Les Tragiques par Agrippa d’Aubigné (1551-1630) – Livre VI



VENGEANCES

Ouvre tes grands trésors, ouvre ton sanctuaire,
Âme de tout, Soleil qui aux astres éclaire,
Ouvre ton temple saint à moi, Seigneur, qui veux
Ton sacré, ton secret enfumer de mes vœux.
Si je n’ai or ne myrrhe à faire mon offrande
Je t’apporte du lait : ta douceur est si grande
Que de même œil et cœur tu vois et tu reçois
Des bergers le doux lait et la myrrhe des Rois.
Sur l’autel des chétifs ton feu pourra descendre
Pour y mettre le bois et l’holocauste en cendre,
Tournant le dos aux grands, sans oreilles, sans yeux
A leurs cris éclatants, à leurs dons précieux.

Or soient du ciel riant les beautés découvertes,
Et à l’humble craintif ses grand’s portes ouvertes.
Comme tu as promis, donne en ces derniers ans
Songes à nos vieillards, visions aux enfants.
Fais paraître aux petits les choses inconnues,
Du vent de ton esprit trousse les noires nues,
Ravis-nous de la terre au beau pourpris des cieux,
Commençant de donner autre vie, autres yeux
A l’aveugle mortel : car sa masse mortelle
Ne pourrait vivre et voir une lumière telle.

Il faut être vieillard, caduc, humilié,
A demi mort au monde, à lui mortifié,
Que l’âme recommence à retrouver sa vie
Sentant par tous endroits sa maison démolie,
Que ce corps ruiné de brèches en tous lieux
Laisse voler l’esprit dans le chemin des cieux,
Quitter jeunesse et jeux, le monde et ses mensonges,
Le vent, la vanité, pour songer ces beaux songes.
Or je suis un enfant sans âge et sans raison,
Ou ma raison se sent de sa neuve prison ;
Le mal bourgeonne en moi, en moi fleurit le vice,
Un printemps de péchés, épineux de malice :
Change-moi, refais-moi, exerce ta pitié,
Rends-moi mort en ce monde, ôte la mauvaistié
Qui possède à son gré ma jeunesse première ;
Lors je songerai songe et verrai ta lumière.

Puis il faut être enfant pour voir des visions,
Naître, et renaître après, net de pollutions,
Ne savoir qu’un savoir, se savoir sans science
Pour consacrer à Dieu ses mains en innocence ;
Il faut à ses yeux clairs être net, pur et blanc,
N’avoir tache d’orgueil, de rapine et de sang :
Car nul n’héritera les hauts cieux désirables
Que ceux-là qui seront à ces petits semblables,
Sans fiel et sans venin ; donc qui sera-ce, ô Dieu,
Qui en des lieux si laids tiendra un si beau lieu ?
Les enfants de ce siècle ont Satan pour nourrice,
On berce en leurs berceaux les enfants et le vice,
Nos mères ont du vice avec nous accouché,
Et en nous concevant ont conçu le péché.

Que si d’entre les morts, Père, tu as envie
De m’éveiller, il faut mettre à bas l’autre vie
Par la mort d’un exil, fais-moi revivre à toi,
Séparé des méchants, sépare-moi de moi ;
D’un saint enthousiasme appelle aux cieux mon âme,
Mets au lieu de ma langue une langue de flamme,
Que je ne sois qu’organe à la céleste voix
Qui l’oreille et le cœur anime des François ;
Qu’il n’y ait sourd rocher qui entre les deux pôles
N’entende clairement magnifiques paroles
Du nom de Dieu. J’écris à ce nom triomphant
Les songes d’un vieillard, les fureurs d’un enfant :
L’esprit de vérité dépouille de mensonges
Ces fermes visions, ces véritables songes ;
Que le haut ciel s’accorde en douces unissons
A la sainte fureur de mes vives chansons.

Quand Dieu frappe l’oreille, et l’oreille n’est prête
D’aller toucher au cœur, Dieu nous frappe la tête :
Qui ne frémit au son des tonnerres grondants
Frémira quelque jour d’un grincement de dents.

Ici le vain lecteur déjà en l’air s’égare,
L’esprit mal préparé fantastic se prépare
A voir quelques discours de monstres inventés,
Un spectre imaginé aux diverses clartés
Qu’un nuage conçoit quand un rayon le touche
Du soleil cramoisi qui bizarre se couche ;
Ou bien il cuide ici rassasier son cœur
D’une vaine cabale, et ces esprits d’erreur
Ici ne saouleront l’ignorance maligne.
Ainsi dit le Sauveur : Vous n’aurez point de signe,
Vous n’aurez de nouveau (friands de nouveauté)
Que des abîmes creux Jonas ressuscité.
Vous y serez trompés : la fraude profitable
Au lieu du désiré donne le désirable.
Et comme il renvoya les scribes, amassés
Pour voir des visions, aux spectacles passés,
Ainsi les visions qui seront ici peintes
Seront exemples vrais de nos histoires saintes :
Le rôle des tyrans de l’Ancien Testament,
Leur cruauté sans fin, leur infini tourment ;
Nous verrons déchirer d’une couleur plus vive
Ceux qui ont déchiré l’Église primitive ;
Nous donnerons à Dieu la gloire de nos ans
Où il n’a pas encore épargné les tyrans.

Puis une pause après, clairons de sa venue,
Nous les ferons ouïr dans l’éclair de la nue.

Encor faut-il Seigneur, ô Seigneur qui donnas
Un courage sans peur à la peur de Jonas,
Que le doigt qui émut cet endormi prophète
Réveille en moi le bien qu’à demi je souhaite,
Le zèle qui me fait du fer de vérité
Fâcher avec Satan le fils de vanité.
J’ai fui tant de fois, j’ai dérobé ma vie
Tant de fois, j’ai suivi la mort que j’ai fuie,
J’ai fait un trou en terre et caché le talent,
J’ai senti l’aiguillon, le remords violent
De mon âme blessée, et ouï la sentence
Que dans moi contre moi chantait ma conscience.
Mon cœur voulait veiller, je l’avais endormi ;
Mon esprit était bien de ce siècle ennemi,
Mais, au lieu d’aller faire au combat son office,
Satan le détournait au grand chemin du vice.
Je m’enfuyais de Dieu, mais il enfla la mer,
M’abîma plusieurs fois sans du tout m’abîmer.
J’ai vu des creux enfers la caverne profonde ;
J’ai été balancé des orages du monde ;
Aux tourbillons venteux des guerres et des cours,
Insolent, j’ai usé ma jeunesse et mes jours ;
Je me suis plu au fer, David m’est un exemple
Que qui verse le sang ne bâtit pas le temple ;
J’ai adoré les Rois, servi la vanité,
Étouffé dans mon sein le feu de vérité ;
J’ai été par les miens précipité dans l’onde,
Le danger m’a sauvé en sa panse profonde,
Un monstre de labeurs à ce coup m’a craché
Aux rives de la mer tout souillé de péché ;
J’ai fait des cabinets sous espérances vertes,
Qui ont été bientôt mortes et découvertes
Quand le ver de l’envie a percé de douleurs
Le quicageon séché pour m’envoyer ailleurs :
Toujours tels Séméis font aux Davids la guerre
Et sortent des vils creux d’une trop grasse terre
Pour, d’un air tout pourri, d’un gosier enragé
Infecter le plus pur, sauter sur l’affligé.
Le doigt de Dieu me lève et l’âme encore vive
M’anime à guerroyer la puante Ninive,
Ninive qui n’aura sac ne gémissement
Pour changer le grand Dieu qui n’a de changement.

Voici l’Église encore en son enfance tendre :
Satan ne faillit pas d’essayer à surprendre
Ce berceau consacré, il livra mille assauts
Et fit dès sa jeunesse à l’enfant mille maux.
Les Anges la gardaient en ces peines étranges ;
Elle ne fut jamais sans que le camp des Anges
La conduisit partout, soit lorsque dessus l’eau
L’arche d’élection lui servit de berceau,
Soit lorsqu’elle épousa la race de Dieu sainte,
Ou soit lorsque de lui elle fuyait enceinte
Aux lieux inhabités, aux effrayants déserts,
Chassée, et non vaincue, en dépit des enfers ;
La mer la circuit, et son époux lui donne
La lune sous les pieds, le soleil pour couronne.

O bienheureux Abel, de qui premier au cœur
Cette vierge éprouva sa première douleur !
De Caïn fugitif et d’Abel je veux dire
Que le premier bourreau et le premier martyre,
Le premier sang versé on peut voir en eux deux :
L’état des agneaux doux, des loups outrecuideux.
En eux deux on peut voir (beau portrait de l’Eglise)
Comme l’ire et le feu des ennemis s’attise
De bien fort peu de bois et s’augmente beaucoup.
Satan fit ce que fait en ce siècle le loup
Qui querelle l’agneau buvant à la rivière,
Lui au haut vers la source et l’agneau plus arrière.
L’Antéchrist et ses loups reprochent que leur eau
Se trouble au contreflot par l’innocent agneau ;
La source des grandeurs et des biens de la terre
Découle de leurs chefs, et la paix et la guerre
Balancent à leur gré dans leurs impures mains :
Et toutefois, alors que les loups inhumains
Veulent couvrir de sang le beau sein de la terre,
Les prétextes communs de leur injuste guerre
Sont nos autels sans fard, sans feinte, sans couleurs.
Que Dieu aime d’en haut l’offerte de nos cœurs,
Cela leur croît la soif du sang de l’innocence.

Ainsi Abel offrait en pure conscience
Sacrifices à Dieu, Caïn offrait aussi :
L’un offrait un cœur doux, l’autre un cœur endurci,
L’un fut au gré de Dieu, l’autre non agréable.
Caïn grinça les dents, pâlit, épouvantable,
Il massacra son frère, et de cet agneau doux
Il fit un sacrifice à son amer courroux.
Le sang fuit de son front, et honteux se retire
Sentant son frère sang que l’aveugle main tire ;
Mais, quand le coup fut fait, sa première pâleur
Au prix de la seconde était vive couleur :
Ses cheveux vers le ciel hérissés en furie,
Le grincement de dents en sa bouche flétrie,
L’œil sourcillant de peur découvrait son ennui.
Il avait peur de tout, tout avait peur de lui :
Car le ciel s’affublait du manteau d’une nue
Sitôt que le transi au ciel tournait la vue ;
S’il fuyait au désert, les rochers et les bois
Effrayés aboyaient au son de ses abois.
Sa mort ne put avoir de mort pour récompense,
L’enfer n’eut point de morts à punir cette offense,
Mais autant que de jours il sentit de trépas :
Vif il ne vécut point, mort il ne mourut pas.
Il fuit d’effroi transi, troublé, tremblant et blême,
Il fuit de tout le monde, il s’enfuit de soi-même.
Les lieux plus assurés lui étaient des hasards,
Les feuilles, les rameaux et les fleurs des poignards,
Les plumes de son lit des aiguilles piquantes,
Ses habits plus aisés des tenailles serrantes,
Son eau jus de ciguë, et son pain des poisons ;
Ses mains le menaçaient de fines trahisons :
Tout image de mort, et le pis de sa rage
C’est qu’il cherche la mort et n’en voit que l’image.
De quelque autre Caïn il craignait la fureur,
Il fut sans compagnon et non pas sans frayeur,
Il possédait le monde et non une assurance,
Il était seul partout, hormis sa conscience :
Et fut marqué au front afin qu’en s’enfuyant
Aucun n’osât tuer ses maux en le tuant.

Meurtriers de votre sang, appréhendez ce juge,
Appréhendez aussi la fureur du déluge
Superbes éventés, tiercelets de géants,
Du monde épouvantaux, vous braves de ce temps,
Outrecuidés galants, ô fols à qui il semble
Qu’en regardant le ciel, que le ciel de vous tremble
Jadis vos compagnons, compagnons en orgueil
(Car vous êtes moins forts), virent venir à l’œil
Leur salaire des cieux, les cieux dont les ventailles
Sans se forcer gagnaient tant de rudes batailles.
Babylon qui devait mipartir les hauts cieux,
Aller baiser la lune et se perdre des yeux
Dans la voûte du ciel ! Babel de qui les langues
Firent en même jour tant de sottes harangues !
Sa hauteur n’eût servi, ni les plus forts châteaux,
Ni les cèdres gravis, ni les monts les plus hauts.
L’eau vint, pas après pas, combattre leur stature,
Va des pieds aux genoux, et puis à la ceinture.
Le sein, enflé d’orgueil, soupire au submerger,
Ses bras, roides meurtriers, se lassent de nager :
Il ne reste sur l’eau que le visage blême,
La mort entre dedans la bouche qui blasphème.
Et cependant que l’eau s’enfle sur les enflés,
En un petit troupeau les petits assemblés
Se jouent sur la mort, pilotés par les Anges,
Quand les géants hurlaient, ne chantaient que louanges,
Disant : « Les mêmes flots qui, en exécutant
La sentence du ciel, s’en vont précipitant
Les géants aux enfers, aux abîmes les noient,
Ceux-là qui aux bas lieux ces charognes convoient
Sont les mêmes qui vont dans le haut se mêler,
Mettre l’arche et les siens au suprême de l’air,
Laissent la nue en bas, et si haut les attirent
Qu’ils vont baiser le ciel, le ciel où ils aspirent. »

Dieu fit en son courroux pleuvoir des mêmes cieux,
Comme un déluge d’eaux, un déluge de feux :
Cet arsenal d’en haut, où logent de la guerre
Les célestes outils, couvrit toute une terre
D’artifices de feu pour punir des humains,
Par le feu le plus net, les péchés plus vilains.
Un pays abruti, plein de crimes étranges,
Voulait, après tout droit, violer jusqu’aux Anges,
Ils pensaient souiller Dieu : ces hommes déréglés
Pour un aveugle feu moururent aveuglés.
Contre eux s’émut la terre encore non émue,
Sitôt qu’elle eut appris sa leçon de la nue :
Elle fondit en soi et cracha en un lieu,
Pour marquer à jamais la vengeance de Dieu,
Un lac de son bourbier ; là mit à la même heure
La mer par ses conduits ce qu’elle avait d’ordure ;
Et, pour faire sentir la même ire de l’air,
Les oiseaux tombent morts quand ils pensent voler
Sur ces noires vapeurs, dont l’épaisse fumée
Montre l’ire céleste encores allumée.

Venez, célestes feux, courez, feux éternels,
Volez : ceux de Sodome oncques ne furent tels.
Au jour du jugement ils lèveront la face
Pour condamner le mal du siècle qui les passe,
D’un siècle plus infect. Notamment il est dit
Que Dieu de leurs péchés tout le comble attendit ;
Empuantissez l’air, ô vengeances célestes,
De poisons, de venins et de volantes pestes ;
Soleil, baille ton char aux jeunes Phaétons,
N’anime rien çà-bas si ce n’est des Pithons ;
Vent, ne purge plus l’air ; brise, renverse, écrase
Noie au lieu d’arroser, sans échauffer embrase !
Nos péchés sont au comble et, jusqu’au ciel montés,
Par-dessus le boisseau versent de tous côtés.
Terre, qui sur ton dos porte à peine nos peines,
Change en cendre et en os tant de fertiles plaines,
En bourbe nos gazons, nos plaisirs en horreurs,
En soufre nos guérets, en charogne nos fleurs.
Déluges, retournez : vous pourrez par votre onde
Noyer, non pas laver, les ordures du monde.

Mais ce fut vous encore, ô justicières eaux,
Qui sûtes distinguer les lions des agneaux.
Moïse l’éprouva qui, pour arche seconde,
En un tissu de joncs se joua dessus l’onde,
Se joua sur la mort, pour se jouer encor
Des joyaux d’un grand Roi, de la couronne d’or
Que dessus ce beau front par essai il fit mettre.
Dans le poing de l’enfant fut ajouté le sceptre,
Que l’innocente main mit par terre à morceaux.
Vous rapprîtes bientôt, ô dévorantes eaux,
La leçon de noyer par le déluge apprise ;
Vous l’oubliâtes lorsque vous portiez Moïse.
Eaux qui devîntes sang et changeâtes de lieu,
Eaux qui oyez très clair quand on parle de Dieu,
Ce fut vous puis après, lorsque les maladies,
Les grêles et les poux et les bêtes choisies,
Pour de petits moyens abattre les plus grands,
Quand la peste, l’obscur et les échecs sanglants
De l’Ange foudroyant n’eurent mis repentance
Aux cœurs des Pharaons poursuivant l’innocence,
Ce fut vous, saintes eaux, eaux qui fîtes de vous
Un pont pour les agneaux, un piège pour les loups.

Le Jourdain, votre fils, entrouvrit ses entrailles
Et fit à votre exemple au peuple des murailles.
Les hommes sont plus sourds à entendre la voix
Du Seigneur des Seigneurs, du Monarque des Rois,
Que la terre n’est sourde et n’est dure à se fendre,
Pour dans ses gouffres noirs les faux parjures prendre ;
Le feu est bien plus prompt à partir de son lieu
Pour mettre à rien le rien des rebelles à Dieu :
Dathan et Abiron donnèrent témoignage
De leur obéissance et de leur prompt ouvrage.
L’air fut obéissant à changer ses douceurs
En poison, respirée aux braves ravisseurs
De la chère alliance ; et Dieu en toute sorte
Par tous les éléments a montré sa main forte.

Quoi ! même les démons, quoique grinçant les dents,
A la voix du grand Dieu logèrent au-dedans
De Saül l’enragé : quelles rouges tenailles
Sont telles que l’enfer qui fut en ses entrailles ?

Princes, un tel enfer est logé dedans vous
Quand un cœur de caillou, d’un fusil de courroux,
Vous fait persécuter d’une haine mutine
Vos Davids triomphants de la gent philistine.
Absalon qui faisait délices de cheveux,
Par eux enorgueilli et puis pendu par eux,
Et son Achitophel, renommé en prudence,
Par elle s’est acquis une infâme potence.

Dans le champ de Nabot Achab montre à son rang
Que tout sang va tirant après soi d’autre sang ;
Jézabel marche après et de près le veut suivre,
Brûlant en soif de sang encor qu’elle en fût ivre,
Jézabel vif miroir des âmes de nos grands,
Portrait des coups du ciel, salaire des tyrans.
Flambeau de ton pays, piège de la noblesse,
Peste des braves cœurs, que servit ta finesse,
Tes ruses, tes conseils et tes tours florentins ?
Les chiens se sont soûlés des superbes tétins
Que tu enflais d’orgueil, et cette gorge unie,
Et cette tendre peau fut des mâtins la vie.
De ton sein sans pitié ce chaud cœur fut ravi,
Lui qui n’avait été de meurtres assouvi
Assouvit les meurtriers, de ton fiel le carnage
Aux chiens ôta la faim et leur donna la rage :
Vivante tu n’avais aimé que le combat,
Morte tu attisais encore du débat
Entre les chiens grondants, qui donnaient des batailles
Au butin dissipé de tes vives entrailles.
Le dernier appareil de ta feinte beauté
Mit l’horreur sur ton front et fut précipité,
Aussi bien que ton corps, de ton haut édifice,
Ton âme et ton état d’un même précipice.

Quand le bâton qui sert pour attiser le feu
Travaille à son métier, il brûle peu à peu ;
Il vient si noir, si court qu’il n’y a plus de prise,
On le jette en la braise et un autre l’attise :
Athalia suivit le train de cette-ci,
Elle attisa le feu, et fut brûlée aussi.

Après, de ce troupeau je sacre à la mémoire
L’effroyable discours, la véritable histoire
De cet arbre élevé, refoulé par les cieux,
De qui les rameaux longs s’étendaient ombrageux
D’orient au couchant, du midi à la bise ;
La terre large était en son ombre comprise,
Et fut ce pavillon de superbes rameaux
Des bêtes le grand parc, le grand nid des oiseaux :
Ce tronc est ébranché, ce monstre est mis à terre,
Ce qui logeait dedans misérablement erre
Sans logis, sans retraite. Un Roi victorieux,
De cent princes l’idole, enflammé, glorieux,
Ne connaissant plus rien digne de sa conquête
Levait contre le ciel son orgueilleuse tête :
Dieu ne daigna lancer un des mortels éclats
De ses foudres volants, mais ploya contre-bas
Ce visage élevé ; ce triomphant visage
Perdit la forme d’homme et de l’homme l’usage.
Nos petits géanteaux par vanité, par vœux
Font un bizarre orgueil d’ongles et de cheveux,
Et Dieu sur cettui-ci pour une peine dure
Mit les ongles crochus et la grand chevelure.
Apprenez de lui, Rois, princes et potentats,
Quelle peine a le ciel à briser vos États.
Ce Roi n’est donc plus Roi, de prince il n’est plus prince,
Un désert solitaire est toute sa province ;
De noble il n’est plus noble, et en un seul moment
L’homme, des hommes Roi, n’est homme seulement ;
Son palais est le souïl d’une puante boue,
La fange est l’oreiller parfumé pour sa joue ;
Ses chantres, les crapauds compagnons de son lit
Qui de cris enroués le tourmentent la nuit ;
Ses vaisseaux d’or ouvrés furent les ordes fentes
Des rochers serpenteux, son vin les eaux puantes ;
Les faisans, qu’on faisait galoper de si loin,
Furent les glands amers, la racine et le foin ;
Les orages du ciel roulent sur sa peau nue,
Il n’a dais, pavillon, ni tente que la nue,
Les loups en ont pitié, il est de leur troupeau,
Et il envie en eux la durté de la peau ;
Au bois, où pour plaisir il se mettait en quête
Pour se jouer au sang d’une innocente bête,
Chasseur il est chassé ; il fit fuir, il fuit ;
Tel qu’il a poursuivi maintenant le poursuit ;
Il fut Roi, abruti il n’est plus rien en somme,
Il n’est homme ne bête et craint la bête et l’homme ;
Son âme raisonnable irraisonnable fut.
Dieu refit cette bête un Roi quand il lui plut.
Merveilleux jugement et merveilleuse grâce
De l’ôter de son lieu, le remettre en sa place !

Le doigt qui écrivit, devant les yeux du fils
De ce Roi abêti, que Dieu avait préfix
Ses vices et ses jours sut l’avenir écrire,
Lui-même exécutant ce qu’il avait pu dire.

O tyrans, apprenez, voyez, résolvez-vous
Que rien n’est difficile au céleste courroux ;
Apprenez, abattus, que le Dieu favorable,
Qui verse l’élevé, hausse le misérable ;
Qu’il fait fondre de l’air d’un Chérub le pouvoir
De qui on sent le fer et la main sans la voir
(L’œil d’un Sennachérib voit la lame enflammée
Qui fait en se jouant un hachis d’une armée) ;
Que c’est celui qui fait, par secrets jugements,
Vaincre Esther en mépris les favoris Amans :
Sur le seuil de la mort et de la boucherie
La chétive reçut le trône avec la vie ;
L’autre, mignon d’un Roi, tout à coup s’est trouvé
Enlevé au gibet qu’il avait élevé,
Comme le fol malin journellement apprête
Pour la tête d’autrui ce qui frappe sa tête.

Ainsi le doigt de Dieu avait coupé les doigts
D’un Adonibesec, comme à septante Rois
Il les avait tranchés. J’ai laissé les vengeances
Que ce doigt exerça par les faibles puissances
Des femmes, des enfants, des valets déréglés,
Des Gédéons choisis, des Samsons aveuglés,
Le désespoir d’Antioch et sa prompte charongne.
Mon vol impétueux d’un chaud désir s’élongne
A la seconde Église et l’outrageuse main
Que lui a fait sentir le grand siège romain.

Sortez, persécuteurs de l’Eglise première,
Et marchez enchaînés au pied de la bannière
De l’Agneau triomphant ; vos sourcils indomptés,
Vos fronts, vos cœurs si durs, ces fières majestés
Du Lion de Juda honorent la mémoire,
Traînés au chariot de l’immortelle gloire.

Hausse du bas enfer l’aigreur de tes accents,
Hurle en grinçant les dents, des enfants innocents
Hérode le boucher ; lève ta main impure
Vers le ciel, du profond de ta demeure obscure.
Aujourd’hui comme toi les abusés tyrans,
Pour blesser l’Eternel, massacrent ses enfants
Et sont imitateurs de ta forcènerie,
Qui pensais ployer Dieu parmi la boucherie.
Les cheveux arrachés, les effroyables cris
Des mères qui pressaient à leurs seins leurs petits,
Ces petits bras liés aux gorges de leurs mères,
Les tragiques horreurs et les raisons des pères,
Les voix non encor voix, bramantes en tous lieux,
Ne sonnaient la pitié dans les cœurs impiteux.
Des tueurs résolus point ne furent ouïes
Ces petits raisons qui demandaient leurs vies
Ainsi qu’elles pouvaient ; quand ils tendaient leurs mains,
Ces menottes montraient par signes aux inhumains :
Cela n’a point péché, cette main n’a ravie
Jamais le bien, jamais nulle rançon ni vie.
Mais ce cœur sans oreille et ce sein endurci,
Que l’humaine pitié, que la tendre merci
N’avaient su transpercer, fut transpercé d’angoisses ;
Ses cris, son hurlement, son souci, ses adresses
Ne servirent de rien : ces indomptés esprits
Qui n’oyent point crier en vain jettent des cris.
Il fit tuer son fils et par lui fut éteinte
Sa noblesse, de peur qu’il ne mourût sans plainte :
Sa douleur fut sans pair. L’autre Hérode, Antipas,
Après ses cruautés, et avant son trépas,
Souffrit l’exil, la honte, une crainte caïne,
La pauvreté, la fuite et la fureur divine.

Puis le tiers triomphant, élevé sur le haut
D’un peuple adorateur et d’un brave échafaud
Au point que l’on cria : O voix de Dieu, non d’homme î
Un gros de vers et poux l’attaque et le consomme.
La terre qui eut honte éventa tous les creux
Où elle avait les vers, l’air lui creva les yeux ;
Lui-même se pourrit et sa peau fut changée
En bêtes, dont la chair de dessous fut mangée ;
Et comme les démons d’un organe enroué,
Ont le Saint et Sauveur par contrainte avoué,
Cettui-ci s’écria au fond de ses misères :
« Voici celui que Dieu vous adoriez naguères. »
Somme, au lieu de ce corps idolâtré de tous,
Demeurent ses habits un gros amas de poux,
Tout regrouille de vers ; le peuple ému s’élongne,
On adorait un Roi, on fuit une charongne.

Charognes de tyrans balancés en haut lieu,
Fantastiques rivaux de la gloire de Dieu,
Que ferez-vous des mains puisque vos faibles vues
Ne surent onc passer la région des nues ?
Vous ne disposez pas, magnifiques moqueurs,
Ni de vos beaux esprits, ni de vos braves coeurs ;
Ces dons ne sont que prêts, que Dieu tient par sa longe ;
Si vous en abusez, vous n’en usez qu’en songe.
Quand l’orgueil va devant, suivez-le bien à l’œil,
Vous verrez la ruine aux talons de l’orgueil.
Vous êtes tous sujets, ainsi que nous le sommes,
A repaître les vers des délices des hommes.
Paul, Pape incestueux, premier inquisiteur,
S’est vu mangé de vers, sale persécuteur.
Philippe, incestueux et meurtrier, cette peste
T’en veut, puisqu’elle en veut au parricide inceste.

Néron, tu mis en poudre et en cendre et en sang
Le vénérable front et la gloire et le flanc
De ton vieux précepteur, ta patrie et ta mère,
Trois que ton destin fit avorter en vipère :
Chasser le docte esprit par qui tu fus savant,
Mettre en cendre ta ville et puis la cendre au vent,
Arracher la matrice à qui tu dois la vie !
Tu devais à ces trois la vie aux trois ravie,
Miroir de cruauté, duquel l’infâme nom
Retentira cruel quand on dira Néron.
Homme tu ne fus point à qui t’avait fait homme ;
Tu ne fus pas Romain envers ta belle Rome ;
D’où l’âme tu reçus, l’âme tu fis sortir :
Si ton sens ne sentait, le sang devait sentir.
Mais ton cœur put vouloir, et put ta main meurtrière
Tuer, brûler, meurtrir précepteur, ville et mère.
Bourreau de tes amis, du meurtre seul ami,
Ta mort n’a su trouver ami ni ennemi :
Il fallut que ta main, à ta fureur extrême,
Après tout violé, te violât toi-même.

Domitian morgueur, qui pris plaisir à voir
Combien la cruauté peut contre Dieu pouvoir,
Quand tu oyais gémir le peuple pitoyable
Spectateur des mourants, tu ridais, effroyable,
Les sillons de ton front, tu fronçais les sourcils
Aux yeux de ta fureur : les visages transis
Laissaient là le supplice, et les tremblantes faces
Adoraient la terreur de tes fières grimaces.
Subtil, tu dérobais la pitié par la peur.
On te nommait le Dieu, le souverain Seigneur !
Où fut ta déité quand tu te vis, infâme,
Déjeté par les tiens, condamné par ta femme,
Ton visage foulé des pieds de tes valets ?
Le peuple dépouilla tes superbes palais
De tes infâmes noms, et ta bouche et ta joue
Et l’œil adoré n’eut de tombeau que la boue.

Tu sautais de plaisir, Adrian, une fois
A remplir de chrétiens jusqu’à dix mille croix :
Dix mille croix après, dessus ton cœur plantées,
Te firent souhaiter les peines inventées.
Sanglant, ton sang coula ; tu recherchas en vain
Les moyens de finir les douleurs par ta main ;
Tu criais, on riait ; la pitié t’abandonne :
Nul ne t’en avait fait, tu n’en fis à personne.
Sans plus, on délaissa les ongles à ta peau ;
Altéré de poison, tu manquas de couteau ;
On laissa dessus toi jouer la maladie,
On refusa la mort ainsi que toi la vie.

Sévère fut en tout successeur d’Adrian,
En forfait et en mort. Après, Herminian,
Armé contre le ciel, sentit en même sorte
La vermine d’Hérode encore n’être morte.
Périssant mi-mangé, de son dernier trépas
Les propos les derniers furent : « Ne dites pas
La façon de mes maux à ceux qui Christ avouent ;
Que Dieu, mon ennemi, mes ennemis ne louent. »

Tyrans, vous dresserez sinon au ciel les yeux,
Au moins l’air sentira hérisser vos cheveux,
Si quelqu’un d’entre vous à quelque heure contemple
Du vieux Valérian le spécieux exemple,
Naguères Empereur d’un Empire si beau,
Aussitôt marchepied, le fangeux escabeau
Du Perse Saporés. Quand cet abominable
Avait sa face en bas, au montoir de l’étable,
Se souvenait-il point qu’il avait tant de fois
Des chrétiens prosternés méprisé tant de voix,
Que son front élevé, si voisin de la terre,
Contre le fils de Dieu avoit osé la guerre,
Que ces mains, ores pieds, n’avaient fait leur devoir
Lorsqu’elles employaient contre Dieu leur pouvoir ?

Princes, qui maniez dedans vos mains impures
Au lieu de la justice une fange d’ordures,
Ou qui, s’il faut ouvrer, les ployez dans vos seins,
Voyez de quel métier devinrent ces deux mains :
Elles changeaient d’usage en traitant l’injustice,
La justice de Dieu a changé leur office,
lis Plus lui devait peser sang sur sang, mal sur mal,
Que ce Roi sur son dos qui montait à cheval,
Qui enfin l’écorcha vif, le dépouillant, comme
Vif il fut dépouillé des sentiments de l’homme.

Le haut ciel t’avertit, pervers Aurélian,
Le tonnerre parla, ô Dioclétian ;
Ce trompette enroué de l’effrayant tonnerre,
Avant vous guerroyer, vous dénonça la guerre ;
Ce héraut vous troubla et ne vous changea pas,
Il vous fit chanceler mais sans tourner vos pas,
Avant que se venger le ciel cria vengeance,
Il vous causa la peur et non la repentance.
Aurélian traitait les hommes comme chiens :
Ce qu’il fit envers Dieu il le reçut des siens.
Et quel prince à bon droit se pourra plaindre d’être
Méconnu par les siens, s’il méconnaît son maître ?
Mêmes mains ont meurtri et servi cettui-ci ;
Le second fut vaincu d’un trop ardent souci,
L’impuissant se tua, abattu de la rage
De n’avoir pu dompter des chrétiens le courage.

Maximian, les feux de vingt mille enfermés,
La ville et les bourgeois, en un tas consumés,
Firent un si grand feu que l’épaisse fumée
Dans les nareaux de Dieu émut l’ire enflammée :
Des citoyens meurtris la charogne et les corps
Empuantirent tout de l’amas de ces morts,
L’air étant corrompu te corrompit l’haleine
Et le flanc respirant la vengeance inhumaine,
Ta puanteur chassa tes amis au besoin,
Chassa tes serviteurs, qui fuirent si loin
Que nul n’oyait tes cris, et faut que ta main torde
L’infâme nœud, le tour d’une vilaine corde.

Aussi puant que toi, Maximin frauduleux,
Forgeur de fausses paix, sentit saillir des yeux
Sa prunelle échappée, et commença par celle
Qui ne vit onc pitié : la part la plus cruelle
La première périt ; on saoula de poisons
Le cœur qui ne fut onc saoulé de trahisons.

Ces bourreaux furieux eurent des mains fumantes
Du sang tiède versé. Mais voici des mains lentes,
Voici un froid meurtrier, un arsenic si blanc
Qu’on le goûta pour sucre, et, sans tache de sang,
L’ingénieux tyran de qui la fraude a mise
A plus d’extrémités la primitive Église.
Il ne tacha de sang sa robe ne sa main,
Il avait la main pure, et le coeur fut si plein
De meurtres dérobés ! Il n’allumait les flammes,
Ses couteaux et ses feux n’attaquaient que les âmes
Il n’entamait les corps, mais privait les esprits
De pâture de vie ; il semait le mépris
Aux plus volages cœurs, étouffant par la crainte
La sainte Déité dedans les cœurs éteinte.
Le Chevalier du ciel au milieu des combats
Descendit de si haut pour le verser à bas ;
L’apostat Julian son sang fuitif empoigne,
Le jette vers le ciel, l’air de cette charongne
Empoisonné fuma, puis l’infidèle chien
Cria : « Je suis vaincu, par toi, Nazarien ! »

Tu n’as point eu de honte, impudent Libanie,
De donner à ton Roi tel patron pour sa vie,
Exaltant et nommant cet exemple d’erreurs
Des philosophes Roi, maître des Empereurs.

Pacifiques meurtriers, Dieu découvre sa guerre
Et ne fait comme vous qui cuidez de la terre
L’étouffer sans saigner, et de traîtres appas
Empoisonner l’Eglise et ne la blesser pas.

Je laisse arrière moi les actes de Commode
Et Valentinian, qui de pareille mode
Dépouillèrent sur Christ leurs courroux aveuglés,
Pareils en morts, tous deux par valets étranglés.

Galérian aussi rongé par les entrailles,
Et Décius qui trouve au milieu des batailles
Un Dieu qui avait pris le contraire parti,
Puis le gouffre tout prêt dont il fut englouti.
Je laisse encore ceux qu’un faux nom catholique
A logés dans Sion, un Zénon Izaurique
Vif enterré des siens, Honorique pervers
Qui échauffait sa mort en nourrissant les vers .

Constant, par trop constant à suivre la doctrine
D’Arius qui versa en une orde latrine
Ventre et vie à la fois : et lui, en pareil lieu,
En blasphèmes pareils, creva par le milieu.
Tous ceux-là sont péris par des pestes cachées,
Comme ils furent aussi des pestes embûchées
Que le Sinon d’enfer établit par moyens,
En cheval duratée, au rempart des Troyens.

Quand Satan guerroyait d’une ouverte puissance
Contre le monde jeune et encore en enfance,
Il trompait cette enfance. Or ses traits découverts
A ce siècle plus fin découvrent les enfers
Dès la première vue, et faut que la malice
D’un plus épais manteau cache le fond du vice.
Nous verrons ci-après les effets moins sanglants,
Mais des coups bien plus lourds et bien plus violents
En ce troisième rang d’ennemis de l’Eglise
Masquant l’amer courroux d’une douce feintise,
Satans vêtus en Anges et serpents enchanteurs,
De Julian le fin subtils imitateurs.
Ils n’ont pas trompé Dieu ; leurs frivoles excuses,
La nuit qui les couvrait, les frauduleuses ruses,
Leur feinte piété et masque ne put pas
Rendre sèche leur mort, ni heureux leur trépas.

Il faut que nous voyons si les hautes vengeances
S’endorment au giron des célestes puissances,
Et si, comme jadis le véritable Dieu
Distingua du Gentil son héritage hébrieu,
S’il sépare aujourd’hui par les couleurs anciennes
Des troupes de l’enfer l’élection des siennes.

O martyres aimés ! ô douce affliction !
Perpétuelle marque à la sainte Sion,
Témoignage secret que l’Eglise en enfance
Eut au front et au sein, à sa pauvre naissance,
Pour choisir du troupeau de ses bâtardes sœurs
L’héritière du ciel au milieu des malheurs !

Qui a lu aux romans les fatales misères
Des enfants exposés de peur des belles-mères,
Nourris par les forêts, gardés par les mâtins,
A qui la louve ou l’ourse ont porté leurs tétins,
Et les pasteurs après du lait de leurs ouailles
Nourrissent, sans savoir, un prince et des merveilles ?
Au milieu des troupeaux on en va faire choix,
Le valet des bergers va commander aux Rois :
Une marque en la peau, ou l’oracle découvre
Dans le parc des brebis l’héritier du grand Louvre.

Ainsi l’Église, ainsi accouche de son fruit,
En fuyant aux déserts le dragon la poursuit,
L’enfant chassé des Rois est nourri par les bêtes :
Cet enfant brisera de ces grands Rois les têtes
Qui l’ont proscrit, banni, outragé, déjeté,
Blessé, chassé, battu de faim, de pauvreté.
Or ne t’advienne point, épouse et chère Eglise,
De penser contre Christ ce que dit sur Moïse
La simple Séphora qui, voyant circoncir
Ses enfants, estima qu’on les voulait occir :
« Tu m’es mari de sang », ce dit la mère folle.
Téméraire et par trop blasphémante parole !
Car cette effusion, qui lui déplaît si fort,
Est arrhe de la vie, et non pas de la mort.

Venez donc pauvreté, faim, fuites et blessures,
Bannissements, prison, proscriptions, injures ;
Vienne l’heureuse mort, gage pour tout jamais
De la fin de la guerre et de la douce paix !

Fuyez, triomphes vains, la richesse et la gloire,
Plaisirs, prospérité, insolente victoire,
O pièges dangereux et signes évidents
Des ténèbres, du ver, et grincement de dents !

Entrons dans une piste et plus vive et plus fraîche,
Du temps qu’au monde impur la pureté se prêche,
Où le siècle qui court nous offre et va comptant
Autant de cruautés, de jugements autant
Qu’aux trois mille ans premiers de l’enfance du monde,
Qu’aux quinze cents après de l’Eglise seconde.
Que si les derniers traits ne semblent à nos yeux
Si hors du naturel ne si malicieux
Que les plus éloignés, voyons que les oracles
Des vives voix de Dieu, les monstrueux miracles
N’ont plus été fréquents dès que l’Eglise prit
En des langues de feu la langue de l’Esprit :
Si les pauvres Juifs les eurent en grand nombre
Très à propos, à eux qui espéraient en ombre
Ces ombres profitaient ; nous vivons en clarté,
Et à l’œil, possédons le corps de vérité.
Ou soit que la nature en jeunesse, en enfance,
Fût plus propre à souffrir le change et l’inconstance
Que quand ces esprits vieux, moins prompts, moins violents,
Jeunes, n’avortaient plus d’accidents insolents.
Ou soit que nos esprits, tout abrutis de vices,
Les malices de l’air surpassent en malices,
Ou trop mêlés au corps, ou de la chair trop pleins,
Susceptibles ne soient d’enthousiasmes saints.
Encore trouvons-nous les exprès témoignages
Que nature ne peut avouer pour ouvrages,
Encore le chrétien aura ici dedans
Pour chanter ; l’athéiste en grincera les dents.

Archevêque Arondel, qui en la Cantorbie
Voulus tarir le cours des paroles de vie,
Ton sein encontre Dieu enflé d’orgueil souffla :
Ta langue blasphémante encontre toi s’enfla,
Et lorsqu’à vérité le chemin elle bouche
Au pain elle ferma le chemin et la bouche ;
Tu fermais le passage au subtil vent de Dieu,
Le vent de Dieu passa, le tien n’eut point de lieu.
Au ravisseur de vie en ce point fut ravie
Par l’instrument de vivre et l’une et l’autre vie :
L’Eglise il affama, Dieu lui ôta le pain.

Voici d’autres effets d’une bizarre faim :
L’affamé, qui voulut saouler sa brute rage
Du nez d’un bon pasteur, l’arracher du visage,
Le casser de ses dents et l’avaler après,
Fut puni comme il faut : car il sortit exprès
Des bois les plus secrets un loup qui du visage
Lui arracha le nez et lui cracha la rage ;
Il fut seul qui sentit la vengeance et le coup
Et qui seul irrita la fureur de ce loup.
C’est faire son profit de ces leçons nouvelles
De voir que tous péchés ont les vengeances telles
Que mérite le fait, et que les jugements
Dedans nous, contre nous, trouvent les instruments,
De voir comme Dieu peint par juste analogie
Du crayon de la mort les couleurs de la vie.

Quand le comte Félix (nom sans félicité),
De colère et de vin ivre, se fut vanté
Qu’au lendemain ses pieds prenant couleurs nouvelles
Rougiraient les éprons dans le sang des fidèles,
Dieu entreprit aussi et jura à son rang :
Ce sanglant dès la nuit étouffa dans son sang.

Le stupide Mesnier, ministre d’injustice,
Tout pareil en désirs sentit pareil supplice,
Supplice remarquable. Et plût au juste Dieu
Ne me sentir contraint d’attacher en ce lieu
Deux semblables portraits des princes de notre âge,
Princes qui comme jeu ont aimé le carnage,
Encontre qui Paris et Anvers tout sanglants
Sollicitent le ciel de courroux violents !
Leur rouge mort aussi fut marque de leur vie,
no Leur puante charogne et l’âme empuantie
Partagèrent, sortant de l’impudique flanc,
Une mer de forfaits et un fleuve de sang.
Aussi bien qu’Adrian aux morts ils s’éjouirent,
Comme Maximian aux villes ils permirent
Le sac : leur sang coula ainsi que d’Adrian,
Ils ont eu des parfums du faux Maximian.
Quel songe ou vision trouble ma fantasie
A prévoir de Paris la fange cramoisie
Traîner le sang d’un Roi à la merci des chiens,
Roi qui eut en mépris le sang versé des siens ?

Qui veut savoir comment la vengeance divine
A bien su où dormait d’Hérode la vermine
Pour en persécuter les vers persécuteurs,
Qu’il voie le tableau d’un des inquisiteurs
De Mérindol en feu. Sa barbarie extrême
Fut en horreur aux Rois, aux persécuteurs même
Il fut banni ; les vers suivirent son exil,
Et ne put inventer cet inventeur subtil
Armes pour empêcher cette petite armée
D’empoisonner tout l’air de puante fumée.
Ce chasseur déchassa ses compagnons au loin,
Si qu’un seul d’enterrer ce demi-mort eut soin,
Lui jeta un crochet et entraîna le reste
Des diables et des vers, allumettes de peste,
En un trou : la terre eut horreur de l’étouffer,
Cette terre à regret fut son premier enfer.
Ce ver sentit les vers. La vengeance divine
N’employa seulement les vers sur la vermine.

Du Prat fut le gibier des mêmes animaux,
Le ver qui l’éveillait, qui lui contait ses maux,
Le ver qui de longtemps piquait sa conscience
Produisit tant de vers qu’ils percèrent sa panse.

Voici un ennemi de la gloire de Dieu
Qui s’élève en son rang, qui occupe ce lieu.
L’Aubépin, qui premier, d’une ambition folle,
Cuida fermer le cours à la vive parole,
Et qui, bridant les dents par des bâillons de bois,
Aux mourants refusa le soulas de la voix,
Voyant en ses côtés cette petite armée
Grouiller, l’ire de Dieu en son corps animée,
Choisit pour ses parrains les ongles de la faim.
Lié par ses amis de l’une et l’autre main,
Comme il grinçait les dents contre la nourriture,
Ses amis d’un bâillon en firent ouverture :
Mais, avec les coulis, dans sa gorge coula
Un gros amas de vers qui à coup l’étrangla.
Le céleste courroux lui parut au visage.
Nul pour le délier n’eut assez de courage ;
Chacun trembla d’horreur, et chacun étonné
Quitta ce bâillonneur et mort et bâillonné.

Petits soldats de Dieu, vous renaîtrez encore
Pour détruire bientôt quelque prince mi-more.
O Roi, mépris du ciel, terreur de l’univers,
Hérode glorieux, n’attends rien que les vers.
Espagnol triomphant, Dieu vengeur à sa gloire
Peindra de vers ton corps, de mes vers ta mémoire.

Ceux dont le cœur brûlait de rages au-dedans,
Qui couvaient dans leur sein tant de flambeaux ardents,
En attendant le feu préparé pour leurs âmes
Ces enflammés au corps ont ressenti des flammes.
Bellomente, brûlant des infernaux tisons,
Eut pour jeu les procès, pour palais les prisons,
Cachots pour cabinets, pour passe-temps les gênes.
Dans les crotons obscurs, au contempler des peines,
Aux yeux des condamnés il prenait ses repas ;
Hors le seuil de la geôle il ne faisait un pas.
Le jour lui fut tardif et la nuit trop hâtive
Pour hâter les procès : la vengeance tardive
Contenta sa langueur par la sévérité,
Un petit feu l’atteint par une extrémité,
Et au bout de l’orteil ce feu était visible.
Cet insensible aux pleurs ne fut pas insensible,
Et lui tarda bien plus que cette vive ardeur
N’eût fait le long chemin du pied jusques au cœur
Que les plus longs procès longs et fâcheux ne furent.
Tous les membres de rang ce feu vengeur reçurent,
Ce hâtif à la mort se mourut peu à peu,
Cet ardent au brûler fit épreuve du feu.

Pour un péché pareil même peine évidente
Brûla Pontcher, l’ardent chef de la chambre ardente.
L’ardeur de cettui-ci se vit venir à l’oeil :
La mort entre le cœur et le bout de l’orteil
Fit sept divers logis, et comme par tranchées
Partage l’assiégé ; ses deux jambes hachées,
Et ses cuisses après servirent de sept forts ;
En repoussant la mort il endura sept morts.
L’évêque Castellan qui, d’une froideur lente,
Cachait un cœur brûlant de haine violente,
Qui sans colère usait de flammes et de fer,
Qui pour dix mille morts n’eût daigné s’échauffer,
Ce fier, doux en propos, cet humble de col roide
Jugeait au feu si chaud d’une façon si froide :
L’une moitié de lui se glaça de froideur,
L’autre moitié fuma d’une mortelle ardeur.

Voyez quels justes poids, quelles justes balances
Balancent dans les mains des célestes vengeances,
Vengeances qui du ciel descendent à propos,
Qui entendent du ciel, qui ouïrent les mots
De l’imposteur Picard, duquel à la semonce
La mort courut soudain pour lui faire réponse :
« Viens mort, viens prompte mort (ce disait l’effronté)
Si j’ai rien prononcé que sainte vérité,
Venge ou approuve, Dieu, le faux ou véritable. »
La mort se réveilla, frappa le détestable
Dans la chaire d’erreur. Quatre mille auditeurs,
De ce grand coup du ciel abrutis spectateurs,
N’eurent pas pour ouïr de fidèles oreilles,
Et n’eurent de vrais yeux pour en voir les merveilles.

Lambert, inquisiteur, ainsi en blasphémant
Demeura bouche ouverte ; emporté au couvent,
Fut trouvé, sans savoir l’auteur du fait étrange,
Aux fosses du couvent noyé dedans la fange.
Maint exemple me cherche, et je ne cherche pas
Mille nouvelles morts, mille étranges trépas
De nos persécuteurs : ces exemples m’ennuient,
Ils poursuivent mes vers et mes yeux qui les fuient.

Je suis importuné de dire comme Dieu
Aux Rois, aux ducs, aux chefs, de leur camp au milieu,
Rendit, exerça, fit, droit, vengeance et merveille,
Crevant, poussant, frappant, l’œil, l’épaule et l’oreille ;
Mais le trop long discours de ces notables morts
Me fait laisser à part ces vengeances des corps
Pour m’envoler plus haut, et voir ceux qu’en ce monde
Dieu a voulu arrher de la peine seconde,
De qui l’esprit frappé de la rigueur de Dieu
Déjà sentit l’enfer au partir de ce lieu.
La justice de Dieu par vous sera louée,
Vous donnerez à Dieu votre voix enrouée,
Démons désespérés, par qui, victorieux,
Le cruel désespoir fut vainqueur dessus eux.
Le désespoir, le plus des peines éternelles
Ennemi de la foi, vainquit les infidèles.

Le Rhône en a sonné, alors qu’en hurlements
Rénialme et Rever dégorgeaient leurs tourments :

« J’ai (dit l’un) condamné le sang et l’innocence. »
Ce n’était repentir, c’était une sentence
Qu’il prononçait enflé et gros du même esprit
Du démon qui, par force, avoua Jésus-Christ.
Ce même esprit, prêchant en la publique chaire,
Fit écrier Latome à sa fureur dernière :
« Le grand Dieu m’a frappé en ce publique lieu,
Moi qui publiquement blasphémais contre Dieu. »

Nos yeux mêmes ont vu, en ces derniers orages,
Où cet esprit immonde a semé de ses rages,
tu C’est lui qui a ravi le sens aux insolents,
A Bézigny, Cosseins, à Tavannes sanglants.
Le premier de ces trois a galopé la France
Montrant ses mains au ciel, bourrelles d’innocence :

« Voici, ce disait-il, l’esclave d’un bourreau
Qui a sur les agneaux déployé son couteau :
Mon âme pour jamais en sa mémoire tremble,
L’horreur et la pitié la déchirent ensemble. »

Le second fut frappé aux murs des Rochelois.
On a caché le fruit de ses dernières voix :
La vérité pressée a trouvé la lumière,
Car on n’a pu celer sa sentence dernière
Du style du premier, et pour même action
Il prononça mourant sa condamnation.
Le tiers, qui fut cinquième au conseil des coupables,
Bavait plus abruti ; il a semé ses fables
A l’entour de Paris, et, le changement d’air
Ne le faisant jamais qu’en condamné parler,
Il fut lié : mais plus gêné de conscience,
Satan fut son conseil, l’enfer son espérance.

Le cardinal Polus, plein de mêmes démons,
Fut jadis le miroir de ces trois compagnons.
Nous en savons plusieurs que nos honteuses vues
Ont vus nus et bavants et hurlants par les rues,
Prophètes de leur mort, confesseurs de leurs maux,
Des nôtres présageurs, enseignements très beaux.

Il ne faut point penser que vers, couteaux ni flammes
Soient tels que les flambeaux qui attaquent les âmes.
Rien n’est si grand que l’âme : il est très évident
Qu’à l’égard du sujet s’augmente l’accident,
Comme selon le bois la flamme est perdurable.
Ces barbares avaient au lieu d’une âme un diable,
Duquel la bouche pleine a par force annoncé
Les crimes de leurs mains, le sang des bons versé,
Le désespoir minant qui leur tient compagnie
Rongeant cœur et cerveau jusqu’en fin de la vie.

Que tu viens à regret charlatan florentin,
Qui de France a sucé, puis mordu le tétin
Comme un cancer mangeur et meurtrier insensible :
Un cancer de sept ans, à toi, aux tiens horrible,
T’ôte esprit, sens et sang, un traître et lent effort,
Traître, lent, te faisant charogne avant ta mort,
Empuanti de toi ; et t’atteint la vengeance
Au point que le repos donna trêve à la France.
Excellente duchesse, ici la vérité
A forcé les liens de la proximité :
Dans mon sein allié tu as versé tes plaintes
Du malheur domestic, qui ne seront éteintes,
Non plus que la clameur qui donna gloire à Dieu
Lorsque le condamné publiait par aveu
Qu’en lui, cinquième auteur de l’inique journée,
La vengeance de Dieu s’en allait terminée.

Mais voici les derniers sur lesquels on a vu
Du Dieu fort et jaloux le courroux plus ému,
Quand de ses jugements les principes terribles
A ces cœurs endurcis se sont rendus visibles.

Crescence, cardinal, qui à ton pourmenoir
Te vis accompagné du funèbre chien noir,
Chien qu’on ne put chasser, tu connus ce chien même
Qui t’aboyait au cœur de rage si extrême
Au concile de Trente : et ce même démon
Dont tu ne savois pas la ruse, bien le nom,
Ce chien te fit prévoir non pourvoir à ta perte.
Ta maladie fut en santé découverte.
Il ne te quitta plus du jour qu’il t’eut fait voir
Ton mal, le mal la mort, la mort le désespoir.

Je me hâte à porter dans le fond de ce temple
D’Olivier, chancelier, le tableau et l’exemple.
Cettui-ci, visité du cardinal sans pair,
Sans pair en trahison, sentit saillir d’enfer
Les hôtes de Saül, ou du cardinal même,
Dans son corps plus changé que n’était la mort blême
Ce corps sec, si caduc qu’il ne levait la main
De l’estomac au front, aussitôt qu’il fut plein
Des dons du cardinal, du bas jusques au faîte,
Enlevait les talons aussitôt que la tête,
Tombait, se redressait, mit en pièces son lit,
S’écria de deux voix : « ô cardinal maudit,
Tu nous fais tous damner ! » Et, à cette parole,
Cette peste s’en va et cette âme s’envole.

Cette force inconnue et ces bonds violents
Eurent même moteur que ces grands mouvements
Que sent encor la France, ou que ceux qui parurent
Quand dans ce cardinal tant de diables moururent :
Au moins eussent plutôt supporté le tombeau
Que de perdre en ce monde un organe si beau.
On a celé sa mort et caché la fumée
Que ce puant flambeau de la France allumée,
Éteint, aura rendu ; mais le courroux des cieux
Donna de ce spectacle une idée à nos yeux.
L’air, noirci de démons ainsi que de nuages,
Creva des quatre parts d’impétueux orages ;
Les vents, les postillons de l’ire du grand Dieu,
Troublés de cet esprit retroublèrent tout lieu ;
Les déluges épais des larmes de la France
Rendirent l’air tout eau de leur noire abondance.
Cet esprit boutefeu, au bondir de ces lieux,
De foudres et d’éclairs mit le feu dans les cieux.
De l’enfer tout fumeux la porte desserrée
A celui qui l’emplit prépara cette entrée ;
La terre s’en creva, la mer enfla ses monts,
Ses monts et non ses flots, pour couler par ses fonds
Mille morts aux enfers, comme si par ces vies
Satan goûtait encor des vieilles inféries
Dont l’odeur lui plaisait, quand les anciens Romains
Sacrifiaient l’humain aux cendres des humains.
L’enfer en triompha, l’air et la terre et l’onde
Refaisant le chaos qui fut avant le monde.
Le combat des démons à ce butin fut tel
Que des chiens la curée au corps de Jézabel,
Ou d’un prince français qui, d’un clas de la sorte,
Fit sonner le maillet de l’infernale porte.

Scribes, qui demandez aux témoignages saints
Qu’ils fascinent vos yeux de vos miracles feints,
Si vous pouvez user des yeux et des oreilles
Voyez ces monstres hauts, entendez ces merveilles.
A-t-il rien commun, trouvez-vous de ces tours
De la sage Nature en l’ordinaire cours ?

Le meurtrier sent le meurtre, et le paillard attise
En son sang le venin, fruit de sa paillardise ;
L’irrité contre Dieu est frappé de courroux ;
Les élevés d’orgueil sont abattus de poux ;
Dieu frappe de frayeur le fendant téméraire,
De feu le boutefeu, de sang le sanguinaire.
Trouvez-vous ces raisons en la chaîne du sort,
Telle proportion de la vie à la mort ?
Est-il vicissitude ou fortune qui puisse,
Fausse et folle, trouver si à point la justice ?
Tels jugements sont-ils d’un égaré cerveau
A qui vos peintres font un ignorant bandeau ?
Sont-ce là des arrêts d’une femme qui roule
Sans yeux, au gré des vents, sur l’inconstante boule .

Troubler tout l’univers pour ceux qui l’ont troublé,
D’un diable emplir le corps d’un esprit endiablé,
A qui espère au mal arracher l’espérance,
Aux prudents contre Dieu la vie et la prudence ?
Oter la voix à ceux qui blasphémaient si fort,
S’ils adjuraient la mort leur envoyer la mort ?
Trancher ceux à morceaux qui détranchaient l’Eglise,
Aux exquis inventeurs donner la peine exquise,
Frapper les froids méchants d’une froide langueur,
Embraser les ardents d’une bouillante ardeur ?
Brider ceux qui bridaient la louange divine,
La vermine du puits étouffer de vermine,
Rendre dedans le sang les sanglants submergés,
Livrer le loup aux loups, le fol aux enragés ?
Pour celui qui enflait le cours d’une harangue
Contre Dieu, l’étouffer d’une enflure de langue ?

J’ai crainte, mon lecteur, que tes esprits lassés
De mes tragiques sens ayent dit : C’est assez !
Certes ce serait trop si nos amères plaintes
Vous contaient des romans les charmeresses feintes.
Je n’écris point à vous, serfs de la vanité,
Mais recevez de moi, enfants de vérité,
Ainsi qu’en un faisceau les terreurs demi-vives,
Testaments d’Antioch, repentances tardives :
Le savoir profané, les soupirs de Spéra
Qui sentit ses forfaits et s’en désespéra ;
Ceux qui dans Orléans, sans chiens et sans morsures,
Furent frappés de rage, à qui les mains impures
Des pères, mères, sœurs et frères, et tuteurs
Ont apporté la fin, tristes exécuteurs ;
De Lizet l’orgueilleux la rude ignominie,
De lui, de son Simon la mortelle manie,
La lèpre de Roma, et celle qu’un plus grand
Pour les siens et pour soi perpétuelle prend ;
Le despoir des Morins, dont l’un à mort se blesse,
Les foyers de Ruzé et de Faye d’Espesse.
Ici le haut tonnant sa voix grosse hors met,
Et grêle et soufre et feu sur la terre transmet,
Fait la charge sonner par l’airain du tonnerre ;
Il a la mort, l’enfer, soudoyés pour sa guerre.
Monté dessus le dos des Chérubins mouvants,
Il vole droit, guindé sur les ailes des vents.
Un temps, de son Église il soutint l’innocence,
Ne marchant qu’au secours et non à la vengeance ;
Ores aux derniers temps, et aux plus rudes jours,
Il marche à la vengeance et non plus au secours.