Philippe Desportes (1546-1606) 

A pas lents et tardifs tout seul je me promène

A pas lents et tardifs tout seul je me promène
Et mesure en rêvant les plus sauvages lieux ;
Et pour n’être aperçu, je choisis de mes yeux
Les endroits non frayés d’aucune trace humaine.

Je n’ai que ce rempart pour défendre ma peine,
Et cacher mon désir aux esprits curieux
Qui, voyant par dehors mes soupirs furieux,
Jugent combien dedans ma flamme est inhumaine.

Il n’y a désormais ni rivière ni bois,
Plaine, mont ou rocher, qui n’ait su par ma voix,
La trempe de ma vie à toute autre célée.

Mais j’ai beau me cacher je ne puis me sauver
En désert si sauvage ou si basse vallée
Qu’amour ne me découvre et me vienne trouver.


Las! Que nous sommes misérables

Las ! que nous sommes misérables
D’étre serves dessous les lois
Des hommes legers et muables
Plus que le feuillage des bois !

Les pensers des hommes ressemblent
A l’air, aux vents et aux saisons,
Et aux girouettes qui tremblent
Inconstamment sur les maisons.

Leur amour est ferme et constante
Comme la mer grosse de flots,
Qui bruit, qui court, qui se tourmente,
Et jamais n’arrête en repos…

Rosette, pour un peu d’absence

Rosette, pour un peu d’absence,
Votre cœur vous avez changé,
Et moi, sachant cette inconstance,
Le mien autre part j’ai rangé :
Jamais plus, beauté si légère
Sur moi tant de pouvoir n’aura
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s’en repentira.

Tandis qu’en pleurs je me consume,
Maudissant cet éloignement,
Vous qui n’aimez que par coutume,
Caressiez un nouvel amant.
Jamais légère girouette
Au vent si tôt ne se vira :
Nous verrons, bergère Rosette.
Qui premier s’en repentira.

Où sont tant de promesses saintes,
Tant de pleurs versés en partant ?
Est-il vrai que ces tristes plaintes
Sortissent d’un cœur inconstant ?
Dieux ! que vous êtes mensongère !
Maudit soit qui plus vous croira !
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s’en repentira.

Celui qui a gagné ma place
Ne vous peut aimer tant que moi ;
Et celle que j’aime vous passe
De beauté, d’amour et de foi.
Gardez bien votre amitié neuve,
La mienne plus ne variera,
Et puis, nous verrons à l’épreuve
Qui premier s’en repentira.


Contre une nuit trop claire

Ô Nuit ! jalouse Nuit, contre moi conjurée,
Qui renflammes le ciel de nouvelle clarté,
T’ai-je donc aujourd’hui tant de fois désirée
Pour être si contraire à ma félicité ?

Pauvre moi ! je pensais qu’à ta brune rencontre
Les cieux d’un noir bandeau dussent être voiles
Mais, comme un jour d’été, claire tu fais ta montre,
Semant parmi le ciel mille feux étoilés.

Et toi, soeur d’Apollon, vagabonde courrière,
Qui pour me découvrir flammes si clairement,
Allumes-tu la nuit d’aussi grande lumière,
Quand sans bruit tu descends pour baiser ton amant ?

Hélas! s’il t’en souvient, amoureuse déesse,
Et si quelque douceur se cueille en le baisant,
Maintenant que je sors pour baiser ma maîtresse,
Que l’argent de ton front ne soit pas si luisant.

Ah ! la fable a menti, les amoureuses flammes
N’échauffèrent jamais ta froide humidité;
Mais Pan, qui te connut du naturel des femmes,
T’offrant une toison, vainquit ta chasteté.

Si tu avais aimé, comme on nous fait entendre,
Les beaux yeux d’un berger, de long sommeil touchés,
Durant tes chauds désirs tu aurais pu apprendre
Que les larcins d’amour veulent être cachés.

Mais flamboie à ton gré, que ta corne argentée
Fasse de plus en plus ses rais étinceler :
Tu as beau découvrir, ta lumière empruntée
Mes amoureux secrets ne pourra déceler.

Que de fâcheuses gens, mon Dieu ! quelle coutume
De demeurer si tard dans la rue à causer !
Otez-vous du serein, craignez-vous point le rhume ?
La nuit s’en va passée, allez vous reposer.

Je vais, je viens, je fuis, j’écoute et me promène,
Tournant toujours mes yeux vers le lieu désiré ;
Mais je n’avance rien, toute la rue est pleine
De jaloux importuns, dont je suis éclairé.

Je voudrais être roi pour faire une ordonnance
Que chacun dût la nuit au logis se tenir,
Sans plus les amoureux auraient toute licence;
Si quelque autre faillait, je le ferais punir.

Ô somme ! ô doux repos des travaux ordinaires,
Charmant par ta douceur les pensers ennemis,
Charme ces yeux d’Argus, qui me sont si contraires
Et retardent mon bien, faute d’être endormis.

Mais je perds, malheureux, le temps et la parole,
Le somme est assommé d’un dormir ocieux
Puis durant mes regrets, la nuit prompte s’envole,
Et l’aurore déjà veut défermer les cieux.

Je m’en vais pour entrer, que rien ne me retarde,
Je veux de mon manteau mon visage boucher ;
Mais las ! je m’aperçois que chacun me regarde,
Sans être découvert, je ne puis approcher.

Je ne crains pas pour moi ; j’ouvrirais une armée,
Pour entrer au séjour qui recèle mon bien;
Mais je crains que ma dame en pût être blâmée,
Son repos, mille fois m’est plus cher que le mien.

Quoi ? m’en irai-je donc ? mais que voudrais-je faire ?
Aussi bien peu à peu le jour s’en va levant,
Ô trompeuse espérance ! Heureux cil qui n’espère
Autre loyer d’amour que mal en bien servant !


Cette fontaine est froide, et son eau doux-coulante

Cette fontaine est froide, et son eau doux-coulante,
A la couleur d’argent, semble parler d’Amour ;
Un herbage mollet reverdit tout autour,
Et les aunes font ombre à la chaleur brûlante.

Le feuillage obéit à Zéphyr qui l’évente,
Soupirant, amoureux, en ce plaisant séjour ;
Le soleil clair de flamme est au milieu du jour,
Et la terre se fend de l’ardeur violente.

Passant, par le travail du long chemin lassé,
Brûlé de la chaleur et de la soif pressé,
Arrête en cette place où ton bonheur te mène ;

L’agréable repos ton corps délassera,
L’ombrage et le vent frais ton ardeur chassera,
Et ta soif se perdra dans l’eau de la fontaine.



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