Pierre de Ronsard (1524-1585) 

Mignonne, allons voir si la rose 

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil.
  
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! Las ! Ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.


De l’Election de son sepulchre 

Antres, et vous fontaines
De ces roches hautaines
Dévalant contre-bas
    D’un glissant pas ;
 
Et vous forêts, et ondes
Par ces prés vagabondes,
Et vous, rives et bois,
    Oyez ma voix.
 
Quand le ciel et mon heure
Jugeront que je meure,
Ravi du doux séjour
    Du commun jour,
 
Je veux, j’entends, j’ordonne,
Qu’un sépulcre on me donne,
Non près des rois levé,
    Ni d’or gravé,
 
Mais en cette île verte
Où la course entrouverte
Du Loire autour coulant
    Est accolant,
 
Là où Braye s’amie
D’une eau non endormie
Murmure à l’environ
    De son giron.
 
Je défends qu’on ne rompe
Le marbre pour la pompe
De vouloir mon tombeau
    Bâtir plus beau.
 
Mais bien je veux qu’un arbre
M’ombrage en lieu d’un marbre,
Arbre qui soit couvert
    Toujours de vert.
 
De moi puisse la terre
Engendrer un lierre
M’embrassant en maint tour
    Tout à l’entour ;
 
Et la vigne tortisse
Mon sépulcre embellisse,
Faisant de toutes parts
    Un ombre épars.
 
Là viendront chaque année
À ma fête ordonnée,
Avecques leurs troupeaux,
    Les pastoureaux ;
 
Puis, ayant fait l’office
De leur beau sacrifice,
Parlants à l’île ainsi,
    Diront ceci :
 
« Que tu es renommée,
D’être tombeau nommée
D’un de qui l’univers
    Ouira les vers,
 
Et qui oncque en sa vie
Ne fût brûlé d’envie,
Mendiant les honneurs
    Des grands seigneurs,
 
Ni ne rapprit l’usage
De l’amoureux breuvage,
Ni l’art des anciens
    Magiciens,
 
Mais bien à nos campagnes
Fit voir les Sœurs compagnes
Foulantes l’herbe aux sons
    De ses chansons,
 
Car il sut sur sa lyre
Si bons accords élire
Qu’il orna de ses chants
    Nous et nos champs !
 
La douce manne tombe
À jamais sur sa tombe,
Et l’humeur que produit
    En mai la nuit !
 
Tout à l’entour l’emmure
L’herbe, et l’eau qui murmure,
L’un toujours verdoyant,
    L’autre ondoyant !
 
Et nous, ayant mémoire
Du renom de sa gloire,
Lui ferons, comme à Pan,
    Honneur chaque an. »
 
Ainsi dira la troupe,
Versant de mainte coupe
Le sang d’un agnelet,
    Avec du lait,
 
Dessus moi, qui à l’heure
Serai par la demeure
Où les heureux esprits
    Ont leur pourpris.
 
La grêle ni la neige
N’ont tels lieux pour leur siège,
Ni la foudre oncques là
    Ne dévala.
 
Mais bien constante y dure
L’immortelle verdure,
Et constant en tout temps
    Le beau printemps.
 
Et Zéphire y haleine
Les myrtes et la plaine
Qui porte les couleurs
    De mille fleurs.
 
Le soin qui sollicite
Les rois ne les incite
Le monde ruiner
    Pour dominer ;
 
Ains comme frères vivent,
Et, morts, encore suivent
Les métiers qu’ils avaient
    Quand ils vivaient.
 
Là, là, j’oirai d’Alcée
La lyre courroucée,
Et Sapho, qui sur tous
    Sonne plus doux.
 
Combien ceux qui entendent
Les odes qu’ils répandent
Se doivent réjouir
    De les ouïr,
 
Quand la peine reçue
Du rocher est déçue
Sous les accords divers
    De leurs beaux vers !
 
La seule lyre douce
L’ennui des cœurs repousse,
Et va l’esprit flattant
    De l’écoutant.

Amour me tue, et si je ne veux dire 

Amour me tue, et si je ne veux dire
Le plaisant mal que ce m’est de mourir :
Tant j’ai grand peur, qu’on veuille secourir
Le mal, par qui doucement je soupire.

Il est bien vrai, que ma langueur désire
Qu’avec le temps je me puisse guérir :
Mais je ne veux ma dame requérir
Pour ma santé : tant me plaît mon martyre.

Tais-toi langueur je sens venir le jour,
Que ma maîtresse, après si long séjour,
Voyant le soin qui ronge ma pensée,

Toute une nuit, folâtrement m’ayant
Entre ses bras, prodigue, ira payant
Les intérêts de ma peine avancée.

Comme un chevreuil, quand le printemps détruit

Comme un chevreuil, quand le printemps détruit
L’oiseux cristal de la morne gelée,
Pour mieux brouter l’herbette emmiellée
Hors de son bois avec l’aube s’enfuit,

Et seul, et sûr, loin de chien et de bruit,
Or sur un mont, or dans une vallée,
Or près d’une onde à l’écart recelée,
Libre folâtre où son pied le conduit :

De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte,
D’un trait meurtrier empourpré de son sang :

Ainsi j’allais sans espoir de dommage,
Le jour qu’un œil sur l’avril de mon âge
Tira d’un coup mille traits dans mon flanc.


Stances de la Fontaine d’Hélène 

Ainsi que cette eau coule et s’enfuit parmi l’herbe,
Ainsi puisse couler en cette eau le souci
Que ma belle maîtresse, à mon mal trop superbe,
Engrave dans mon cœur sans en avoir merci.

Ainsi que dans cette eau de l’eau même je verse,
Ainsi de veine en veine Amour, qui m’a blessé
Et qui tout à la fois son carquois me renverse,
Un breuvage amoureux dans le cœur m’a versé.

Je voulais de ma peine éteindre la mémoire ;
Mais amour, qui avait en la fontaine bu,
Y laissa son brandon, si bien qu’au lieu de boire
De l’eau pour l’étancher, je n’ai bu que du feu.

Tantôt cette fontaine est froide comme glace,
Et tantôt elle jette une ardente liqueur ;
Deux contraires effets je sens, quand elle passe,
Froide dedans ma bouche et chaude dans mon cœur.

Vous qui rafraîchissez ces belles fleurs vermeilles,
Petits frères ailés, Favones et Zéphyrs,
Portez de ma maîtresse aux ingrates oreilles,
En volant parmi l’air, quelqu’un de mes soupirs.

Vous, enfants de l’aurore, allez baiser ma dame ;
Dites-lui que je meurs, contez-lui ma douleur,
Et qu’amour me transforme en un rocher sans âme,
Non comme il fit Narcisse en une belle fleur.

Grenouilles qui jasez quand l’an se renouvelle,
Vous, gressets qui servez aux charmes, comme on dit,
Criez en autre part votre antique querelle ;
Ce lieu sacré vous soit à jamais interdit.

Philomèle en avril ses plaintes y jargonne
Et tes bords sans chansons ne se puissent trouver :
L’arondelle l’été, le ramier en automne,
Le pinson en tout temps, la gadille en hiver.

Cesse tes pleurs. Hercule, et laisse ta Mysie !
Tes pieds de trop courir sont jà faibles et las ;
Ici les Nymphes ont leur demeure choisie,
Ici sont tes amours, ici est ton Hylas.

Que ne suis-je ravi comme l’enfant argive !
Pour revancher ma mort, je ne voudrais sinon
Que le bord, le gravois, les herbes et la rive
Fussent toujours nommés d’Hélène et de mon nom.

Dryades, qui vivez sous les écorces saintes,
Venez, et témoignez combien de fois le jour
Ai-je troublé vos bois par le cri de mes plaintes,
N’ayant autre plaisir qu’à soupirer d’amour.

Écho, fille de l’air, hôtesse solitaire
Des rochers, où souvent tu me vois retirer,
Dis quantes fois le jour, lamentant ma misère,
T’ai-je fait soupirer en m’oyant soupirer.

Ni cannes ni roseaux ne bordent ton rivage,
Mais le gai poliot, des bergères ami.
Toujours au chaud du jour le Dieu de ce bocage,
Appuyé sur sa flûte, y puisse être endormi.

Fontaine, à tout jamais ta source soit pavée,
Non de menus gravois, de mousses ni d’herbis,
Mais bien de mainte perle à bouillons enlevée,
De diamants, saphirs, turquoises et rubis.

Le pasteur en tes eaux nulle branche ne jette,
Le bouc de son ergot ne te puisse fouler ;
Ains comme un beau cristal, toujours tranquille et nette,
Puisses-tu par les fleurs éternelle couler.

Les nymphes de ces eaux et les hamadryades,
Que l’amoureux Satyre entre les bois poursuit,
Se tenant main à main, de sauts et de gambades
Aux rayons du croissant y dansent toute nuit.

Si j’étais un grand prince, un superbe édifice
Je voudrais te bâtir, où je ferais fumer
Tous les ans à ta fête autels et sacrifice,
Te nommant pour jamais la fontaine d’aimer.

Il ne faut plus aller en la forêt d’Ardenne
Chercher l’eau, dont Renaud était tant désireux.
Celui qui boit à jeun trois fois cette fontaine,
Soit passant ou voisin, il devient amoureux.

Lune, qui as ta robe en rayons étoilée,
Garde cette fontaine aux jours les plus ardents,
Défends-la pour jamais de chaud et de gelée,
Remplis-la de rosée, et te mire dedans.

Advienne, après mille ans, qu’un pastoureau dégoise
Mes amours, et qu’il conte aux Nymphes d’ici près
Qu’un Vendômois mourut pour une Saintongeoise,
Et qu’encor son esprit erre entre ces forêts.

Garçons, ne chantez plus. Jà vesper nous commande
De serrer nos troupeaux ; les loups sont jà dehors.
Demain à la fraîcheur avec une autre bande
Nous reviendrons danser à l’entour de tes bords.

Fontaine, cependant de cette tasse pleine
Reçois ce vin sacré que je verse dans toi ;
Sois dite pour jamais la Fontaine d’Hélène,
Et conserve en tes eaux mes amours et ma foi.


O Fontaine Bellerie

Ô Fontaine Bellerie,
Belle fontaine chérie
De nos nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source,
Fuyantes le satyreau,
Qui les pourchasse à la course
Jusqu’au bord de ton ruisseau,

Tu es la nymphe éternelle
De ma terre paternelle :
Pource en ce pré verdelet
Vois ton poète qui t’orne
D’un petit chevreau de lait,
A qui l’une et l’autre corne
Sortent du front nouvelet.

L’été je dors ou repose
Sur ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules verts,
Je ne sais quoi, qui ta gloire
Enverra par l’univers,
Commandant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.

L’ardeur de la Canicule
Ton vert rivage ne brûle,
Tellement qu’en toutes parts
Ton ombre est épaisse et drue
Aux pasteurs venant des parcs,
Aux bœufs las de la charrue,
Et au bestial épars.

Iô ! tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moi célébrant le conduit
Du rocher percé, qui darde
Avec un enroué bruit
L’eau de ta source jasarde
Qui trépillante se suit.



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