qui prêtent l’oreille à la rumeur du soir
contemplent le chuchot des bourgeons aveuglés
et l’immobile orgueil du soleil venu choir
loin des voix et des murs
loin des vois et puis meurs
loin des croix et des yeux sur la mer lisse et noire
et se disent
n’est-ce pas tout l’amour par la mort étranglé
n’est-ce pas la colère par la ville matée
n’est-ce pas tout l’oubli que la nuit vient sangler
n’est-ce pas chaque main qui se perd et dérive
j’entends le non-savoir j’entends le peu d’espoir
ronger précis les hommes fatigués
et sous leurs yeux fermés
les rêves indomptables qui dans leur chair s’inscrivent.


Pour une morale

La rose et la rosée pour la beauté du diable
la flamme déroulée au fond de l’herbe drue
et cette majesté de belle femme nue
marchant contre mon corps à l’aube sur le sable

la famille laissée à sa mauvaise table
pour la chair partagée sous un ciel inconnu
pour le plaisir très pur pour la taille tenue
pour le souffle accouplé et la joie habitable

la très nue étirée au soleil inlassable
la rivière emmêlée aux cheveux de nos corps
le secret dévoilé aux étranges accords
chaque nuit bien tissée par un fil incassable

et l’aube et la rosée offertes le matin
lorsque l’homme dépose la rose entre les seins
de la femme qui dort sur le ciel et le sable
ont rendu sous mes mains tous vos barreaux friables.


Histoire contemporaine

Mère
me voici devant la pierre
où ton nom n’est même pas

mère il pleut il pleut encore
sur tes grands yeux à la Garbo
sous un ciel que tu n’aimais pas
loin des soleils de ton midi
dans le désert de ton tombeau

mère
je viens de loin j’arrive tard
écoute-moi si tu le peux
maintenant tout m’est égal
je sais rester assis sur une chaise
comme un vieil indien
comme un vieux paysan qui n’en peut plus
comme ton père sur ses pierres
fixait un Rhône qu’on ne voit plus.



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