Les Tragiques par Agrippa d’Aubigné (1551-1630) – Livre VII


JUGEMENT

Baisse donc, Éternel, tes hauts cieux pour descendre,
Frappe les monts cornus, fais-les fumer et fendre ;
Loge le pâle effroi, la damnable terreur
Dans le sein qui te hait et qui loge l’erreur ;
Donne aux faibles agneaux la salutaire crainte,
La crainte, et non la peur, rende la peur éteinte.
Pour me faire instrument à ces effets divers
Donne force à ma voix, efficace à mes vers ;
A celui qui t’avoue, ou bien qui te renonce,
Porte l’heur ou malheur, l’arrêt que je prononce.

Pour néant nous semons, nous arrosons en vain,
Si l’esprit de vertu ne porte de sa main
L’heureux accroissement. Pour les hautes merveilles
Les Pharaons ferrés n’ont point d’yeux, point d’oreilles,
Mais Paul et ses pareils à la splendeur d’en haut
Prennent l’étonnement pour changer comme il faut.
Dieu veut que son image en nos cœurs soit empreinte,
Être craint par amour et non aimé par crainte ;
Il hait la pâle peur d’esclaves fugitifs,
II aime ses enfants amoureux et craintifs.

Qui seront les premiers sur lesquels je déploie
Ce paquet à malheurs ou de parfaite joie ?
Je viens à vous, des deux fidèle messager,
De la gêne sans fin à qui ne veut changer,
Et à qui m’entendra, comme Paul Ananie,
Ambassadeur portant et la vue et la vie.

A vous la vie, à vous qui pour Christ la perdez,
Et qui en la perdant très sûre la rendez,
La mettez en lieu fort, imprenable, en bonne ombre,
N’attachant la victoire et le succès au nombre,
A vous, soldats sans peur, qui presque en toutes parts
Voyez vos compagnons par la frayeur épars,
Ou, par l’espoir de l’or, les fréquentes révoltes,
Satan qui prend l’ivraie et en fait ses récoltes.
Dieu tient son van trieur pour mettre l’aire en point
Et consumer l’éteule au feu qui ne meurt point.
Ceux qui à l’eau d’Oreb feront leur ventre boire
Ne seront point choisis compagnons de victoire.
Le Gédéon du ciel, que ses frères voulaient
Mettre aux mains des tyrans, alors qu’ils les foulaient,
Détruisant par sa mort un angélique ouvrage,
Aimant mieux être serfs que suivre un haut courage,
Le grand Jérubaal n’en tria que trois cents,
Prenant les diligents pour dompter les puissants,
Vainqueur maugré les siens, qui, par poltronnerie,
Refusaient à son heur l’assistance et la vie.
Quand vous verrez encor les asservis mâtins
Dire : « Nous sommes serfs des princes philistins »,
Vendre à leurs ennemis leurs Samsons et leurs braves,
Sortez trois cents choisis, et de cœurs non esclaves,
Sans compter Israël ; lappez en hâte l’eau,
Et Madian sera défait par son couteau.
Les trente mille avaient ôté l’air à vos faces :
A vos fronts triomphants ils vont quitter leurs places.
Vos grands vous étouffaient, magnanimes guerriers :
Vous lèverez en haut la cime à vos lauriers.
Du fertil champ d’honneur Dieu cercle ces épines
Pour en faire sucer l’humeur à vos racines.
Si même de vos troncs vous voyez assécher
Les rameaux vos germains, c’est qu’ils soûlaient cacher
Et vos fleurs et vos fruits et vos branches plus vertes,
Qui plus rempliront Pair étant plus découvertes.

Telle est du sacré mont la génération
Qui au sein de Jacob met son affection.
Le jour s’approche auquel auront ces débonnaires
Fermes prospérités, victoires ordinaires ;
Voire dedans leurs lits il faudra qu’on les oie
S’égayer en chantant de tressaillante joie.
Ils auront tout d’un temps à la bouche leurs chants
Et porteront au poing un glaive à deux tranchants
Pour fouler à leurs pieds, pour détruire et défaire
Des ennemis de Dieu la canaille adversaire,
Voire pour empoigner et mener prisonniers
Les Empereurs, les Rois, et princes les plus fiers,
Les mettre aux ceps, aux fers, punir leur arrogance
Par les effets sanglants d’une juste vengeance ;
Si que ton pied vainqueur tout entier baignera
Dans le sang qui du meurtre à tas regorgera,
Et dedans le canal de la tuerie extrême
Les chiens se gorgeront du sang de leur chef même.

Je retourne à la gauche, ô esclaves tondus,
Aux diables faux marchands et pour néant vendus !
Vous leur avez vendu, livré, donné en proie
Ame, sang, vie, honneur : où en est la monnoie ?

Je vous vois là cachés, vous que la peur de mort
A fait si mal choisir l’abîme pour le port,
Vous dans l’esprit desquels une frivole crainte
A la crainte de Dieu et de l’enfer éteinte,
Que l’or faux, l’honneur vain, les serviles états
Ont rendus révoltés, parjures, apostats ;
De qui les genoux las, les inconstances molles
Ploient, au gré des vents, aux pieds de leurs idoles ;
Les uns qui de soupirs montrent ouvertement
Que le fourneau du sein est enflé de tourment ;
Les autres, devenus stupides par usance,
Font dormir, sans tuer, la pâle conscience,
Qui se réveille et met, forte par son repos,
Ses aiguillons crochus dans les moelles des os.
Maquignons de Satan, qui, par espoirs et craintes,
Par feintes piétés et par charités feintes,
Diligents charlatans, pipez et maniez
Nos rebelles fuitifs, nos excommuniés,
Vous vous réjouissez étant retraits de vices
Et puants excréments : gardez nos immondices,
Nos rogneuses brebis, les pestes du troupeau,
Ou gales que l’Eglise arrache de sa peau.

Je vous en veux à vous, apostats dégénères,
Qui léchez le sang frais tout fumant de vos pères
Sur les pieds des tueurs, serfs qui avez servi
Les bras qui ont la vie à vos pères ravi !
Vos pères sortiront des tombeaux effroyables,
Leurs images au moins paraîtront vénérables
A vos sens abattus, et vous verrez le sang
Qui mêle sur leur chef les touffes de poil blanc,
Du poil blanc hérissé de vos poltronneries :
Ces morts reprocheront le présent de vos vies.
En lavant pour dîner avec ces inhumains,
Ces pères saisiront vos inutiles mains,
En disant : « Vois-tu pas que tes mains fainéantes
Lavent sous celles-là qui, de mon sang gouttantes,
Se purgent dessus toi et versent mon courroux
Sur ta vilaine peau, qui se lave dessous ?
Ceux qui ont retranché les honteuses parties,
Les oreilles, les nez, en triomphe des vies,
En ont fait les cordons des infâmes chapeaux,
Les enfants de ceux-là caressent tels bourreaux !
O esclave coquin, celui que tu salues
De ce puant chapeau épouvante les rues,
Et te salue en serf : un esclave de cœur
N’achèterait sa vie à tant de déshonneur !
Fais pour ton père, au moins, ce que fit pour son maître
Un serf (mais vieux Romain), qui se fit méconnaître
De coups en son visage, et fit si bel effort
De venger son Posthume et puis si belle mort ! »

Vous armez contre nous, vous aimez mieux la vie
Et devenir bourreaux de votre compagnie,
Vilains marchands de vous qui avez mis à prix
Le libre respirer de vos puants esprits,
Assassins pour du pain, meurtriers pâles et blêmes,
Coupe-jarrets, bourreaux d’autrui et de vous-mêmes !
Vous cherchez de l’honneur, parricides bâtards,
Or courez aux assauts et volez aux hasards.
Vous baverez en vain le vin de vos bravades ;
Cherchez, gladiateurs, en vain les estocades.
Vous n’auriez plus d’honneur, n’osant vous ressentir
Ou d’un soufflet reçu ou d’un seul démentir ?
Démentir ne soufflet ne sont tel vitupère
Que d’être le valet du bourreau de son père.
Vos pères ont changé en retraits les hauts lieux,
Ils ont foulé aux pieds l’hostie et les faux dieux :
Vous apprendrez, valets, en honteuse vieillesse
A chanter au lettrain et répondre à la messe.
Trois Bourbons, autrefois de Rome la terreur,
Pourraient-ils voir du ciel, sans ire et sans horreur,
Leur ingrat successeur quitter leur trace et être
A rincer la canette, humble valet d’un prêtre,
Lui retordre la queue, et d’un cierge porté
Faire amende honorable à Satan redouté ?
Bourbon, que dirais-tu de ta race honteuse ?
Tu dirais, je le sais, que ta race est douteuse.
Ils ressusciteront ces pères triomphants,
Vous ressusciterez, détestables enfants :
Et honteux, condamnés sans fuites ni refuges,
Vos pères de ce temps alors seront vos juges.
Vrai est que les tyrans avec inique soin
Vous mirent à leurs pieds, en rejetant au loin
La véritable voix de tous clients fidèles,
Avec art vous privant de leurs sûres nouvelles.
Ils vous ont empêché d’apprendre que Louys,
Et comment il mourut pour Christ et son pays ;
Ils vous ont dérobé de vos aïeuls la gloire,
Imbu votre berceau de fables pour histoire,
Choisi, pour vous former en moines et cagots,
Ou des galants sans Dieu ou des pédants bigots.
Princes, qui vomissant la salutaire grâce
Tournez au ciel le dos et à l’enfer la face,
Qui, pour régner ici, esclaves vous rendez
Sans mesurer le gain à ce que vous perdez,
Vous faites éclater aux temples vos musiques :
Votre chute fera hurler vos domestiques.
Au jour de votre change on vous pare de blanc :
Au jour de son courroux Dieu vous couvre de sang.
Vous avez pris le pli d’athéistes profanes,
Aimé pour paradis les pompes courtisanes ;
Nourris d’un lait esclave, ainsi assujettis,
Le sens vainquit le sang et vous fit abrutis.

Ainsi de Scanderbeg l’enfance fut ravie
Sous de tels précepteurs, sa nature asservie
En un sérail coquin ; de délices friant,
II huma pour son lait la grandeur d’Orient,
Par la voix des muftis on emplit ses oreilles
Des faits de Mahomet et miracles de vieilles.
Mais le bon sang vainquit l’illusion des sens,
Lui faisant mépriser tant d’arborés croissants,
Les armes qui faisaient courber toute la terre,
Pour au grand Empereur oser faire la guerre
Par un petit troupeau ruiné, mal en point ;
Se fit chef de ceux qui ne le connaissaient point.
De là tant de combats, tant de faits, tant de gloire
Que chacun les peut lire et nul ne les peut croire.
Le ciel n’est plus si riche à nos nativités,
Il ne nous départ plus de générosités,
Ou bien nous trouverions de ces engeances hautes
Si les mères du siècle y faisaient moins de fautes :
Ces œufs en un nid ponds, et en l’autre couvés,
Se trouvent œufs d’aspic quand ils sont éprouvés ;
Plus tôt ne sont éclos que ces mortels vipères
Fichent l’ingrat fiçon dans le sein des faux pères.
Ou c’est que le règne est à servir condamné,
Ennemi de vertu et d’elle abandonné.
Quand le terme est échu des divines justices,
Les cœurs abâtardis sont infectés de vices ;
Dieu frappe le dedans, ôte premièrement
Et retire le don de leur entendement ;
Puis, sur le coup qu’il veut nous livrer en servage,
Il fait fondre le cœur et sécher le courage.

Or cependant, voici que promet sûrement,
Comme petits portraits du futur jugement,
L’Eternel aux méchants, et sa colère ferme
N’oublie, ains par rigueur se payera du terme.
Il n’y a rien du mien ni de l’homme en ce lieu,
Voici les propres mots des organes de Dieu :

« Vous qui persécutez par fer mon héritage,
Vos flancs ressentiront le prix de votre ouvrage,
Car je vous frapperai d’épais aveuglements,
Des plaies de l’Egypte et de forcènements.
Princes, qui commettez contre moi félonie,
Je vous arracherai le sceptre avant la vie ;
Vos filles se vendront, à vos yeux impuissants
On les violera : leurs effrois languissants
De vos bras enferrés n’auront point d’assistance.
Vos valets vous vendront à la brute puissance
De l’avare acheteur, pour tirer en sueurs
De vos corps, goutte à goutte, autant ou plus de pleurs
Que vos commandements n’en ont versé par terre.
Vermisseaux impuissants, vous m’avez fait la guerre,
Vos mains ont châtié la famille de Dieu,
O verges de mon peuple, et vous irez au feu.
Vous, barbares cités, quittez le nom de France
Attendant les esprits de la haute vengeance,
Vous qui de faux parfums enfumâtes l’éther,
Qui de si bas avez pu le ciel irriter ;
Il faut que ces vengeurs en vous justice rendent,
Que pour les recevoir vos murailles se fendent,
Et, comme en Hiéricho, vos bastions soient mis
En poudre, aux yeux, aux voix des braves ennemis
Vous, sanglantes cités, Sodomes aveuglées,
Qui, d’aveugles courroux contre Dieu déréglées,
N’avez transi d’horreur aux visages transis,
Puantes de la chair, du sang de mes occis.

« Entre toutes, Paris, Dieu en son cœur imprime
Tes enfants qui criaient sur la Hiérosolime,
A ce funeste jour que l’on la détruisait.
L’Eternel se souvient que chacun d’eux disait :
A sac, l’Eglise ! à sac ! qu’elle soit embrasée
Et jusqu’au dernier pied des fondements rasée !
Mais tu seras un jour labourée en sillons,
Babel, où l’on verra les os et les charbons,
Restes de ton palais et de ton marbre en cendre.
Bienheureux l’étranger qui te saura bien rendre
La rouge cruauté que tu as su chercher ;
Juste le reître noir, volant pour arracher
Tes enfants acharnés à ta mamelle impure,
Pour les froisser brisés contre la pierre dure ;
Maudit sera le fruit que tu tiens en tes bras,
Dieu maudira du ciel ce que tu béniras ;
Puante jusqu’au ciel, l’œil de Dieu te déteste,
Il attache à ton dos la dévorante peste,
Et le glaive et la faim, dont il fera mourir
Ta jeunesse et ton nom pour tout jamais périr.

Sous toi, Hierusalem meurtrière, révoltée,
Hierusalem qui es Babel ensanglantée.
« Comme en Hiérusalem diverses factions
Doubleront par les tiens tes persécutions,
Comme en Hierusalem de tes portes rebelles
Tes mutins te feront prisons et citadelles ;
Ainsi qu’en elle encor tes bourgeois affolés,
Tes boutefeux prendront le faux nom de zélés.
Tu mangeras comme elle un jour la chair humaine,
Tu subiras le joug pour la fin de ta peine,
Puis tu auras repos : ce repos sera tel
Que reçoit le mourant avant l’accès mortel.
Juifs parisiens, très justement vous êtes
Comme eux traîtres, comme eux massacreurs des prophètes
Je vois courir ces maux, approcher je les vois
Au siège languissant, par la main de ton Roi.
Cités ivres de sang, et encore altérées,
Qui avez soif de sang et de sang enivrées
Vous sentirez de Dieu l’épouvantable main :
Vos terres seront fer, et votre ciel d’airain,
Ciel qui au lieu de pluie envoie sang et poudre,
Terre de qui les blés n’attendent que le foudre.
Vous ne semez que vent en stériles sillons,
Vous n’y moissonnerez que volants tourbillons,
Qui à vos yeux pleurants, folle et vaine canaille,
Feront pirouetter les épis et la paille.
Ce qui en restera et deviendra du grain
D’une bouche étrangère étanchera la faim.
Dieu suscite de loin, comme une épaisse nue,
Un peuple tout sauvage, une gent inconnue,
Impudente du front, qui n’aura, triomphant,
Ni respect du vieillard ni pitié de l’enfant,
A qui ne servira la piteuse harangue :
Tes passions n’auront l’usage de la langue.
De tes faux citoyens les détestables corps
Et les chefs traîneront, exposés au-dehors :
Les corbeaux éjouis, tout gorgés de charongne,
Ne verront alentour aucun qui les éloigne.
Tes ennemis feront, au milieu de leur camp,
Foire de tes plus forts, qui vendus à l’encan
Ne seront enchéris. Aux villes assiégées
L’œil have et affamé des femmes enragées
Regardera la chair de leurs maris aimés ;
Les maris forcenés lanceront affamés
Les regards allouvis sur les femmes aimées,
Et les déchireront de leurs dents affamées.
Quoi plus ? celles qui lors en deuil enfanteront
Les enfants demi-nés du ventre arracheront,
Et du ventre à la bouche, afin qu’elles survivent,
Porteront l’avorton et les peaux qui le suivent. »

Ce sont du jugement à venir quelques traits,
De l’enfer préparé les débiles portraits ;
Ce ne sont que miroirs des peines éternelles :
O quels seront les corps dont les ombres sont telles !

Athéistes vaincus, votre infidélité
N’amusera le cours de la Divinité ;
L’Eternel jugera et les corps et les âmes,
Les bénis à la gloire et les autres aux flammes.
Le corps cause du mal, complice du péché,
Des verges de l’esprit est justement touché.
Il est cause du mal : du juste la justice
Ne versera sur l’un de tous deux le supplice.
De ce corps les cinq sens ont ému les désirs ;
Les membres, leurs valets, ont servi aux plaisirs :
Encor plus criminels sont ceux-là qui incitent.
Or, s’il les faut punir, il faut qu’ils ressuscitent.
Je dis plus, que la chair par contagion rend
Violence à l’esprit qui longtemps se défend :
Elle, qui de raison son âme pille et prive,
II faut que pour sentir la peine elle revive.

N’apportez point ici, Sadduciens pervers,
Les corps mangés des loups : qui les tire des vers
Des loups les tirera. Si on demande comme
Un homme sortira hors de la chair de l’homme
Qui l’aura dévoré, quand l’homme par la faim
Aux hommes a servi de viande et de pain,
En vain vous avez peur que la chair dévorée
Soit en dispute à deux : la nature ne crée
Nulle confusion parmi les éléments,
Elle sait distinguer d’entre les excréments
L’ordre qu’elle se garde ; ainsi elle demande
A l’estomac entière et pure la viande,
La nourriture impropre est sans corruption
Au feu de l’estomac par l’indigestion.
Et Nature, qui est grand principe de vie,
N’a-t-elle le pouvoir qu’aura la maladie ?
Elle, qui du confus de tout tempérament
Fait un germe parfait tiré subtilement,
Ne peut-elle choisir de la grande matière
La naissance seconde ainsi que la première ?

Enfants de vanité, qui voulez tout poli,
A qui le style saint ne semble assez joli,
Qui voulez tout coulant, et coulez périssables
Dans l’éternel oubli, endurez mes vocables
Longs et rudes ; et, puisque les oracles saints
Ne vous émeuvent pas, aux philosophes vains
Vous trouverez encore, en doctrine cachée,
La résurrection par leurs écrits prêchée.

Ils ont chanté que quand les esprits bienheureux
Par la voie de lait auront fait nouveaux feux,
Le grand moteur fera, par ses métamorphoses,
Retourner mêmes corps au retour de leurs causes.
L’air, qui prend de nouveau toujours de nouveaux corps,
Pour loger les derniers met les premiers dehors ;
Le feu, la terre et l’eau en font de même sorte.
Le départ éloigné de la matière morte
Fait son rond et retourne encore en même lieu,
Et ce tour sent toujours la présence de Dieu.
Ainsi le changement ne sera la fin nôtre,
Il nous change en nous-même et non point en un autre,
Il cherche son état, fin de son action :
C’est au second repos qu’est la perfection.
Les éléments, muant en leurs règles et sortes,
Rappellent sans cesser les créatures mortes
En nouveaux changements : le but et le plaisir
N’est pas là, car changer est signe de désir.
Mais quand le ciel aura achevé la mesure,
Le rond de tous ses ronds, la parfaite figure,
Lorsque son encyclie aura parfait son cours
Et ses membres unis pour la fin de ses tours,
Rien ne s’engendrera : le temps, qui tout consomme,
En l’homme amènera ce qui fut fait pour l’homme ;
Lors la matière aura son repos, son plaisir,
La fin du mouvement et la fin du désir.

Quant à tous autres corps qui ne pourront renaître,
Leur être et leur état était de ne plus être.
L’homme, seul raisonnable, eut l’âme de raison ;
Cette âme unit à soi, d’entière liaison,
Ce corps essentié du pur de la nature
Qui doit durer autant que la nature dure.
Les corps des bêtes sont de nature excrément,
Desquels elle se purge et dispose autrement,
Comme matérielle étant leur forme, et pource
Que de matière elle a sa puissance et sa source,
Cette puissance mise en acte par le corps.
Mais l’âme des humains toute vient du dehors ;
Et l’homme, qui raisonne une gloire éternelle,
Hôte d’éternité, se fera tel comme elle.
L’âme, toute divine, eut inclination
A son corps, et cette âme, à sa perfection,
Pourra-t-elle manquer de ce qu’elle souhaite,
Oublier ou changer sans se faire imparfaite ?
Ce principe est très vrai que l’instinct naturel
Ne souffre manquement qui soit perpétuel.
Quand nous considérons l’airain qui s’achemine
De la terre bien cuite en métal, de la mine
Au fourneau ; du fourneau on l’affine ; l’ouvrier
Le mène à son dessein pour fondre un chandelier :
Nul de tous ces états n’est la fin, sinon celle
Qu’avait l’entrepreneur pour but en sa cervelle.
Notre efformation, notre dernier repos
Est selon l’exemplaire et le but et propos
De la cause première : âme qui n’est guidée
De prototype, étant soi-même son idée.
L’homme à sa gloire est fait : telle création
Du but de l’Eternel prend efformation.
Ce qui est surcéleste et sur nos connaissances,
Partage du très pur et des intelligences,
(Si lieu se peut nommer) sera le sacré lieu
Anobli du changer, habitacle de Dieu ;
Mais ce qui a servi au monde sous-céleste,
Quoique très excellent, suivra l’état du reste.
L’homme, de qui l’esprit et penser est porté
Dessus les cieux des cieux, vers la Divinité,
A servir, adorer, contempler et connaître,
Puisqu’il n’y a mortel que l’abject du bas être,
Est exempt de la loi qui sous la mort le rend
Et de ce privilège a le ciel pour garant.

Si aurez-vous, païens, pour juges vos pensées,
Sans y penser au vent par vous-mêmes poussées
En vos laborieux et si doctes écrits,
Où entiers vous voulez, compagnons des esprits,
Avoir droit quelque jour : de vos sens le service,
Et vos doigts auraient-ils fait un si haut office
Pour n’y participer ? Nenni, vos nobles cœurs,
Pour des esprits ingrats n’ont semé leurs labeurs.
Si vos sens eussent cru s’en aller en fumée
Ils n’eussent tant sué pour la grand renommée.
Les pointes de Memphis, ses grands arcs triomphaux,
Obélisques logeant les cendres aux lieux hauts,
Les travaux sans utile élevés pour la gloire
Promettaient à vos sens part en cette mémoire.

Qu’ai-je dit de la cendre élevée en haut lieu ?
Ajoutons que le corps n’était mis au milieu
Des bustes ou bûchers, mais en cime à la pointe,
Et, pour montrer n’avoir toute espérance éteinte,
La face découverte, ouverte vers les cieux,
Vide d’esprit, pour soi espérait quelque mieux.
Mais à quoi pour les corps ces dépenses étranges,
Si ces corps n’étaient plus que cendres et que fanges ?
A quoi tant pour un rien ? à quoi les rudes lois
Qui arment les tombeaux de franchises et droits
Dont vous aviez orné les corps morts de vos pères ?
Appelez-vous en vain sacrés vos cimetières ?

Ces portraits excellents, gardés de père en fils,
De bronze pour durer, de marbre, d’or exquis,
Ont-ils portrait les corps, ou l’âme qui s’envole ?
La Reine de Carie a mis pour son Mausole
Tant de marbre et d’ivoire, et, qui plus est encor
Que l’ivoire et le marbre, elle a pour son trésor
En garde à son cher cœur cette cendre commise :
Son sein fut un sépulcre ; et la brave Artémise
A de l’antiquité les proses et les vers.
Elle a fait exalter par tout cet univers
Son ouvrage construit d’étoffe non-pareille,
Vous en avez dressé la seconde merveille :
Vos sages auraient-ils tant écrit et si bien
A chanter un erreur, à exalter un rien ?

Vous appelez divins les deux où je veux prendre
Ces axiomes vrais : oyez chanter Pymandre,
Apprenez dessous lui les secrets qu’il apprend
De Mercure, par vous nommé trois fois très grand.

De tout la gloire est Dieu ; cette essence divine
Est de l’universel principe et origine ;
Dieu, Nature et pensée, est en soi seulement
Acte, nécessité, fin, renouvellement.

A son point il conduit astres et influences
En cercles moindres, grands sous leurs intelligences,
Ou anges par qui sont les esprits arrêtés
Dès la huitième sphère à leur corps apprêtés,
Démons distributeurs des renaissantes vies
Et des arrêts qu’avaient écrits les encyclies.
Ces officiers du ciel, diligents et discrets,
Administrent du ciel les mystères secrets,
Et insensiblement ménagent en ce monde
De naître et de finir toute cause seconde.
Tout arbre, graine, fleur, et bête tient de quoi
Se resemer soi-même et revivre par soi.
Mais la race de l’homme a la tête levée,
Pour commander à tout chèrement réservée :
Un témoin de Nature à discerner le mieux,
Augmenter, se mêler dans les discours des dieux.
A connaître leur être et nature et puissance,
A prononcer des bons et mauvais la sentence.
Cela se doit résoudre et finir hautement
En ce qui produira un ample enseignement.
Quand des divinités le cercle renouvelle,
Le monde a conspiré que Nature éternelle
Se maintienne par soi, puisse pour ne périr
Revivre de sa mort et sèche refleurir.
Voyez dedans l’ouvroir du curieux chimique :
Quand des plantes l’esprit et le sel il pratique,
Il réduit tout en cendre, en fait lessive, et fait
De cette mort revivre un ouvrage parfait,
L’exemplaire secret des idées encloses
Au sépulcre ranime et les lis et les roses,
Racines et rameaux, tiges, feuilles et fleurs
Qui font briller aux yeux les plus vives couleurs,
Ayant le feu pour père, et pour mère la cendre.
Leur résurrection doit aux craintifs apprendre
Que les brûlés, desquels on met la cendre au vent,
Se relèvent plus vifs et plus beaux que devant.
Que si Nature fait tels miracles aux plantes
Qui meurent tous les ans, tous les ans renaissantes,
Elle a d’autres secrets et trésors de grand prix
Pour le prince établi au terrestre pourpris.
Le monde est animant, immortel ; il n’endure
Qu’un de ses membres chers autant que lui ne dure :
Ce membre de haut prix, c’est l’homme raisonnant,
Du premier animal le chef-d’œuvre éminent ;
Et quand la mort dissout son corps, elle ne tue
Le germe non mortel qui le tout restitue.
La dissolution qu’ont soufferte les morts
Les prive de leurs sens, mais ne détruit les corps ;
Son office n’est pas que ce qui est périsse,
Bien, que tout le caduc renaisse et rajeunisse.
Nul esprit ne peut naître, il paraît de nouveau ;
L’esprit n’oublie point ce qui reste au tombeau.

Soit l’image de Dieu l’éternité profonde,
De cette éternité soit l’image le monde,
Du monde le soleil sera l’image et l’œil,
Et l’homme est en ce monde image du soleil.

Païens, qui adorez l’image de Nature,
En qui la vive voix, l’exemple et l’Écriture
N’autorise le vrai, qui dites : « Je ne crois
Si du doigt et de l’œil je ne touche et ne vois »,
Croyez comme Thomas, au moins après la vue.
Il ne faut point voler au-dessus de la nue,
La terre offre à vos sens de quoi le vrai sentir,
Pour vous convaincre assez, sinon vous convertir.

La terre en plusieurs lieux conserve sans dommage
Les corps, si que les fils marquent de leur lignage,
Jusques à cent degrés, les organes parés
A loger les esprits qui furent séparés ;
Nature ne les veut frustrer de leur attente.
Tel spectacle en Aran à qui veut se présente.
Mais qui veut voir le Caire, et en un lieu préfix
Le miracle plus grand de l’antique Memphis,
Justement curieux et pour s’instruire prenne
Autant, ou un peu moins de péril et de peine
Que le bigot séduit, qui de femme et d’enfants
Oublie l’amitié, pour abréger ses ans
Au labeur trop ingrat d’un sot et long voyage.
Si de Syrte et Charybde il ne tombe au naufrage,
Si de peste il ne meurt, du mal de mer, du chaud,
Si le corsaire turc le navire n’assaut,
Ne le met à la chiourme, et puis ne l’endoctrine
A coups d’un roide nerf à ployer sur l’échine,
Il voit Jérusalem et le lieu supposé
Où le Turc menteur dit que Christ a reposé,
Rit et vend cher son ris : les sottes compagnies
Des pèlerins s’en vont, affrontés de vanies.
Ce voyage est fâcheux, mais plus rude est celui
Que les faux musulmans font encore aujourd’hui,
Soit des deux bords voisins de l’Europe et d’Asie,
Soit de l’Archipelage ou de la Natolie,
Ceux qui boivent d’Euphrate ou du Tigre les eaux,
Auxquels il faut passer les périlleux monceaux
Et percer les brigands d’Arabie déserte,
Ou ceux de Tripoli, de Panorme, Biserte,
Le riche Egyptien et les voisins du Nil.
Ceux-là vont méprisant tout labeur, tout péril
De la soif sans liqueur, des tourmentes de sables
Qui enterrent dans soi tout vifs les misérables ;
Qui à pied, qui sur l’âne, ou lié comme un veau
A ondes va pelant les bosses d’un chameau,
Pour voir la Mecque, ou bien Talnaby de Médine.
Là cette caravane et bigote et badine
Adore Mahomet dans le fer étendu,
Que la voûte d’aimant tient en l’air suspendu ;
Là se crève les yeux la bande musulmane
Pour, après lieu si saint, ne voir chose profane.

Je donne moins de peine aux curieux païens,
Des chemins plus aisés, plus faciles moyens,
Tous les puissants marchands de ce nôtre hémisphère
Comptent pour pourmenoir le chemin du grand Caire
Là près est la colline où vont de toutes parts
Au point de l’équinoxe, au vingte-cinq de Mars,
La gent qui comme un camp loge dessous la tente,
Quand la terre paraît verte, ressuscitante,
Pour voir le grand tableau qu’Ezéchiel dépeint,
Merveille bien visible et miracle non feint,
La résurrection ; car de ce nom l’appelle
Toute gent qui court là, l’un pour chose nouvelle,
L’autre pour y chercher avec la nouveauté
Un bain miraculeux, ministre de santé.
L’œil se plaît en ce lieu, et puis des mains l’usage
Redonne aux yeux troublés un ferme témoignage.
On voit les os couverts de nerfs, les nerfs de peau,
La tête de cheveux ; on voit, à ce tombeau,
Percer en mille endroits les arènes bouillantes
De jambes et de bras et de têtes grouillantes.
D’un coup d’œil on peut voir vingt mille spectateurs
Soupçonner ce qu’on voit, muets admirateurs ;
Peu ou point, élevant ces œuvres non-pareilles,
Lèvent le doigt en haut vers le Dieu des merveilles.
Quelqu’un, d’un jeune enfant, en ce troupeau, voyant
Les cheveux crêpelus, le teint frais, l’œil riant,
L’empoigne, mais, oyant crier un barbe grise
Ante matharafde kali, quitte la prise.

De père en fils, l’Eglise a dit qu’au temps passé
Un troupeau de chrétiens, pour prier amassé,
Fut en pièces taillé par les mains infidèles
Et rendit en ce lieu les âmes immortelles,
Qui, pour donner au corps gage de leurs amours,
Leur donnent tous les ans leur présence trois jours.
Ainsi, le ciel d’accord uni à votre mère,
Ces deux, fils de la terre, en ce lieu veulent faire
Votre leçon, daignant en ce point s’approcher
Pour un jour leur miracle à vos yeux reprocher.

Doncques chacun de vous, pauvres païens, contemple,
Par l’effort des raisons ou celui de l’exemple,
Ce que jadis sentit le troupeau tant prisé
Des écrits où Nature avait thésaurisé,
Bien que du sens la taie eût occupé leur vue,
Qu’il y ait toujours eu le voile de la nue
Entre eux et le soleil : leur manque, leur défaut
Vous fasse désirer de vous lever plus haut.
Haussez-vous sur les monts que le soleil redore,
Et vous prendrez plaisir de voir plus haut encore.
Ces hauts monts que je dis sont prophètes, qui font
Demeure sur les lieux où les nuages sont ;
C’est le cahier sacré, le palais des lumières ;
Les sciences, les arts ne sont que chambrières.
Suivez, aimez Sara, si vous avez dessein
D’être fils d’Abraham, retirés en son sein :
Là les corps des humains et les âmes humaines,
Unis aux grands triomphes aussi bien comme aux peines,
Se rejoindront ensemble, et prendront en ce lieu
Dans leurs fronts honorés l’image du grand Dieu.

Réjouissez-vous donc, ô vous âmes célestes ;
Car vous vous référez de vos piteuses restes ;
Réjouissez-vous donc, corps guéris du mépris,
Heureux vous reprendrez vos plus heureux esprits.
Vous voulûtes, esprits, et le ciel et l’air fendre
Pour aux corps préparés du haut du ciel descendre,
Vous les cherchâtes lors : ore ils vous chercheront,
Ces corps par vous aimés encor vous aimeront.
Vous vous fîtes mortels pour vos pauvres femelles,
Elles s’en vont pour vous et par vous immortelles.

Mais quoi ! c’est trop chanté, il faut tourner les yeux
Éblouis de rayons dans le chemin des cieux.
C’est fait, Dieu vient régner, de toute prophétie
Se voit la période à ce point accomplie.
La terre ouvre son sein, du ventre des tombeaux
Naissent des enterrés les visages nouveaux :
Du pré, du bois, du champ, presque de toutes places
Sortent les corps nouveaux et les nouvelles faces.
Ici les fondements des châteaux rehaussés
Par les ressuscitants promptement sont percés ;
Ici un arbre sent des bras de sa racine
Grouiller un chef vivant, sortir une poitrine ;
Là l’eau trouble bouillonne, et puis s’éparpillant
Sent en soi des cheveux et un chef s’éveillant.
Comme un nageur venant du profond de son plonge,
Tous sortent de la mort comme l’on sort d’un songe.
Les corps par les tyrans autrefois déchirés
Se sont en un moment en leurs corps asserrés,
Bien qu’un bras ait vogué par la mer écumeuse
De l’Afrique brûlée en Tylé froiduleuse.
Les cendres des brûlés volent de toutes parts ;
Les brins plus tôt unis qu’ils ne furent épars
Viennent à leur poteau, en cette heureuse place,
Riants au ciel riant d’une agréable audace.
Le curieux s’enquiert si le vieux et l’enfant
Tels qu’ils sont jouiront de l’état triomphant,
Leurs corps n’étant parfaits, ou défaits en vieillesse ?
Sur quoi la plus hardie ou plus haute sagesse
Ose présupposer que la perfection
Veut en l’âge parfait son élévation,
Et la marquent au point des trente-trois années
Qui étaient en Jésus closes et terminées
Quand il quitta la terre et changea, glorieux,
La croix et le sépulcre au tribunal des cieux.
Venons de cette douce et pieuse pensée
A celle qui nous est aux saints écrits laissée.

Voici le Fils de l’homme et du grand Dieu le Fils,
Le voici arrivé à son terme préfix.
Déjà l’air retentit et la trompette sonne,
Le bon prend assurance et le méchant s’étonne.
Les vivants sont saisis d’un feu de mouvement,
Ils sentent mort et vie en un prompt changement,
En une période ils sentent leurs extrêmes ;
Ils ne se trouvent plus eux-mêmes comme eux-mêmes,
Une autre volonté et un autre savoir
Leur arrache des yeux le plaisir de se voir,
Le ciel ravit leurs yeux : des yeux premiers l’usage
N’eût pu du nouveau ciel porter le beau visage.
L’autre ciel, l’autre terre ont cependant fui,
Tout ce qui fut mortel se perd évanoui.
Les fleuves sont séchés, la grand mer se dérobe,
Il fallait que la terre allât changer de robe.
Montagnes, vous sentez douleurs d’enfantements ;
Vous fuyez comme agneaux, ô simples éléments !
Cachez-vous, changez-vous ; rien mortel ne supporte
Le front de l’Éternel ni sa voix rude et forte.
Dieu paraît : le nuage entre lui et nos yeux
S’est tiré à l’écart, il s’est armé de feux ;
Le ciel neuf retentit du son de ses louanges ;
L’air n’est plus que rayons tant il est semé d’Anges,
Tout l’air n’est qu’un soleil ; le soleil radieux
N’est qu’une noire nuit au regard de ses yeux,
Car il brûle le feu, au soleil il éclaire,
Le centre n’a plus d’ombre et ne fuit sa lumière.

Un grand Ange s’écrie à toutes nations :
« Venez répondre ici de toutes actions,
L’Eternel veut juger. » Toutes âmes venues
Font leurs sièges en rond en la voûte des nues,
Et là les Chérubins ont au milieu planté
Un trône rayonnant de sainte majesté.
Il n’en sort que merveille et qu’ardente lumière,
Le soleil n’est pas fait d’une étoffe si claire ;
L’amas de tous vivants en attend justement
La désolation ou le contentement.
Les bons du Saint Esprit sentent le témoignage,
L’aise leur saute au cœur et s’épand au visage :
Car s’ils doivent beaucoup, Dieu leur en a fait don ;
Ils sont vêtus de blanc et lavés de pardon.
O tribus de Juda î vous êtes à la dextre ;
Edom, Moab, Agar tremblent à la senestre.
Les tyrans abattus, pâles et criminels,
Changent leurs vains honneurs aux tourments éternels ;
Ils n’ont plus dans le front la furieuse audace,
Ils souffrent en tremblant l’impérieuse face,
Face qu’ils ont frappée, et remarquent assez
Le chef, les membres saints qu’ils avaient transpercés :
Ils le virent lié, le voici les mains hautes,
Ces sévères sourcils viennent conter leurs fautes ;
L’innocence a changé sa crainte en majestés,
Son roseau en acier tranchant des deux côtés,
Sa croix au tribunal de présence divine ;
Le ciel l’a couronné, mais ce n’est plus d’épine.
Ores viennent trembler à cet acte dernier
Les condamneurs aux pieds du juste prisonnier.

Voici le grand héraut d’une étrange nouvelle,
Le messager de mort, mais de mort éternelle.
Qui se cache, qui fuit devant les yeux de Dieu ?
Vous, Caïns fugitifs, où trouverez-vous lieu ?
Quand vous auriez les vents collés sous vos aisselles,
Ou quand l’aube du jour vous prêterait ses ailes,
Les monts vous ouvriraient le plus profond rocher,
Quand la nuit tâcherait en sa nuit vous cacher,
Vous enceindre la mer, vous enlever la nue,
Vous ne fuiriez de Dieu ni le doigt ni la vue.
Or voici les lions de torches acculés,
Les ours à nez percés, les loups emmuselés.
Tout s’élève contre eux ; les beautés de Nature
Que leur rage troubla de venin et d’ordure
Se confrontent en mire et se lèvent contre eux :
« Pourquoi, dira le feu, avez-vous de mes feux
Qui n’étaient ordonnés qu’à l’usage de vie
Fait des bourreaux, valets de votre tyrannie ? »
L’air encore une fois contre eux se troublera,
Justice au Juge saint, trouble, demandera,
Disant : « Pourquoi, tyrans et furieuses bêtes,
M’empoisonnâtes-vous de charognes, de pestes,
Des corps de vos meurtris ? » — « Pourquoi, diront les eaux,
Changeâtes-vous en sang l’argent de nos ruisseaux ? »
Les monts qui ont ridé le front à vos supplices :
« Pourquoi nous avez-vous rendus vos précipices ? »
Pourquoi nous avez-vous, diront les arbres, faits
D’arbres délicieux exécrables gibets ? »
Nature blanche, vive et belle de soi-même,
Présentera son front ridé, fâcheux et blême
Aux peuples d’Italie, et puis aux nations
Qui les ont enviés en leurs inventions
Pour, de poison mêlé au milieu des viandes,
Tromper l’amère mort en ses liqueurs friandes,
Donner au meurtre faux le métier de nourrir,
Et sous les fleurs de vie embûcher le mourir.
La terre, avant changer de lustre, se vient plaindre
Qu’en son ventre l’on fit ses chers enfants éteindre
En les enterrant vifs, l’ingénieux bourreau
Leur dressant leur supplice en leur premier berceau.
La mort témoignera comment ils l’ont servie,
La vie prêchera comment ils l’ont ravie,
L’enfer s’éveillera, les calomniateurs
Cette fois ne seront faux prévaricateurs :
Les livres sont ouverts, là paraissent les rôles
De nos sales péchés, de nos vaines paroles,
Pour faire voir du Père aux uns l’affection,
Aux autres la justice et l’exécution.

Conduis, très saint Esprit, en cet endroit ma bouche,
Que par la passion plus exprès je ne touche
Que ne permet ta règle, et que, juge léger,
Je n’attire sur moi jugement pour juger.
Je n’annoncerai donc que ce que tu annonce,
Mais je prononce autant comme ta loi prononce ;
Je ne marque de tous que l’homme condamné
A qui mieux il vaudrait n’avoir pas été né.

Voici donc, Antéchrist, l’extrait des faits et gestes :
Tes fornications, adultères, incestes,
Les péchés où nature est tournée à l’envers,
La bestialité, les grands bourdeaux ouverts,
Le tribut exigé, la bulle demandée
Qui a la sodomie en été concédée ;
La place de tyran conquise par le fer,
Les fraudes qu’exerça ce grand tison d’enfer,
Les empoisonnements, assassins, calomnies,
Les dégâts des pays, des hommes et des vies
Pour attraper les clefs ; les contrats, les marchés
Des diables stipulants subtilement couchés ;
Tous ceux-là que Satan empoigna dans ce piège,
Jusques à la putain qui monta sur le siège.
L’aîné fils de Satan se souviendra, maudit,
De son trône élevé d’avoir autrefois dit :
« La gent qui ne me sert, ains contre moi conteste,
Périra de famine et de guerre et de peste.
Rois et Reines viendront au siège où je me sieds,
Le front en bas, lécher la poudre sous mes pieds.
Mon règne est à jamais, ma puissance éternelle,
Pour monarque me sert l’Eglise universelle ;
Je maintiens le Papat tout-puissant en ce lieu
Où, si Dieu je ne suis, pour le moins vice-Dieu. »
Fils de perdition, il faut qu’il te souvienne
Quand le serf commandeur de la gent rhodienne,
Vautré, baisa tes pieds, infâme serviteur,
Puis chanta se levant : « Or laisse, créateur. »

Apollyon, tu as en ton impure table
Prononcé, blasphémant, que Christ est une fable ;
Tu as renvoyé Dieu comme assez empêché
Aux affaires du ciel, faux homme de péché.

Or faut-il à ses pieds ces blasphèmes et titres
Poser, et avec eux les tiares, les mitres,
La bannière d’orgueil, fausses clefs, fausses croix,
Et la pantoufle aussi qu’ont baisé tant de Rois.
Il se voit à la gauche un monceau qui éclate
De chapes d’or, d’argent, de bonnets d’écarlate :
Prélats et cardinaux là se vont dépouiller
Et d’inutiles pleurs leurs dépouilles mouiller.
Là faut représenter la mitre héréditaire,
D’où Jules tiers ravit le grand nom de mystère
Pour, mentant, et cachant ces titres blasphémants,
Y subroger le sien écrit en diamants.

« A droite, l’or y est une dépouille rare :
On y voit un monceau des haillons du Lazare.
Enfants du siècle vain, fils de la vanité,
C’est à vous à traîner la honte et nudité,
A crier enroués, d’une gorge embrasée,
Pour une goutte d’eau l’aumône refusée :
Tous vos refus seront payés en un refus.

Les criminels adonc par ce procès confus,
La gueule de l’enfer s’ouvre en impatience,
Et n’attend que de Dieu la dernière sentence,
Qui, à ce point, tournant son œil bénin et doux,
Son œil tel que le montre à l’épouse l’époux,
Se tourne à la main droite, où les heureuses vues
Sont au trône de Dieu sans mouvement tendues,
Extatiques de joie et franches de souci.
Leur Roi donc les appelle et les fait rois ainsi :

« Vous qui m’avez vêtu au temps de la froidure,
Vous qui avez pour moi souffert peine et injure,
Qui à ma sèche soif et à mon âpre faim
Donnâtes de bon cœur votre eau et votre pain,
Venez, race du ciel, venez élus du Père ;
Vos péchés sont éteints, le Juge est votre frère ;
Venez donc, bienheureux, triompher pour jamais
Au royaume éternel de victoire et de paix. »

A ce mot tout se change en beautés éternelles.
Ce changement de tout est si doux aux fidèles !
Que de parfaits plaisirs ! O Dieu, qu’ils trouvent beau
Cette terre nouvelle et ce grand ciel nouveau !

Mais d’autre part, sitôt que l’Eternel fait bruire
A sa gauche ces mots, les foudres de son ire,
Quand ce Juge, et non Père, au front de tant de Rois
Irrévocable pousse et tonne cette voix :
« Vous qui avez laissé mes membres aux froidures,
Qui leur avez versé injures sur injures,
Qui à ma sèche soif et à mon âpre faim
Donnâtes fiel pour eau et pierre au lieu de pain,
Allez, maudits, allez grincer vos dents rebelles
Au gouffre ténébreux des peines éternelles ! »
Lors, ce front qui ailleurs portait contentement
Porte à ceux-ci la mort et l’épouvantement.
II sort un glaive aigu de la bouche divine,
L’enfer glouton, bruyant, devant ses pieds chemine.
D’une laide terreur les damnables transis,
Même dès le sortir des tombeaux obscurcis
Virent bien d’autres yeux le ciel suant de peine,
Lorsqu’il se préparait à leur peine prochaine ;
Et voici de quels yeux virent les condamnés
Les beaux jours de leur règne en douleurs terminés.

Ce que le monde a vu d’effroyables orages,
De gouffres caverneux et de monts de nuages
De double obscurité, dont, au profond milieu,
Le plus creux vomissait des aiguillons de feu,
Tout ce qu’au front du ciel on vit onc de colères
Était sérénité. Nulles douleurs amères
Ne troublent le visage et ne changent si fort,
La peur, l’ire et le mal, que l’heure de la mort :
Ainsi les passions du ciel autrefois vues
N’ont peint que son courroux dans les rides des nues
Voici la mort du ciel en l’effort douloureux
Qui lui noircit la bouche et fait saigner les yeux.
Le ciel gémit d’ahan, tous ses nerfs se retirent,
Ses poumons près à près sans relâche respirent.
Le soleil vêt de noir le bel or de ses feux,
Le bel œil de ce monde est privé de ses yeux ;
L’âme de tant de fleurs n’est plus épanouie,
II n’y a plus de vie au principe de vie :
Et, comme un corps humain est tout mort terrassé
Dès que du moindre coup au cœur il est blessé,
Ainsi faut que le monde et meure et se confonde
Dès la moindre blessure au soleil, cœur du monde.
La lune perd l’argent de son teint clair et blanc,
La lune tourne en haut son visage de sang ;
Toute étoile se meurt : les prophètes fidèles
Du destin vont souffrir éclipses éternelles.
Tout se cache de peur : le feu s’enfuit dans l’air,
L’air en l’eau, l’eau en terre ; au funèbre mêler
Tout beau perd sa couleur. Et voici tout de mêmes
A la pâleur d’en haut tant de visages blêmes
Prennent l’impression de ces feux obscurcis,
Tels qu’on voit aux fourneaux paraître les transis.
Mais plus, comme les fils du ciel ont au visage
La forme de leur chef, de Christ la vive image,
Les autres de leur père ont le teint et les traits,
Du prince Beelzebub véritables portraits.
A la première mort ils furent effroyables,
La seconde redouble, où les abominables
Crient aux monts cornus : « O monts, que faites-vous ?
Ebranlez vos rochers et vous crevez sur nous ;
Cachez-nous, et cachez l’opprobre et l’infamie
Qui, comme chiens, nous met hors la cité de vie ;
Cachez-nous pour ne voir la haute majesté
De l’Agneau triomphant sur le trône monté. »
Ce jour les a pris nus, les étouffe de craintes
Et de pires douleurs que les femmes enceintes.
Voici le vin fumeux, le courroux méprisé
Duquel ces fils de terre avaient thésaurisé.
De la terre, leur mère, ils regardent le centre :
Cette mère en douleur sent mi-partir son ventre
Où les serfs de Satan regardent frémissants
De l’enfer aboyant les tourments renaissants,
L’étang de soufre vif qui rebrûle sans cesse,
Les ténèbres épais plus que la nuit épaisse.
Ce ne sont des tourments inventés des cagots
Et présentés aux yeux des infirmes bigots ;
La terre ne produit nul crayon qui nous trace
Ni du haut paradis ni de l’enfer la face.

Vous avez dit, perdus : « Notre nativité
N’est qu’un sort ; notre mort, quand nous aurons été,
Changera notre haleine en vent et en fumée.
Le parler est du cœur l’étincelle allumée :
Ce feu éteint, le corps en cendre deviendra,
L’esprit comme air coulant parmi l’air s’épandra.
Le temps avalera de nos faits la mémoire,
Comme un nuage épais étend sa masse noire,
L’éclaircit, la départ, la dérobe à notre œil :
C’est un brouillard chassé des rayons du soleil :
JUGEMENT

Baisse donc, Éternel, tes hauts cieux pour descendre,
Frappe les monts cornus, fais-les fumer et fendre ;
Loge le pâle effroi, la damnable terreur
Dans le sein qui te hait et qui loge l’erreur ;
Donne aux faibles agneaux la salutaire crainte,
La crainte, et non la peur, rende la peur éteinte.
Pour me faire instrument à ces effets divers
Donne force à ma voix, efficace à mes vers ;
A celui qui t’avoue, ou bien qui te renonce,
Porte l’heur ou malheur, l’arrêt que je prononce.

Pour néant nous semons, nous arrosons en vain,
Si l’esprit de vertu ne porte de sa main
L’heureux accroissement. Pour les hautes merveilles
Les Pharaons ferrés n’ont point d’yeux, point d’oreilles,
Mais Paul et ses pareils à la splendeur d’en haut
Prennent l’étonnement pour changer comme il faut.
Dieu veut que son image en nos cœurs soit empreinte,
Être craint par amour et non aimé par crainte ;
Il hait la pâle peur d’esclaves fugitifs,
II aime ses enfants amoureux et craintifs.

Qui seront les premiers sur lesquels je déploie
Ce paquet à malheurs ou de parfaite joie ?
Je viens à vous, des deux fidèle messager,
De la gêne sans fin à qui ne veut changer,
Et à qui m’entendra, comme Paul Ananie,
Ambassadeur portant et la vue et la vie.

A vous la vie, à vous qui pour Christ la perdez,
Et qui en la perdant très sûre la rendez,
La mettez en lieu fort, imprenable, en bonne ombre,
N’attachant la victoire et le succès au nombre,
A vous, soldats sans peur, qui presque en toutes parts
Voyez vos compagnons par la frayeur épars,
Ou, par l’espoir de l’or, les fréquentes révoltes,
Satan qui prend l’ivraie et en fait ses récoltes.
Dieu tient son van trieur pour mettre l’aire en point
Et consumer l’éteule au feu qui ne meurt point.
Ceux qui à l’eau d’Oreb feront leur ventre boire
Ne seront point choisis compagnons de victoire.
Le Gédéon du ciel, que ses frères voulaient
Mettre aux mains des tyrans, alors qu’ils les foulaient,
Détruisant par sa mort un angélique ouvrage,
Aimant mieux être serfs que suivre un haut courage,
Le grand Jérubaal n’en tria que trois cents,
Prenant les diligents pour dompter les puissants,
Vainqueur maugré les siens, qui, par poltronnerie,
Refusaient à son heur l’assistance et la vie.
Quand vous verrez encor les asservis mâtins
Dire : « Nous sommes serfs des princes philistins »,
Vendre à leurs ennemis leurs Samsons et leurs braves,
Sortez trois cents choisis, et de cœurs non esclaves,
Sans compter Israël ; lappez en hâte l’eau,
Et Madian sera défait par son couteau.
Les trente mille avaient ôté l’air à vos faces :
A vos fronts triomphants ils vont quitter leurs places.
Vos grands vous étouffaient, magnanimes guerriers :
Vous lèverez en haut la cime à vos lauriers.
Du fertil champ d’honneur Dieu cercle ces épines
Pour en faire sucer l’humeur à vos racines.
Si même de vos troncs vous voyez assécher
Les rameaux vos germains, c’est qu’ils soûlaient cacher
Et vos fleurs et vos fruits et vos branches plus vertes,
Qui plus rempliront Pair étant plus découvertes.

Telle est du sacré mont la génération
Qui au sein de Jacob met son affection.
Le jour s’approche auquel auront ces débonnaires
Fermes prospérités, victoires ordinaires ;
Voire dedans leurs lits il faudra qu’on les oie
S’égayer en chantant de tressaillante joie.
Ils auront tout d’un temps à la bouche leurs chants
Et porteront au poing un glaive à deux tranchants
Pour fouler à leurs pieds, pour détruire et défaire
Des ennemis de Dieu la canaille adversaire,
Voire pour empoigner et mener prisonniers
Les Empereurs, les Rois, et princes les plus fiers,
Les mettre aux ceps, aux fers, punir leur arrogance
Par les effets sanglants d’une juste vengeance ;
Si que ton pied vainqueur tout entier baignera
Dans le sang qui du meurtre à tas regorgera,
Et dedans le canal de la tuerie extrême
Les chiens se gorgeront du sang de leur chef même.

Je retourne à la gauche, ô esclaves tondus,
Aux diables faux marchands et pour néant vendus !
Vous leur avez vendu, livré, donné en proie
Ame, sang, vie, honneur : où en est la monnoie ?

Je vous vois là cachés, vous que la peur de mort
A fait si mal choisir l’abîme pour le port,
Vous dans l’esprit desquels une frivole crainte
A la crainte de Dieu et de l’enfer éteinte,
Que l’or faux, l’honneur vain, les serviles états
Ont rendus révoltés, parjures, apostats ;
De qui les genoux las, les inconstances molles
Ploient, au gré des vents, aux pieds de leurs idoles ;
Les uns qui de soupirs montrent ouvertement
Que le fourneau du sein est enflé de tourment ;
Les autres, devenus stupides par usance,
Font dormir, sans tuer, la pâle conscience,
Qui se réveille et met, forte par son repos,
Ses aiguillons crochus dans les moelles des os.
Maquignons de Satan, qui, par espoirs et craintes,
Par feintes piétés et par charités feintes,
Diligents charlatans, pipez et maniez
Nos rebelles fuitifs, nos excommuniés,
Vous vous réjouissez étant retraits de vices
Et puants excréments : gardez nos immondices,
Nos rogneuses brebis, les pestes du troupeau,
Ou gales que l’Eglise arrache de sa peau.

Je vous en veux à vous, apostats dégénères,
Qui léchez le sang frais tout fumant de vos pères
Sur les pieds des tueurs, serfs qui avez servi
Les bras qui ont la vie à vos pères ravi !
Vos pères sortiront des tombeaux effroyables,
Leurs images au moins paraîtront vénérables
A vos sens abattus, et vous verrez le sang
Qui mêle sur leur chef les touffes de poil blanc,
Du poil blanc hérissé de vos poltronneries :
Ces morts reprocheront le présent de vos vies.
En lavant pour dîner avec ces inhumains,
Ces pères saisiront vos inutiles mains,
En disant : « Vois-tu pas que tes mains fainéantes
Lavent sous celles-là qui, de mon sang gouttantes,
Se purgent dessus toi et versent mon courroux
Sur ta vilaine peau, qui se lave dessous ?
Ceux qui ont retranché les honteuses parties,
Les oreilles, les nez, en triomphe des vies,
En ont fait les cordons des infâmes chapeaux,
Les enfants de ceux-là caressent tels bourreaux !
O esclave coquin, celui que tu salues
De ce puant chapeau épouvante les rues,
Et te salue en serf : un esclave de cœur
N’achèterait sa vie à tant de déshonneur !
Fais pour ton père, au moins, ce que fit pour son maître
Un serf (mais vieux Romain), qui se fit méconnaître
De coups en son visage, et fit si bel effort
De venger son Posthume et puis si belle mort ! »

Vous armez contre nous, vous aimez mieux la vie
Et devenir bourreaux de votre compagnie,
Vilains marchands de vous qui avez mis à prix
Le libre respirer de vos puants esprits,
Assassins pour du pain, meurtriers pâles et blêmes,
Coupe-jarrets, bourreaux d’autrui et de vous-mêmes !
Vous cherchez de l’honneur, parricides bâtards,
Or courez aux assauts et volez aux hasards.
Vous baverez en vain le vin de vos bravades ;
Cherchez, gladiateurs, en vain les estocades.
Vous n’auriez plus d’honneur, n’osant vous ressentir
Ou d’un soufflet reçu ou d’un seul démentir ?
Démentir ne soufflet ne sont tel vitupère
Que d’être le valet du bourreau de son père.
Vos pères ont changé en retraits les hauts lieux,
Ils ont foulé aux pieds l’hostie et les faux dieux :
Vous apprendrez, valets, en honteuse vieillesse
A chanter au lettrain et répondre à la messe.
Trois Bourbons, autrefois de Rome la terreur,
Pourraient-ils voir du ciel, sans ire et sans horreur,
Leur ingrat successeur quitter leur trace et être
A rincer la canette, humble valet d’un prêtre,
Lui retordre la queue, et d’un cierge porté
Faire amende honorable à Satan redouté ?
Bourbon, que dirais-tu de ta race honteuse ?
Tu dirais, je le sais, que ta race est douteuse.
Ils ressusciteront ces pères triomphants,
Vous ressusciterez, détestables enfants :
Et honteux, condamnés sans fuites ni refuges,
Vos pères de ce temps alors seront vos juges.
Vrai est que les tyrans avec inique soin
Vous mirent à leurs pieds, en rejetant au loin
La véritable voix de tous clients fidèles,
Avec art vous privant de leurs sûres nouvelles.
Ils vous ont empêché d’apprendre que Louys,
Et comment il mourut pour Christ et son pays ;
Ils vous ont dérobé de vos aïeuls la gloire,
Imbu votre berceau de fables pour histoire,
Choisi, pour vous former en moines et cagots,
Ou des galants sans Dieu ou des pédants bigots.
Princes, qui vomissant la salutaire grâce
Tournez au ciel le dos et à l’enfer la face,
Qui, pour régner ici, esclaves vous rendez
Sans mesurer le gain à ce que vous perdez,
Vous faites éclater aux temples vos musiques :
Votre chute fera hurler vos domestiques.
Au jour de votre change on vous pare de blanc :
Au jour de son courroux Dieu vous couvre de sang.
Vous avez pris le pli d’athéistes profanes,
Aimé pour paradis les pompes courtisanes ;
Nourris d’un lait esclave, ainsi assujettis,
Le sens vainquit le sang et vous fit abrutis.

Ainsi de Scanderbeg l’enfance fut ravie
Sous de tels précepteurs, sa nature asservie
En un sérail coquin ; de délices friant,
II huma pour son lait la grandeur d’Orient,
Par la voix des muftis on emplit ses oreilles
Des faits de Mahomet et miracles de vieilles.
Mais le bon sang vainquit l’illusion des sens,
Lui faisant mépriser tant d’arborés croissants,
Les armes qui faisaient courber toute la terre,
Pour au grand Empereur oser faire la guerre
Par un petit troupeau ruiné, mal en point ;
Se fit chef de ceux qui ne le connaissaient point.
De là tant de combats, tant de faits, tant de gloire
Que chacun les peut lire et nul ne les peut croire.
Le ciel n’est plus si riche à nos nativités,
Il ne nous départ plus de générosités,
Ou bien nous trouverions de ces engeances hautes
Si les mères du siècle y faisaient moins de fautes :
Ces œufs en un nid ponds, et en l’autre couvés,
Se trouvent œufs d’aspic quand ils sont éprouvés ;
Plus tôt ne sont éclos que ces mortels vipères
Fichent l’ingrat fiçon dans le sein des faux pères.
Ou c’est que le règne est à servir condamné,
Ennemi de vertu et d’elle abandonné.
Quand le terme est échu des divines justices,
Les cœurs abâtardis sont infectés de vices ;
Dieu frappe le dedans, ôte premièrement
Et retire le don de leur entendement ;
Puis, sur le coup qu’il veut nous livrer en servage,
Il fait fondre le cœur et sécher le courage.

Or cependant, voici que promet sûrement,
Comme petits portraits du futur jugement,
L’Eternel aux méchants, et sa colère ferme
N’oublie, ains par rigueur se payera du terme.
Il n’y a rien du mien ni de l’homme en ce lieu,
Voici les propres mots des organes de Dieu :

« Vous qui persécutez par fer mon héritage,
Vos flancs ressentiront le prix de votre ouvrage,
Car je vous frapperai d’épais aveuglements,
Des plaies de l’Egypte et de forcènements.
Princes, qui commettez contre moi félonie,
Je vous arracherai le sceptre avant la vie ;
Vos filles se vendront, à vos yeux impuissants
On les violera : leurs effrois languissants
De vos bras enferrés n’auront point d’assistance.
Vos valets vous vendront à la brute puissance
De l’avare acheteur, pour tirer en sueurs
De vos corps, goutte à goutte, autant ou plus de pleurs
Que vos commandements n’en ont versé par terre.
Vermisseaux impuissants, vous m’avez fait la guerre,
Vos mains ont châtié la famille de Dieu,
O verges de mon peuple, et vous irez au feu.
Vous, barbares cités, quittez le nom de France
Attendant les esprits de la haute vengeance,
Vous qui de faux parfums enfumâtes l’éther,
Qui de si bas avez pu le ciel irriter ;
Il faut que ces vengeurs en vous justice rendent,
Que pour les recevoir vos murailles se fendent,
Et, comme en Hiéricho, vos bastions soient mis
En poudre, aux yeux, aux voix des braves ennemis
Vous, sanglantes cités, Sodomes aveuglées,
Qui, d’aveugles courroux contre Dieu déréglées,
N’avez transi d’horreur aux visages transis,
Puantes de la chair, du sang de mes occis.

« Entre toutes, Paris, Dieu en son cœur imprime
Tes enfants qui criaient sur la Hiérosolime,
A ce funeste jour que l’on la détruisait.
L’Eternel se souvient que chacun d’eux disait :
A sac, l’Eglise ! à sac ! qu’elle soit embrasée
Et jusqu’au dernier pied des fondements rasée !
Mais tu seras un jour labourée en sillons,
Babel, où l’on verra les os et les charbons,
Restes de ton palais et de ton marbre en cendre.
Bienheureux l’étranger qui te saura bien rendre
La rouge cruauté que tu as su chercher ;
Juste le reître noir, volant pour arracher
Tes enfants acharnés à ta mamelle impure,
Pour les froisser brisés contre la pierre dure ;
Maudit sera le fruit que tu tiens en tes bras,
Dieu maudira du ciel ce que tu béniras ;
Puante jusqu’au ciel, l’œil de Dieu te déteste,
Il attache à ton dos la dévorante peste,
Et le glaive et la faim, dont il fera mourir
Ta jeunesse et ton nom pour tout jamais périr.

Sous toi, Hierusalem meurtrière, révoltée,
Hierusalem qui es Babel ensanglantée.
« Comme en Hiérusalem diverses factions
Doubleront par les tiens tes persécutions,
Comme en Hierusalem de tes portes rebelles
Tes mutins te feront prisons et citadelles ;
Ainsi qu’en elle encor tes bourgeois affolés,
Tes boutefeux prendront le faux nom de zélés.
Tu mangeras comme elle un jour la chair humaine,
Tu subiras le joug pour la fin de ta peine,
Puis tu auras repos : ce repos sera tel
Que reçoit le mourant avant l’accès mortel.
Juifs parisiens, très justement vous êtes
Comme eux traîtres, comme eux massacreurs des prophètes
Je vois courir ces maux, approcher je les vois
Au siège languissant, par la main de ton Roi.
Cités ivres de sang, et encore altérées,
Qui avez soif de sang et de sang enivrées
Vous sentirez de Dieu l’épouvantable main :
Vos terres seront fer, et votre ciel d’airain,
Ciel qui au lieu de pluie envoie sang et poudre,
Terre de qui les blés n’attendent que le foudre.
Vous ne semez que vent en stériles sillons,
Vous n’y moissonnerez que volants tourbillons,
Qui à vos yeux pleurants, folle et vaine canaille,
Feront pirouetter les épis et la paille.
Ce qui en restera et deviendra du grain
D’une bouche étrangère étanchera la faim.
Dieu suscite de loin, comme une épaisse nue,
Un peuple tout sauvage, une gent inconnue,
Impudente du front, qui n’aura, triomphant,
Ni respect du vieillard ni pitié de l’enfant,
A qui ne servira la piteuse harangue :
Tes passions n’auront l’usage de la langue.
De tes faux citoyens les détestables corps
Et les chefs traîneront, exposés au-dehors :
Les corbeaux éjouis, tout gorgés de charongne,
Ne verront alentour aucun qui les éloigne.
Tes ennemis feront, au milieu de leur camp,
Foire de tes plus forts, qui vendus à l’encan
Ne seront enchéris. Aux villes assiégées
L’œil have et affamé des femmes enragées
Regardera la chair de leurs maris aimés ;
Les maris forcenés lanceront affamés
Les regards allouvis sur les femmes aimées,
Et les déchireront de leurs dents affamées.
Quoi plus ? celles qui lors en deuil enfanteront
Les enfants demi-nés du ventre arracheront,
Et du ventre à la bouche, afin qu’elles survivent,
Porteront l’avorton et les peaux qui le suivent. »

Ce sont du jugement à venir quelques traits,
De l’enfer préparé les débiles portraits ;
Ce ne sont que miroirs des peines éternelles :
O quels seront les corps dont les ombres sont telles !

Athéistes vaincus, votre infidélité
N’amusera le cours de la Divinité ;
L’Eternel jugera et les corps et les âmes,
Les bénis à la gloire et les autres aux flammes.
Le corps cause du mal, complice du péché,
Des verges de l’esprit est justement touché.
Il est cause du mal : du juste la justice
Ne versera sur l’un de tous deux le supplice.
De ce corps les cinq sens ont ému les désirs ;
Les membres, leurs valets, ont servi aux plaisirs :
Encor plus criminels sont ceux-là qui incitent.
Or, s’il les faut punir, il faut qu’ils ressuscitent.
Je dis plus, que la chair par contagion rend
Violence à l’esprit qui longtemps se défend :
Elle, qui de raison son âme pille et prive,
II faut que pour sentir la peine elle revive.

N’apportez point ici, Sadduciens pervers,
Les corps mangés des loups : qui les tire des vers
Des loups les tirera. Si on demande comme
Un homme sortira hors de la chair de l’homme
Qui l’aura dévoré, quand l’homme par la faim
Aux hommes a servi de viande et de pain,
En vain vous avez peur que la chair dévorée
Soit en dispute à deux : la nature ne crée
Nulle confusion parmi les éléments,
Elle sait distinguer d’entre les excréments
L’ordre qu’elle se garde ; ainsi elle demande
A l’estomac entière et pure la viande,
La nourriture impropre est sans corruption
Au feu de l’estomac par l’indigestion.
Et Nature, qui est grand principe de vie,
N’a-t-elle le pouvoir qu’aura la maladie ?
Elle, qui du confus de tout tempérament
Fait un germe parfait tiré subtilement,
Ne peut-elle choisir de la grande matière
La naissance seconde ainsi que la première ?

Enfants de vanité, qui voulez tout poli,
A qui le style saint ne semble assez joli,
Qui voulez tout coulant, et coulez périssables
Dans l’éternel oubli, endurez mes vocables
Longs et rudes ; et, puisque les oracles saints
Ne vous émeuvent pas, aux philosophes vains
Vous trouverez encore, en doctrine cachée,
La résurrection par leurs écrits prêchée.

Ils ont chanté que quand les esprits bienheureux
Par la voie de lait auront fait nouveaux feux,
Le grand moteur fera, par ses métamorphoses,
Retourner mêmes corps au retour de leurs causes.
L’air, qui prend de nouveau toujours de nouveaux corps,
Pour loger les derniers met les premiers dehors ;
Le feu, la terre et l’eau en font de même sorte.
Le départ éloigné de la matière morte
Fait son rond et retourne encore en même lieu,
Et ce tour sent toujours la présence de Dieu.
Ainsi le changement ne sera la fin nôtre,
Il nous change en nous-même et non point en un autre,
Il cherche son état, fin de son action :
C’est au second repos qu’est la perfection.
Les éléments, muant en leurs règles et sortes,
Rappellent sans cesser les créatures mortes
En nouveaux changements : le but et le plaisir
N’est pas là, car changer est signe de désir.
Mais quand le ciel aura achevé la mesure,
Le rond de tous ses ronds, la parfaite figure,
Lorsque son encyclie aura parfait son cours
Et ses membres unis pour la fin de ses tours,
Rien ne s’engendrera : le temps, qui tout consomme,
En l’homme amènera ce qui fut fait pour l’homme ;
Lors la matière aura son repos, son plaisir,
La fin du mouvement et la fin du désir.

Quant à tous autres corps qui ne pourront renaître,
Leur être et leur état était de ne plus être.
L’homme, seul raisonnable, eut l’âme de raison ;
Cette âme unit à soi, d’entière liaison,
Ce corps essentié du pur de la nature
Qui doit durer autant que la nature dure.
Les corps des bêtes sont de nature excrément,
Desquels elle se purge et dispose autrement,
Comme matérielle étant leur forme, et pource
Que de matière elle a sa puissance et sa source,
Cette puissance mise en acte par le corps.
Mais l’âme des humains toute vient du dehors ;
Et l’homme, qui raisonne une gloire éternelle,
Hôte d’éternité, se fera tel comme elle.
L’âme, toute divine, eut inclination
A son corps, et cette âme, à sa perfection,
Pourra-t-elle manquer de ce qu’elle souhaite,
Oublier ou changer sans se faire imparfaite ?
Ce principe est très vrai que l’instinct naturel
Ne souffre manquement qui soit perpétuel.
Quand nous considérons l’airain qui s’achemine
De la terre bien cuite en métal, de la mine
Au fourneau ; du fourneau on l’affine ; l’ouvrier
Le mène à son dessein pour fondre un chandelier :
Nul de tous ces états n’est la fin, sinon celle
Qu’avait l’entrepreneur pour but en sa cervelle.
Notre efformation, notre dernier repos
Est selon l’exemplaire et le but et propos
De la cause première : âme qui n’est guidée
De prototype, étant soi-même son idée.
L’homme à sa gloire est fait : telle création
Du but de l’Eternel prend efformation.
Ce qui est surcéleste et sur nos connaissances,
Partage du très pur et des intelligences,
(Si lieu se peut nommer) sera le sacré lieu
Anobli du changer, habitacle de Dieu ;
Mais ce qui a servi au monde sous-céleste,
Quoique très excellent, suivra l’état du reste.
L’homme, de qui l’esprit et penser est porté
Dessus les cieux des cieux, vers la Divinité,
A servir, adorer, contempler et connaître,
Puisqu’il n’y a mortel que l’abject du bas être,
Est exempt de la loi qui sous la mort le rend
Et de ce privilège a le ciel pour garant.

Si aurez-vous, païens, pour juges vos pensées,
Sans y penser au vent par vous-mêmes poussées
En vos laborieux et si doctes écrits,
Où entiers vous voulez, compagnons des esprits,
Avoir droit quelque jour : de vos sens le service,
Et vos doigts auraient-ils fait un si haut office
Pour n’y participer ? Nenni, vos nobles cœurs,
Pour des esprits ingrats n’ont semé leurs labeurs.
Si vos sens eussent cru s’en aller en fumée
Ils n’eussent tant sué pour la grand renommée.
Les pointes de Memphis, ses grands arcs triomphaux,
Obélisques logeant les cendres aux lieux hauts,
Les travaux sans utile élevés pour la gloire
Promettaient à vos sens part en cette mémoire.

Qu’ai-je dit de la cendre élevée en haut lieu ?
Ajoutons que le corps n’était mis au milieu
Des bustes ou bûchers, mais en cime à la pointe,
Et, pour montrer n’avoir toute espérance éteinte,
La face découverte, ouverte vers les cieux,
Vide d’esprit, pour soi espérait quelque mieux.
Mais à quoi pour les corps ces dépenses étranges,
Si ces corps n’étaient plus que cendres et que fanges ?
A quoi tant pour un rien ? à quoi les rudes lois
Qui arment les tombeaux de franchises et droits
Dont vous aviez orné les corps morts de vos pères ?
Appelez-vous en vain sacrés vos cimetières ?

Ces portraits excellents, gardés de père en fils,
De bronze pour durer, de marbre, d’or exquis,
Ont-ils portrait les corps, ou l’âme qui s’envole ?
La Reine de Carie a mis pour son Mausole
Tant de marbre et d’ivoire, et, qui plus est encor
Que l’ivoire et le marbre, elle a pour son trésor
En garde à son cher cœur cette cendre commise :
Son sein fut un sépulcre ; et la brave Artémise
A de l’antiquité les proses et les vers.
Elle a fait exalter par tout cet univers
Son ouvrage construit d’étoffe non-pareille,
Vous en avez dressé la seconde merveille :
Vos sages auraient-ils tant écrit et si bien
A chanter un erreur, à exalter un rien ?

Vous appelez divins les deux où je veux prendre
Ces axiomes vrais : oyez chanter Pymandre,
Apprenez dessous lui les secrets qu’il apprend
De Mercure, par vous nommé trois fois très grand.

De tout la gloire est Dieu ; cette essence divine
Est de l’universel principe et origine ;
Dieu, Nature et pensée, est en soi seulement
Acte, nécessité, fin, renouvellement.

A son point il conduit astres et influences
En cercles moindres, grands sous leurs intelligences,
Ou anges par qui sont les esprits arrêtés
Dès la huitième sphère à leur corps apprêtés,
Démons distributeurs des renaissantes vies
Et des arrêts qu’avaient écrits les encyclies.
Ces officiers du ciel, diligents et discrets,
Administrent du ciel les mystères secrets,
Et insensiblement ménagent en ce monde
De naître et de finir toute cause seconde.
Tout arbre, graine, fleur, et bête tient de quoi
Se resemer soi-même et revivre par soi.
Mais la race de l’homme a la tête levée,
Pour commander à tout chèrement réservée :
Un témoin de Nature à discerner le mieux,
Augmenter, se mêler dans les discours des dieux.
A connaître leur être et nature et puissance,
A prononcer des bons et mauvais la sentence.
Cela se doit résoudre et finir hautement
En ce qui produira un ample enseignement.
Quand des divinités le cercle renouvelle,
Le monde a conspiré que Nature éternelle
Se maintienne par soi, puisse pour ne périr
Revivre de sa mort et sèche refleurir.
Voyez dedans l’ouvroir du curieux chimique :
Quand des plantes l’esprit et le sel il pratique,
Il réduit tout en cendre, en fait lessive, et fait
De cette mort revivre un ouvrage parfait,
L’exemplaire secret des idées encloses
Au sépulcre ranime et les lis et les roses,
Racines et rameaux, tiges, feuilles et fleurs
Qui font briller aux yeux les plus vives couleurs,
Ayant le feu pour père, et pour mère la cendre.
Leur résurrection doit aux craintifs apprendre
Que les brûlés, desquels on met la cendre au vent,
Se relèvent plus vifs et plus beaux que devant.
Que si Nature fait tels miracles aux plantes
Qui meurent tous les ans, tous les ans renaissantes,
Elle a d’autres secrets et trésors de grand prix
Pour le prince établi au terrestre pourpris.
Le monde est animant, immortel ; il n’endure
Qu’un de ses membres chers autant que lui ne dure :
Ce membre de haut prix, c’est l’homme raisonnant,
Du premier animal le chef-d’œuvre éminent ;
Et quand la mort dissout son corps, elle ne tue
Le germe non mortel qui le tout restitue.
La dissolution qu’ont soufferte les morts
Les prive de leurs sens, mais ne détruit les corps ;
Son office n’est pas que ce qui est périsse,
Bien, que tout le caduc renaisse et rajeunisse.
Nul esprit ne peut naître, il paraît de nouveau ;
L’esprit n’oublie point ce qui reste au tombeau.

Soit l’image de Dieu l’éternité profonde,
De cette éternité soit l’image le monde,
Du monde le soleil sera l’image et l’œil,
Et l’homme est en ce monde image du soleil.

Païens, qui adorez l’image de Nature,
En qui la vive voix, l’exemple et l’Écriture
N’autorise le vrai, qui dites : « Je ne crois
Si du doigt et de l’œil je ne touche et ne vois »,
Croyez comme Thomas, au moins après la vue.
Il ne faut point voler au-dessus de la nue,
La terre offre à vos sens de quoi le vrai sentir,
Pour vous convaincre assez, sinon vous convertir.

La terre en plusieurs lieux conserve sans dommage
Les corps, si que les fils marquent de leur lignage,
Jusques à cent degrés, les organes parés
A loger les esprits qui furent séparés ;
Nature ne les veut frustrer de leur attente.
Tel spectacle en Aran à qui veut se présente.
Mais qui veut voir le Caire, et en un lieu préfix
Le miracle plus grand de l’antique Memphis,
Justement curieux et pour s’instruire prenne
Autant, ou un peu moins de péril et de peine
Que le bigot séduit, qui de femme et d’enfants
Oublie l’amitié, pour abréger ses ans
Au labeur trop ingrat d’un sot et long voyage.
Si de Syrte et Charybde il ne tombe au naufrage,
Si de peste il ne meurt, du mal de mer, du chaud,
Si le corsaire turc le navire n’assaut,
Ne le met à la chiourme, et puis ne l’endoctrine
A coups d’un roide nerf à ployer sur l’échine,
Il voit Jérusalem et le lieu supposé
Où le Turc menteur dit que Christ a reposé,
Rit et vend cher son ris : les sottes compagnies
Des pèlerins s’en vont, affrontés de vanies.
Ce voyage est fâcheux, mais plus rude est celui
Que les faux musulmans font encore aujourd’hui,
Soit des deux bords voisins de l’Europe et d’Asie,
Soit de l’Archipelage ou de la Natolie,
Ceux qui boivent d’Euphrate ou du Tigre les eaux,
Auxquels il faut passer les périlleux monceaux
Et percer les brigands d’Arabie déserte,
Ou ceux de Tripoli, de Panorme, Biserte,
Le riche Egyptien et les voisins du Nil.
Ceux-là vont méprisant tout labeur, tout péril
De la soif sans liqueur, des tourmentes de sables
Qui enterrent dans soi tout vifs les misérables ;
Qui à pied, qui sur l’âne, ou lié comme un veau
A ondes va pelant les bosses d’un chameau,
Pour voir la Mecque, ou bien Talnaby de Médine.
Là cette caravane et bigote et badine
Adore Mahomet dans le fer étendu,
Que la voûte d’aimant tient en l’air suspendu ;
Là se crève les yeux la bande musulmane
Pour, après lieu si saint, ne voir chose profane.

Je donne moins de peine aux curieux païens,
Des chemins plus aisés, plus faciles moyens,
Tous les puissants marchands de ce nôtre hémisphère
Comptent pour pourmenoir le chemin du grand Caire
Là près est la colline où vont de toutes parts
Au point de l’équinoxe, au vingte-cinq de Mars,
La gent qui comme un camp loge dessous la tente,
Quand la terre paraît verte, ressuscitante,
Pour voir le grand tableau qu’Ezéchiel dépeint,
Merveille bien visible et miracle non feint,
La résurrection ; car de ce nom l’appelle
Toute gent qui court là, l’un pour chose nouvelle,
L’autre pour y chercher avec la nouveauté
Un bain miraculeux, ministre de santé.
L’œil se plaît en ce lieu, et puis des mains l’usage
Redonne aux yeux troublés un ferme témoignage.
On voit les os couverts de nerfs, les nerfs de peau,
La tête de cheveux ; on voit, à ce tombeau,
Percer en mille endroits les arènes bouillantes
De jambes et de bras et de têtes grouillantes.
D’un coup d’œil on peut voir vingt mille spectateurs
Soupçonner ce qu’on voit, muets admirateurs ;
Peu ou point, élevant ces œuvres non-pareilles,
Lèvent le doigt en haut vers le Dieu des merveilles.
Quelqu’un, d’un jeune enfant, en ce troupeau, voyant
Les cheveux crêpelus, le teint frais, l’œil riant,
L’empoigne, mais, oyant crier un barbe grise
Ante matharafde kali, quitte la prise.

De père en fils, l’Eglise a dit qu’au temps passé
Un troupeau de chrétiens, pour prier amassé,
Fut en pièces taillé par les mains infidèles
Et rendit en ce lieu les âmes immortelles,
Qui, pour donner au corps gage de leurs amours,
Leur donnent tous les ans leur présence trois jours.
Ainsi, le ciel d’accord uni à votre mère,
Ces deux, fils de la terre, en ce lieu veulent faire
Votre leçon, daignant en ce point s’approcher
Pour un jour leur miracle à vos yeux reprocher.

Doncques chacun de vous, pauvres païens, contemple,
Par l’effort des raisons ou celui de l’exemple,
Ce que jadis sentit le troupeau tant prisé
Des écrits où Nature avait thésaurisé,
Bien que du sens la taie eût occupé leur vue,
Qu’il y ait toujours eu le voile de la nue
Entre eux et le soleil : leur manque, leur défaut
Vous fasse désirer de vous lever plus haut.
Haussez-vous sur les monts que le soleil redore,
Et vous prendrez plaisir de voir plus haut encore.
Ces hauts monts que je dis sont prophètes, qui font
Demeure sur les lieux où les nuages sont ;
C’est le cahier sacré, le palais des lumières ;
Les sciences, les arts ne sont que chambrières.
Suivez, aimez Sara, si vous avez dessein
D’être fils d’Abraham, retirés en son sein :
Là les corps des humains et les âmes humaines,
Unis aux grands triomphes aussi bien comme aux peines,
Se rejoindront ensemble, et prendront en ce lieu
Dans leurs fronts honorés l’image du grand Dieu.

Réjouissez-vous donc, ô vous âmes célestes ;
Car vous vous référez de vos piteuses restes ;
Réjouissez-vous donc, corps guéris du mépris,
Heureux vous reprendrez vos plus heureux esprits.
Vous voulûtes, esprits, et le ciel et l’air fendre
Pour aux corps préparés du haut du ciel descendre,
Vous les cherchâtes lors : ore ils vous chercheront,
Ces corps par vous aimés encor vous aimeront.
Vous vous fîtes mortels pour vos pauvres femelles,
Elles s’en vont pour vous et par vous immortelles.

Mais quoi ! c’est trop chanté, il faut tourner les yeux
Éblouis de rayons dans le chemin des cieux.
C’est fait, Dieu vient régner, de toute prophétie
Se voit la période à ce point accomplie.
La terre ouvre son sein, du ventre des tombeaux
Naissent des enterrés les visages nouveaux :
Du pré, du bois, du champ, presque de toutes places
Sortent les corps nouveaux et les nouvelles faces.
Ici les fondements des châteaux rehaussés
Par les ressuscitants promptement sont percés ;
Ici un arbre sent des bras de sa racine
Grouiller un chef vivant, sortir une poitrine ;
Là l’eau trouble bouillonne, et puis s’éparpillant
Sent en soi des cheveux et un chef s’éveillant.
Comme un nageur venant du profond de son plonge,
Tous sortent de la mort comme l’on sort d’un songe.
Les corps par les tyrans autrefois déchirés
Se sont en un moment en leurs corps asserrés,
Bien qu’un bras ait vogué par la mer écumeuse
De l’Afrique brûlée en Tylé froiduleuse.
Les cendres des brûlés volent de toutes parts ;
Les brins plus tôt unis qu’ils ne furent épars
Viennent à leur poteau, en cette heureuse place,
Riants au ciel riant d’une agréable audace.
Le curieux s’enquiert si le vieux et l’enfant
Tels qu’ils sont jouiront de l’état triomphant,
Leurs corps n’étant parfaits, ou défaits en vieillesse ?
Sur quoi la plus hardie ou plus haute sagesse
Ose présupposer que la perfection
Veut en l’âge parfait son élévation,
Et la marquent au point des trente-trois années
Qui étaient en Jésus closes et terminées
Quand il quitta la terre et changea, glorieux,
La croix et le sépulcre au tribunal des cieux.
Venons de cette douce et pieuse pensée
A celle qui nous est aux saints écrits laissée.

Voici le Fils de l’homme et du grand Dieu le Fils,
Le voici arrivé à son terme préfix.
Déjà l’air retentit et la trompette sonne,
Le bon prend assurance et le méchant s’étonne.
Les vivants sont saisis d’un feu de mouvement,
Ils sentent mort et vie en un prompt changement,
En une période ils sentent leurs extrêmes ;
Ils ne se trouvent plus eux-mêmes comme eux-mêmes,
Une autre volonté et un autre savoir
Leur arrache des yeux le plaisir de se voir,
Le ciel ravit leurs yeux : des yeux premiers l’usage
N’eût pu du nouveau ciel porter le beau visage.
L’autre ciel, l’autre terre ont cependant fui,
Tout ce qui fut mortel se perd évanoui.
Les fleuves sont séchés, la grand mer se dérobe,
Il fallait que la terre allât changer de robe.
Montagnes, vous sentez douleurs d’enfantements ;
Vous fuyez comme agneaux, ô simples éléments !
Cachez-vous, changez-vous ; rien mortel ne supporte
Le front de l’Éternel ni sa voix rude et forte.
Dieu paraît : le nuage entre lui et nos yeux
S’est tiré à l’écart, il s’est armé de feux ;
Le ciel neuf retentit du son de ses louanges ;
L’air n’est plus que rayons tant il est semé d’Anges,
Tout l’air n’est qu’un soleil ; le soleil radieux
N’est qu’une noire nuit au regard de ses yeux,
Car il brûle le feu, au soleil il éclaire,
Le centre n’a plus d’ombre et ne fuit sa lumière.

Un grand Ange s’écrie à toutes nations :
« Venez répondre ici de toutes actions,
L’Eternel veut juger. » Toutes âmes venues
Font leurs sièges en rond en la voûte des nues,
Et là les Chérubins ont au milieu planté
Un trône rayonnant de sainte majesté.
Il n’en sort que merveille et qu’ardente lumière,
Le soleil n’est pas fait d’une étoffe si claire ;
L’amas de tous vivants en attend justement
La désolation ou le contentement.
Les bons du Saint Esprit sentent le témoignage,
L’aise leur saute au cœur et s’épand au visage :
Car s’ils doivent beaucoup, Dieu leur en a fait don ;
Ils sont vêtus de blanc et lavés de pardon.
O tribus de Juda î vous êtes à la dextre ;
Edom, Moab, Agar tremblent à la senestre.
Les tyrans abattus, pâles et criminels,
Changent leurs vains honneurs aux tourments éternels ;
Ils n’ont plus dans le front la furieuse audace,
Ils souffrent en tremblant l’impérieuse face,
Face qu’ils ont frappée, et remarquent assez
Le chef, les membres saints qu’ils avaient transpercés :
Ils le virent lié, le voici les mains hautes,
Ces sévères sourcils viennent conter leurs fautes ;
L’innocence a changé sa crainte en majestés,
Son roseau en acier tranchant des deux côtés,
Sa croix au tribunal de présence divine ;
Le ciel l’a couronné, mais ce n’est plus d’épine.
Ores viennent trembler à cet acte dernier
Les condamneurs aux pieds du juste prisonnier.

Voici le grand héraut d’une étrange nouvelle,
Le messager de mort, mais de mort éternelle.
Qui se cache, qui fuit devant les yeux de Dieu ?
Vous, Caïns fugitifs, où trouverez-vous lieu ?
Quand vous auriez les vents collés sous vos aisselles,
Ou quand l’aube du jour vous prêterait ses ailes,
Les monts vous ouvriraient le plus profond rocher,
Quand la nuit tâcherait en sa nuit vous cacher,
Vous enceindre la mer, vous enlever la nue,
Vous ne fuiriez de Dieu ni le doigt ni la vue.
Or voici les lions de torches acculés,
Les ours à nez percés, les loups emmuselés.
Tout s’élève contre eux ; les beautés de Nature
Que leur rage troubla de venin et d’ordure
Se confrontent en mire et se lèvent contre eux :
« Pourquoi, dira le feu, avez-vous de mes feux
Qui n’étaient ordonnés qu’à l’usage de vie
Fait des bourreaux, valets de votre tyrannie ? »
L’air encore une fois contre eux se troublera,
Justice au Juge saint, trouble, demandera,
Disant : « Pourquoi, tyrans et furieuses bêtes,
M’empoisonnâtes-vous de charognes, de pestes,
Des corps de vos meurtris ? » — « Pourquoi, diront les eaux,
Changeâtes-vous en sang l’argent de nos ruisseaux ? »
Les monts qui ont ridé le front à vos supplices :
« Pourquoi nous avez-vous rendus vos précipices ? »
Pourquoi nous avez-vous, diront les arbres, faits
D’arbres délicieux exécrables gibets ? »
Nature blanche, vive et belle de soi-même,
Présentera son front ridé, fâcheux et blême
Aux peuples d’Italie, et puis aux nations
Qui les ont enviés en leurs inventions
Pour, de poison mêlé au milieu des viandes,
Tromper l’amère mort en ses liqueurs friandes,
Donner au meurtre faux le métier de nourrir,
Et sous les fleurs de vie embûcher le mourir.
La terre, avant changer de lustre, se vient plaindre
Qu’en son ventre l’on fit ses chers enfants éteindre
En les enterrant vifs, l’ingénieux bourreau
Leur dressant leur supplice en leur premier berceau.
La mort témoignera comment ils l’ont servie,
La vie prêchera comment ils l’ont ravie,
L’enfer s’éveillera, les calomniateurs
Cette fois ne seront faux prévaricateurs :
Les livres sont ouverts, là paraissent les rôles
De nos sales péchés, de nos vaines paroles,
Pour faire voir du Père aux uns l’affection,
Aux autres la justice et l’exécution.

Conduis, très saint Esprit, en cet endroit ma bouche,
Que par la passion plus exprès je ne touche
Que ne permet ta règle, et que, juge léger,
Je n’attire sur moi jugement pour juger.
Je n’annoncerai donc que ce que tu annonce,
Mais je prononce autant comme ta loi prononce ;
Je ne marque de tous que l’homme condamné
A qui mieux il vaudrait n’avoir pas été né.

Voici donc, Antéchrist, l’extrait des faits et gestes :
Tes fornications, adultères, incestes,
Les péchés où nature est tournée à l’envers,
La bestialité, les grands bourdeaux ouverts,
Le tribut exigé, la bulle demandée
Qui a la sodomie en été concédée ;
La place de tyran conquise par le fer,
Les fraudes qu’exerça ce grand tison d’enfer,
Les empoisonnements, assassins, calomnies,
Les dégâts des pays, des hommes et des vies
Pour attraper les clefs ; les contrats, les marchés
Des diables stipulants subtilement couchés ;
Tous ceux-là que Satan empoigna dans ce piège,
Jusques à la putain qui monta sur le siège.
L’aîné fils de Satan se souviendra, maudit,
De son trône élevé d’avoir autrefois dit :
« La gent qui ne me sert, ains contre moi conteste,
Périra de famine et de guerre et de peste.
Rois et Reines viendront au siège où je me sieds,
Le front en bas, lécher la poudre sous mes pieds.
Mon règne est à jamais, ma puissance éternelle,
Pour monarque me sert l’Eglise universelle ;
Je maintiens le Papat tout-puissant en ce lieu
Où, si Dieu je ne suis, pour le moins vice-Dieu. »
Fils de perdition, il faut qu’il te souvienne
Quand le serf commandeur de la gent rhodienne,
Vautré, baisa tes pieds, infâme serviteur,
Puis chanta se levant : « Or laisse, créateur. »

Apollyon, tu as en ton impure table
Prononcé, blasphémant, que Christ est une fable ;
Tu as renvoyé Dieu comme assez empêché
Aux affaires du ciel, faux homme de péché.

Or faut-il à ses pieds ces blasphèmes et titres
Poser, et avec eux les tiares, les mitres,
La bannière d’orgueil, fausses clefs, fausses croix,
Et la pantoufle aussi qu’ont baisé tant de Rois.
Il se voit à la gauche un monceau qui éclate
De chapes d’or, d’argent, de bonnets d’écarlate :
Prélats et cardinaux là se vont dépouiller
Et d’inutiles pleurs leurs dépouilles mouiller.
Là faut représenter la mitre héréditaire,
D’où Jules tiers ravit le grand nom de mystère
Pour, mentant, et cachant ces titres blasphémants,
Y subroger le sien écrit en diamants.

« A droite, l’or y est une dépouille rare :
On y voit un monceau des haillons du Lazare.
Enfants du siècle vain, fils de la vanité,
C’est à vous à traîner la honte et nudité,
A crier enroués, d’une gorge embrasée,
Pour une goutte d’eau l’aumône refusée :
Tous vos refus seront payés en un refus.

Les criminels adonc par ce procès confus,
La gueule de l’enfer s’ouvre en impatience,
Et n’attend que de Dieu la dernière sentence,
Qui, à ce point, tournant son œil bénin et doux,
Son œil tel que le montre à l’épouse l’époux,
Se tourne à la main droite, où les heureuses vues
Sont au trône de Dieu sans mouvement tendues,
Extatiques de joie et franches de souci.
Leur Roi donc les appelle et les fait rois ainsi :

« Vous qui m’avez vêtu au temps de la froidure,
Vous qui avez pour moi souffert peine et injure,
Qui à ma sèche soif et à mon âpre faim
Donnâtes de bon cœur votre eau et votre pain,
Venez, race du ciel, venez élus du Père ;
Vos péchés sont éteints, le Juge est votre frère ;
Venez donc, bienheureux, triompher pour jamais
Au royaume éternel de victoire et de paix. »

A ce mot tout se change en beautés éternelles.
Ce changement de tout est si doux aux fidèles !
Que de parfaits plaisirs ! O Dieu, qu’ils trouvent beau
Cette terre nouvelle et ce grand ciel nouveau !

Mais d’autre part, sitôt que l’Eternel fait bruire
A sa gauche ces mots, les foudres de son ire,
Quand ce Juge, et non Père, au front de tant de Rois
Irrévocable pousse et tonne cette voix :
« Vous qui avez laissé mes membres aux froidures,
Qui leur avez versé injures sur injures,
Qui à ma sèche soif et à mon âpre faim
Donnâtes fiel pour eau et pierre au lieu de pain,
Allez, maudits, allez grincer vos dents rebelles
Au gouffre ténébreux des peines éternelles ! »
Lors, ce front qui ailleurs portait contentement
Porte à ceux-ci la mort et l’épouvantement.
II sort un glaive aigu de la bouche divine,
L’enfer glouton, bruyant, devant ses pieds chemine.
D’une laide terreur les damnables transis,
Même dès le sortir des tombeaux obscurcis
Virent bien d’autres yeux le ciel suant de peine,
Lorsqu’il se préparait à leur peine prochaine ;
Et voici de quels yeux virent les condamnés
Les beaux jours de leur règne en douleurs terminés.

Ce que le monde a vu d’effroyables orages,
De gouffres caverneux et de monts de nuages
De double obscurité, dont, au profond milieu,
Le plus creux vomissait des aiguillons de feu,
Tout ce qu’au front du ciel on vit onc de colères
Était sérénité. Nulles douleurs amères
Ne troublent le visage et ne changent si fort,
La peur, l’ire et le mal, que l’heure de la mort :
Ainsi les passions du ciel autrefois vues
N’ont peint que son courroux dans les rides des nues
Voici la mort du ciel en l’effort douloureux
Qui lui noircit la bouche et fait saigner les yeux.
Le ciel gémit d’ahan, tous ses nerfs se retirent,
Ses poumons près à près sans relâche respirent.
Le soleil vêt de noir le bel or de ses feux,
Le bel œil de ce monde est privé de ses yeux ;
L’âme de tant de fleurs n’est plus épanouie,
II n’y a plus de vie au principe de vie :
Et, comme un corps humain est tout mort terrassé
Dès que du moindre coup au cœur il est blessé,
Ainsi faut que le monde et meure et se confonde
Dès la moindre blessure au soleil, cœur du monde.
La lune perd l’argent de son teint clair et blanc,
La lune tourne en haut son visage de sang ;
Toute étoile se meurt : les prophètes fidèles
Du destin vont souffrir éclipses éternelles.
Tout se cache de peur : le feu s’enfuit dans l’air,
L’air en l’eau, l’eau en terre ; au funèbre mêler
Tout beau perd sa couleur. Et voici tout de mêmes
A la pâleur d’en haut tant de visages blêmes
Prennent l’impression de ces feux obscurcis,
Tels qu’on voit aux fourneaux paraître les transis.
Mais plus, comme les fils du ciel ont au visage
La forme de leur chef, de Christ la vive image,
Les autres de leur père ont le teint et les traits,
Du prince Beelzebub véritables portraits.
A la première mort ils furent effroyables,
La seconde redouble, où les abominables
Crient aux monts cornus : « O monts, que faites-vous ?
Ebranlez vos rochers et vous crevez sur nous ;
Cachez-nous, et cachez l’opprobre et l’infamie
Qui, comme chiens, nous met hors la cité de vie ;
Cachez-nous pour ne voir la haute majesté
De l’Agneau triomphant sur le trône monté. »
Ce jour les a pris nus, les étouffe de craintes
Et de pires douleurs que les femmes enceintes.
Voici le vin fumeux, le courroux méprisé
Duquel ces fils de terre avaient thésaurisé.
De la terre, leur mère, ils regardent le centre :
Cette mère en douleur sent mi-partir son ventre
Où les serfs de Satan regardent frémissants
De l’enfer aboyant les tourments renaissants,
L’étang de soufre vif qui rebrûle sans cesse,
Les ténèbres épais plus que la nuit épaisse.
Ce ne sont des tourments inventés des cagots
Et présentés aux yeux des infirmes bigots ;
La terre ne produit nul crayon qui nous trace
Ni du haut paradis ni de l’enfer la face.

Vous avez dit, perdus : « Notre nativité
N’est qu’un sort ; notre mort, quand nous aurons été,
Changera notre haleine en vent et en fumée.
Le parler est du cœur l’étincelle allumée :
Ce feu éteint, le corps en cendre deviendra,
L’esprit comme air coulant parmi l’air s’épandra.
Le temps avalera de nos faits la mémoire,
Comme un nuage épais étend sa masse noire,
L’éclaircit, la départ, la dérobe à notre œil :
C’est un brouillard chassé des rayons du soleil :

Notre temps n’est rien plus qu’un ombrage qui passe.

Le sceau de tel arrêt n’est point sujet à grâce ».

Vous avez dit, brutaux : « Qu’y a-t-il en ce lieu
Pis que d’être privé de la face de Dieu ? »
Ha ! vous regretterez bien plus que votre vie
La perte de vos sens, juges de telle envie ;
Car, si vos sens étaient tous tels qu’ils ont été,
Ils n’auraient un tel goût, ni l’immortalité :
Lors vous saurez que c’est de voir de Dieu la face,
Lors vous aurez au mal le goût de la menace.

O enfants de ce siècle, ô abusés moqueurs,
Imployables esprits, incorrigibles cœurs,
Vos esprits trouveront en la fosse profond
Vrai ce qu’ils ont pensé une fable en ce monde.
Ils languiront en vain de regret sans merci,
Votre âme à sa mesure enflera de souci.
Qui vous consolera ? l’ami qui se désole
Vous grincera les dents au lieu de la parole.
Les Saints vous aimaient-ils ? un abîme est entre eux ;
eur chair ne s’émeut plus, vous êtes odieux.
Mais n’espérez-vous point fin à votre souffrance ?
Point n’éclaire aux enfers l’aube de l’espérance.
Dieu aurait-il sans fin éloigné sa merci ?
Qui a péché sans fin souffre sans fin aussi ;
La clémence de Dieu fait au ciel son office,
Il déploie aux enfers son ire et sa justice.
Mais le feu ensoufré, si grand, si violent,
Ne détruira-t-il pas les corps en les brûlant ?
Non : Dieu les gardera entiers à sa vengeance,
Conservant à cela et l’étoffe et l’essence ;
Et le feu qui sera si puissant d’opérer
N’aura de faculté d’éteindre et d’altérer,
Et servira par loi à l’éternelle peine.
L’air corrupteur n’a plus sa corrompante haleine,
Et ne fait aux enfers office d’élément ;
Celui qui le mouvait, qui est le firmament,
Ayant quitté son branle et motives cadences
Sera sans mouvement, et de là sans muances.
Transis, désespérés, il n’y a plus de mort
Qui soit pour votre mer des orages le port.
Que si vos yeux de feu jettent l’ardente vue
A l’espoir du poignard, le poignard plus ne tue.
Que la mort, direz-vous, était un doux plaisir !
La mort morte ne peut vous tuer, vous saisir.
Voulez-vous du poison ? en vain cet artifice.
Vous vous précipitez ? en vain le précipice.
Courez au feu brûler : le feu vous gèlera ;
Noyez-vous : l’eau est feu, l’eau vous embrasera.
La peste n’aura plus de vous miséricorde,
Étranglez-vous : en vain vous tordez une corde.
Criez après l’enfer : de l’enfer il ne sort
Que l’éternelle soif de l’impossible mort.
Vous vous peigniez des feux : combien de fois votre âme
Désirera n’avoir affaire qu’à la flamme !
Dieu s’irrite en vos cris, et au faux repentir
Qui n’a pu commencer que dedans le sentir.
Vos yeux sont des charbons qui embrasent et fument,
Vos dents sont des cailloux qui en grinçant s’allument.
Ce feu, par vos côtés ravageant et courant,
Fera revivre encor ce qu’il va dévorant.
Le chariot de Dieu, son torrent et sa grêle
Mêlent la dure vie et la mort pêle-mêle.
Aboyez comme chiens, hurlez en vos tourments !
L’abîme ne répond que d’autres hurlements.
Les Satans découplés d’ongles et dents tranchantes,
Sans mort, déchireront leurs proies renaissantes ;
Ces démons tourmentants hurleront tourmentés,
Leurs fronts sillonneront ferrés de cruautés ;
Leurs yeux étincelants auront la même image
Que vous aviez baignant dans le sang du carnage ;
Leurs visages transis, tyrans, vous transiront,
Ils vengeront sur vous ce qu’ils endureront.
O malheur des malheurs, quand tels bourreaux mesurent
La force de leurs coups aux grands coups qu’ils endurent !

Mais de ce dur état le point plus ennuyeux
C’est savoir aux enfers ce que l’on fait aux cieux,
Où le camp triomphant goûte l’aise indicible,
Connaissable aux méchants mais non pas accessible,
Où l’accord très parfait des douces unissons
A l’univers entier accorde ses chansons.
Où tant d’esprits ravis éclatent de louanges.
La voix des Saints unis avec celle des Anges,
Les orbes des neuf cieux, des trompettes le bruit
Tiennent tous leur partie à l’hymne qui s’ensuit :

« Saint, saint, saint le Seigneur ! O grand Dieu des armées,
De ces beaux cieux nouveaux les voûtes enflammées,
Et la nouvelle terre, et la neuve cité,
Jérusalem la sainte, annoncent ta bonté !
Tout est plein de ton nom. Sion la bienheureuse
N’a pierre dans ses murs qui ne soit précieuse,
Ni citoyen que Saint, et n’aura pour jamais
Que victoire, qu’honneur, que plaisir et que paix.

« Là nous n’avons besoin de parure nouvelle,
Car nous sommes vêtus de splendeur éternelle.
Nul de nous ne craint plus ni la soif ni la faim,
Nous avons l’eau de grâce et des Anges le pain ;
La pâle mort ne peut accourcir cette vie,
Plus n’y a d’ignorance et plus de maladie.
Plus ne faut de soleil, car la face de Dieu
Est le soleil unique et l’astre de ce lieu :
Le moins luisant de nous est un astre de grâce,
Le moindre a pour deux yeux deux soleils à la face.
L’Eternel nous prononce et crée de sa voix
Rois, nous donnant encor plus haut nom que de Rois
D’étrangers il nous fait ses bourgeois, sa famille,
Nous donne un nom plus doux que de fils et de fille. »

Mais aurons-nous le cœur touché de passions
Sur la diversité ou choix des mansions ?
Ne doit-on point briguer la faveur demandée
Pour la droite ou la gauche aux fils de Zébédée ?
Non, car l’heur d’un chacun en chacun accompli
Rend de tous le désir et le comble rempli ;
Nul ne monte trop haut, nul trop bas ne dévale,
Pareille imparité en différence égale.
Ici bruit la Sorbonne, où les docteurs subtils
Demandent : « Les élus en leur gloire auront-ils,
Au contempler de Dieu, parfaite connaissance
De ce qui est de lui et toute son essence ? »
Oui de toute, et en tout, mais non totalement,
Ces termes sont obscurs pour notre enseignement ;
Mais disons simplement que cette essence pure
Comblera de chacun la parfaite mesure.

Les honneurs de ce monde étaient hontes au prix
Des grades élevés au céleste pourpris ;
Les trésors de là-haut sont bien d’autre matière
Que l’or, qui n’était rien qu’une terre étrangère.
Les jeux, les passe-temps et les ébats d’ici
N’étaient qu’amers chagrins, que colère et souci,
Et que gênes au prix de la joie éternelle
Qui, sans trouble, sans fin, sans change renouvelle.
Là sans tache on verra les amitiés fleurir :
Les amours d’ici-bas n’étaient rien que haïr
Au prix des hauts amours dont la sainte harmonie
Rend une âme de tous en un vouloir unie,
Tous nos parfaits amours réduits en un amour
Comme nos plus beaux jours réduits en un beau jour.

On s’enquiert si le frère y connaîtra le frère,
La mère son enfant et la fille son père,
La femme le mari : l’oubliance en effet
Ne diminuera point un état si parfait.
Quand le Sauveur du monde en sa vive parole
Tire d’un vrai sujet l’utile parabole,
Nous présente le riche, en bas précipité,
Mendiant du Lazare aux plus hauts lieux monté,
L’abîme d’entre deux ne les fit méconnaître,
Quoique l’un fût hideux, enluminé pour être
Séché de feu, de soif, de peines et d’ahan,
Et l’autre rajeuni dans le sein d’Abraham.
Mais plus ce qui nous fait en ce royaume croire
Un savoir tout divin surpassant la mémoire,
D’un lieu si excellent il parut un rayon,
Un portrait raccourci, un exemple, un crayon
En Christ transfiguré : sa chère compagnie
Connut Moyse non vu et sut nommer Elie ;
L’extase les avait dans le ciel transportés,
Leurs sens étaient changés, mais en félicités.
Adam, ayant encor sa condition pure,
Connut des animaux les noms et la nature,
Des plantes le vrai suc, des métaux la valeur,
Et les élus seront en un être meilleur.
Il faut une aide en qui cet homme se repose :
Les Saints n’auront besoin d’aide ni d’autre chose.
Il eut un corps terrestre et un corps sensuel :
Le leur sera céleste et corps spirituel.
L’âme du premier homme était âme vivante :
Celle des triomphants sera vivifiante.
Adam pouvait pécher et du péché périr :
Les Saints ne sont sujets à pécher ni mourir.
Les Saints ont tout ; Adam reçut quelque défense,
Satan put le tenter, il sera sans puissance.
Les élus sauront tout, puisque celui qui n’eut
Un être si parfait toutes choses connut.
Dirai-je plus ? A l’heur de cette souvenance
Rien n’ôtera l’acier des ciseaux de l’absence ;
Ce triomphant état sera franc anobli
Des larrecins du temps, des ongles de l’oubli :
Si que la connaissance et parfaite et seconde
Passera de beaucoup celle qui fut au monde.
Là sont frais et présents les bienfaits, les discours,
Et les plus chauds pensers, fusils de nos amours.

Mais ceux qui en la vie et parfaite et seconde
Cherchent les passions et les storges du monde
Sont esprits amateurs d’épaisse obscurité,
Qui regrettent la nuit en la vive clarté ;
Ceux-là, dans le banquet où l’époux nous invite,
Redemandent les aulx et les oignons d’Egypte,
Disant comme bergers : « Si j’étais Roi, j’aurois
Un aiguillon d’argent plus que les autres Rois. »

Les apôtres ravis en l’éclair de la nue
Ne jetaient plus çà-bas ni mémoire ni vue ;
Femmes, parents, amis n’étaient pas en oubli,
Mais n’étaient rien au prix de l’état anobli
Où leur chef rayonnant de nouvelle figure
Avait haut enlevé leur cœur et leur nature,
Ne pouvant regretter aucun plaisir passé
Quand d’un plus grand bonheur tout heur fut effacé.
Nul secret ne leur put être lors secret, pource
Qu’ils puisaient la lumière à sa première source :
Ils avaient pour miroir l’œil qui fait voir tout œil,
Ils avaient pour flambeau le soleil du soleil.
Il faut qu’en Dieu si beau toute beauté finisse,
Et comme on feint jadis les compagnons d’Ulisse
Avoir perdu le goût de tous friands appas
Ayant fait une fois de lotos un repas,
Ainsi nulle douceur, nul pain ne fait envie
Après le Man, le fruit du doux arbre de vie.
L’âme ne souffrira les doutes pour choisir,
Ni l’imperfection que marque le désir.
Le corps fut vicieux qui renaîtra sans vices,
Sans tache, sans porreaux, rides et cicatrices.
En mieux il tournera l’usage des cinq sens.

Veut-il souefve odeur ? il respire l’encens
Qu’offrit Jésus en croix, qui en donnant sa vie
Fut le prêtre, l’autel et le temple et l’hostie.
Faut-il des sons ? le Grec qui jadis s’est vanté
D’avoir ouï les cieux, sur l’Olympe monté,
Serait ravi plus haut quand cieux, orbes et pôles
Servent aux voix des Saints de luths et de violes.
Pour le plaisir de voir les yeux n’ont point ailleurs
Vu pareilles beautés ni si vives couleurs.
Le goût, qui fit chercher des viandes étranges,
Aux noces de l’Agneau trouve le goût des Anges,
Nos mets délicieux toujours prêts sans apprêts,
L’eau du rocher d’Oreb, et le Man toujours frais :
Notre goût, qui à soi est si souvent contraire,
Ne goûtra l’amer doux ni la douceur amère.
Et quel toucher peut être en ce monde estimé
Au prix des doux baisers de ce Fils bien aimé ?
Ainsi dedans la vie immortelle et seconde
Nous aurons bien les sens que nous eûmes au monde,
Mais, étant d’actes purs, ils seront d’action
Et ne pourront souffrir infirme passion :
Purs en sujets très purs, en Dieu ils iront prendre
Le voir, l’odeur, le goût, le toucher et l’entendre.
Au visage de Dieu seront nos saints plaisirs,
Dans le sein d’Abraham fleuriront nos désirs,
Désirs, parfaits amours, hauts désirs sans absence,
Car les fruits et les fleurs n’y font qu’une naissance.

Chétif, je ne puis plus approcher de mon œil
L’œil du ciel ; je ne puis supporter le soleil.
Encor tout ébloui, en raisons je me fonde
Pour de mon âme voir la grande âme du monde,
Savoir ce qu’on ne sait et qu’on ne peut savoir,
Ce que n’a ouï l’oreille et que l’œil n’a pu voir ;
Mes sens n’ont plus de sens, l’esprit de moi s’envole,
Le cœur ravi se tait, ma bouche est sans parole :
Tout meurt, l’âme s’enfuit, et reprenant son lieu
Extatique se pâme au giron de son Dieu.