Quatrième Jour de La Semaine, ou, La Création du monde par Guillaume du Bartas (1544-1590)

Esprit, qui transportas dans l’ardente charrette
Sur les Cieux étoilés le clairvoyant Prophète,
Qui, frappant le Jordan de son plissé manteau,
N’aguère avait fendu le doux fil de son eau :
Enlève-moi d’ici, si que loin, loin de terre,
Par le Ciel azuré de cercle en cercle j’erre.
Veuille être mon cocher, fais qu’aujourd’hui mon cours
Accompagne le char de l’astre enfante-jours :
Qu’à la coche de Mars je joigne ores ma coche,
Et qu’ore de Saturne, or’ du Croissant j’approche :
Afin qu’ayant appris de leurs flambants chevaux
La force, le chemin, la clarté, les travaux,
Ma muse d’une voix saintement éloquente
Au peuple aime-vertu puis après les rechante :
Sur le pôle attirant les plus rebelles cœurs
Par l’aimant ravisseur de ses accents vainqueurs.

Et vous, divins Esprits, âmes doctement belles,
A qui le Ciel départ tant de plumes isnelles,
Soit pour monter là-haut, soit pour disertement
De ses plus clairs flambeaux peindre le mouvement :
Çà, donnez-moi la main, tirez-moi sur Parnasse,
Et de vos chants divins soutenez ma voix casse.
Car outre la vertu, qui dorant vos esprits,
Porte en soi richement de soi-même le prix,
Nos neveux, affranchis des sacrilèges armes
Qui sanglantent ce Tout, chanteront que vos carmes,
Et plus dorés que l’or et plus doux que le miel,
Méritaient autre sort, autre siècle, autre Ciel.

Or bien que de mon nom la naissante mémoire
De nos neveux attende ou rien, ou peu de gloire :
Ce temps que la plupart des écrivains François
Dépend à courtiser les dames et les rois,
Dépendre je le veux à rendre à tous notoire
Par ses puissants effets du Tout-puissant la gloire.

Mes vers conçus en peine, en liesse enfantés,
Ne désirent se voir par nos neveux vantés.
Ils seront satisfaits, moyennant que la France
Produise à l’advenir quelque docte semence,
Qui suivant pas à pas mon louable projet,
Plus dextrement que moi manie ce sujet.

Dieu n’est de ces ouvriers qui d’un lâche courage
Quittent aux meilleurs coups le soin de leur ouvrage,
Qui jamais qu’à demi ne s’acquittent de rien,
Soigneux de faire tôt, et non de faire bien :
Ains comme ouvrier qui fait toute chose sans peine,
Et comme étant tout bon, heureusement il mène,
Ore d’un pas tardif, or’ d’un pas avancé,
A la perfection ce qu’il a commencé.

Ayant donques tendu la courtine du monde
Autour du clos sacré de la Couche féconde,
Où, pour remplir ce Tout de ses enfantements,
La soigneuse Nature accouche à tous moments,
Il sema son azur de mainte flamme ardente,
Pour la rendre à jamais plus utile et plaisante.

Je sais bien que les clous qui brillent dans les cieux,
Fuient si vitement et nos mains et nos yeux,
Que le mortel ne peut parfaitement connaître
Leur chemin, leur pouvoir, et moins encor leur être .

Mais si l’esprit humain par conjecture peut
Atteindre à ce grand corps, qui, se mouvant, tout meut :
Du jour premier éclos l’imparfaite lumière
Servit aux yeux du Ciel de brillante matière :
Car Dieu de la clarté le plus clair élisant,
Orna de tant de feux le plancher reluisant.
Ou bien la divisa, puis serrant les parcelles
En fit le clair Phœbus et mille autres chandelles.
Que si, trop altéré, ton esprit aime mieux
Boire dans les ruisseaux des Grecs que des Hébreux,
Je dis que comme Dieu, d’une matière humide
Composa les bourgeois de la plaine liquide,
Et d’un terrestre amas créa tant d’animaux
Qui fourmillent par monts, par campagnes et vaux,
Que de même il forma par sa toute-puissance
Et le Ciel et ses feux d’une même substance :
Afin que ces brandons au long et large épars
Semblassent à leur Tout, et leur tout à ses parts.

Et comme on voit çà bas dans le tige d’un chêne
Le nœud entortillé de mainte large veine
Avec le demeurant être d’un même bois,
Bien qu’il soit plus épais et plus dur mille fois,
Ces flambeaux, dont notre œil admire la vitesse,
Ne sont rien que du Ciel la part la plus épaisse.

Quand je remarque en eux et le lustre et le chaud,
Accidents naturels de l’élément plus haut,
Je dis qu’ils sont de feu, non de ce feu qui dure
Seulement tant qu’il prend grossière nourriture.
Car je ne pense point que tous les éléments
Pussent pour un seul jour les fournir d’aliments,

C’est pourquoi je me ris de ces forgeurs de fables,
Qui féconds en discours plus beaux que profitables,
Tiennent que ces Brandons sont de vrais animaux,
Qui pour vivre quêter n’épargnent nuls travaux,
Suçant par le retour d’un éternel voyage
En viande la terre, et la mer en breuvage.

De vrai je ne vois point les yeux du firmament
Qu’un naturel, certain, et réglé mouvement :
Bien qu’en tout animal je remarque au contraire
Un mouvement confus, divers, et volontaire.
Je ne vois point comment tant de courriers dorés
Puissent postillonner par les cieux azurés,
Que le Ciel par moments ne s’entr’ouvre et resserre,
Sujet aux passions qui altèrent la terre,
Qui travaillent les eaux, et par leurs mouvements
Causent dans l’air flottant cent et cent changements.
Je ne vois point comment en tant de corps sphériques
On puisse imaginer des membres organiques.
Je ne vois point comment et la terre et les eaux
Puissent alimenter tant et tant de flambeaux,
Qui passent en grandeur les plaines poissonneuses,
Et le tour inégal des terres moissonneuses :
Vu que nos animaux dévorent en un mois
Des mets plus grands qu’eux même et trois et quatre fois.

Donques tant de brandons n’errent à toute bride
Par la claire épaisseur d’un plancher non solide,
Tout-ainsi que çà-bas d’un branlement divers
Les oiseaux peinturés nagent entre deux airs :
Ains plutôt attachez à des rouantes voûtes
Suivent et nuit et jour, bon-gré mal-gré, leurs routes :
Tels que les clous d’un char, qui n’ont point mouvement
Que comme étant roulés d’un autre roulement.

Ainsi que le fiévreux dans la tremblante couche
Sent comme guerroyer sa santé par sa bouche,
Cherchant obstinément d’un palais dégouté
Les vivres moins friands sa plus grand’ volupté :
II se trouve entre nous des esprits frénétiques
Qui se perdent toujours par des sentiers obliques
Et, de monstres forgeurs, ne peuvent point ramer
Sur les paisibles flots d’une commune mer.
Tels sont comme je crois ces écrivains, qui pensent
Que ce ne sont les cieux, ou les astres qui dansent
A l’entour de la terre, ains que la terre fait
Chaque jour naturel un tour vraiment parfait :
Que nous semblons ceux-là qui pour courir fortune
Tentent le dos flottant de l’azure Neptune,
Et nouveaux, cuident voir, quand ils quittent le port,
La nef demeurer ferme, et reculer le bord.

Ainsi toujours du Ciel les médailles brillantes
Seraient l’une de l’autre également distantes.
Ainsi le trait qu’en haut l’archer décocherait,
A plomb sur notre chef jamais ne tomberait :
Ains ferait tout ainsi qu’une pierre qu’on jette
De la voguante proue en haut sur notre tête,
Qui ne chet dans la nef : ains loin de notre dos,
Où plus le fleuve court, retombe dans les flots.
Ainsi tant d’oiselets, qui prennent la volée
Des Hespérides bords vers l’Aurore emperlée,
Les Zéphyrs qui durant la plus douce saison
Désirent aller voir des Eures la maison,
Les boulets foudroyés par la bouche meurtrière
D’un canon ajusté vers l’Inde matinière,
Sembleraient reculer : vu que le vite cours,
Que notre rond séjour parferait tous les jours,
Devancerait cent fois par sa vitesse isnelle
Des boulets, vents, oiseaux, l’effort, le souffle, l’aile.

Armé de ces raisons je combattrais en vain
Les subtiles raisons de ce docte Germain,
Qui pour mieux de ces feux sauver les apparences
Assigne, industrieux, à la terre trois danses :
Au centra de ce Tout le clair Soleil rangeant,
Et Phœbé, l’Eau, la Terre en même rond logeant.

Et pour ce qu’à ce coup le temps et la matière
Ne me permettent point de me donner carrière
En un stade si long : je prends pour fondement
De mes futurs discours l’éthéré mouvement.

J’admire la grandeur d’une haute montagne,
L’agréable bonté d’une verte campagne,
Le nombre du sablon de l’ondeux élément,
Et l’attrayant pouvoir de la pierre d’aimant :
Mais plus des astres clairs j’admire, où plus j’y pense,
La grandeur, la beauté, le nombre, la puissance.

Comme un paon, qui navré du piqueron d’amour,
Veut faire, piafard, à sa dame la cour,
Étaler tâche en rond les trésors de ses ailes
Peinturées d’azur, marquetées d’étoiles,
Rouant tout à l’entour d’un craquetant cerceau,
Afin que son beau corps paroisse encor plus beau :
Le Firmament atteint d’une pareille flamme
Déploie tous ses biens, rode autour de sa dame,
Tend son rideau d’azur de jaune tavelé,
Houppé de flocons d’or, d’ardents yeux piolé,
Pommelé haut et bas de flambantes rouelles,
Moucheté de clairs feux, et parsemé d’étoiles,
Pour faire que la terre aille plus ardemment
Recevoir le doux fruit de son embrasement.

Qui veut conter les feux tant nôtres qu’Antarctiques
Se doit rendre inventeur d’autres arithmétiques :
Et, pour venir à bout d’un si brave projet,
Avoir de l’océan tout le sable pour jet.
Toutefois nos aïeuls, non moins doctes que sages
Remarquèrent au Ciel quatre-fois-douze Images,
Pour aider la mémoire, et faire que nos yeux
En certaines maisons partageassent les cieux.

Les douze sont fichés en la riche ceinture,
Dont l’ouvrier immortel étrenna la Nature,
Quand formant l’Univers sa tout-puissante voix
Pour le peuple brillant fit de si belles lois :
Ceinture qu’elle porte en écharpe accrochée,
Non sur ses reins féconds rondement attachée.

Ce cercle, honneur du Ciel, ce baudrier orangé,
Chamarré de rubis, de fil d’argent frangé,
Bouclé de bagues d’or, d’un bandeau qui rayonne
Le Ciel biaisement nuit et jour environne.
Car depuis le quartier, où le Bélier conduit
Un clair jour compassé du compas de la nuit,
De nonante degrés vers le Nord il se courbe,
Puis d’autant de degrés, étoilé, se recourbe
Vers le milieu du Ciel, de là devers l’Autan,
Et de l’Autan ardant vers la porte de l’an.

C’est toi, Néphelien, qui choques de ta corne
Faite à replis d’airain, de l’an nouveau la borne :
Et possédant du Ciel la première maison
Montres les blonds touffeaux de ta riche toison.

De tes yeux brillonnants tu vois le Taureau naître,
Taureau, qui pour trouver en chemin de quoi paître,
Couvre le dos fécond du monde renaissant
De l’émail fleuronné d’un tapis verdissant :
Et sans soc, et sans joug, d’un pied libre sautelle,
Par les flairants sentiers de la saison nouvelle.

Ces Bessons, à qui Dieu, pour luire au mois plus doux
Astra pieds, tête, bras, épaules et genoux,
Font à qui mieux courir, sous espoir de surprendre
Le Taureau, qui, léger, ne veut, ni peut attendre.

Le Cancre guide-été fend après lentement
De ses huit avirons l’azur du firmament :
Afin que d’an en an sa coquille étoilée,
Conduise maint long jour sur la terre brûlée.

Presque d’un même pas le Lion vient après,
Tout couvert de flambeaux, tout hérissé de rais,
Qui du souffle pesteux de ses chaudes haleines
Sèche l’herbe des prés, et le froment des plaines.

La Vierge n’est pas loin, qui du train flamboyant
De son doré manteau le bleu Ciel balayant,
Porte d’une façon humainement superbe
Des ailes en la dextre, en la gauche une gerbe.

Après les feux puceaux le Trébuchet reluit,
Qui justement balance et le jour et la nuit :
D’or sont ses deux bassins, ses six cordons sont d’or,
D’or sont ses trois anneaux, d’or est son fléau encor.

Le traître Scorpion secondant la Balance,
Couvre de deux flambeaux le venin de sa panse,
Et, cruel, chaque jour par l’un et l’autre bout
Ses pestes vomirait les membres de ce Tout,
Si l’archer Philiride, homme et cheval ensemble,
Galopant par le Ciel, qui sous ses ongles tremble,
Ne menaçait toujours de son trait enflammé
Les membres bluettants du signé envenimé.

Or le chenu Centaure est, par tous lieux qu’il passe,
Tellement attentif à cette unique chasse,
Que le Chevreuil céleste éclatant tout de rais
Talonne ce veneur sans redouter ses traits.

Cependant l’Échanson sur ses clairs talons verse
De son étoilé vase une onde blonde-perse,
Et fait (qui le croira ?) naître de ses flambeaux,
Pour les suivants Poissons, un riche torrent d’eaux.

Les altérés Nageurs courent vers cette source,
Mais le fleuve à plis d’or s’enfuit devant leur course,
Ainsi que les Poissons fuient toujours devant
Le céleste Bélier qui les va poursuivant.

Outre ces douze feux, du côté de la bise
Un Dragon flamboyant les deux Ourses divise.
Après vient le bouvier, la couronne, le trait,
L’enfant agenouillé, la lyre, le portrait
Soit du docte Esculape, ou soit du fils d’Alcmène,
Qui le doré serpent parmi les astres mène,
Pégase, le dauphin, l’aigle, le cygne blanc,
Andromède, qui voit assez près de son flanc
Cassiope sa mère, et son père Céphée,
Et les membres astrés de son beau-fils Persée,
Le triangle luisant, le front Médusien,
Et l’étoilé charton du char Tyndarien.

D’autre part Orion, l’Éridan, la baleine,
Le chien, et l’avant-chien à la brûlante haleine,
Le lièvre, la grand ’nef, et l’hydre, et le gobeau,
Le Centaure, le loup, l’encensoir, le corbeau,
Le poisson du midi, et l’australe couronne,
Par la voûte du Ciel à qui mieux mieux rayonne.

C’est ainsi que ce jour les mains du Tout-puissant,
Du huitième rideau les toiles retissant,
D’un art sans art brocha ses pantes azurées
De mille millions de platines dorées :
Et cloua sous le rond du vite firmament,
A chacun autre ciel, un brandon seulement :
De peur que de ces feux le nombre étant sans nombre,
L’œil des mortels ne peut remarquer, parmi l’ombre
D’une sereine nuit, les passages divers
De ces corps étoilés qui planchent l’Univers.

C’est pour ce même effet qu’il arma d’étincelles
Du doré firmament les tremblantes chandelles,
Faisant que les sept feux, qui courent, allumés,
Sous lui d’un pas divers, ne bluettent jamais.
Ou, peut-être, fit-il tous ces brandons semblables,
Mais du huitième Ciel les flambeaux innombrables,
Pour être infiniment éloignés de nos sens,
Semblent tous trémousser à nos yeux trémoussants :
Non les sept feux errants, dont l’assiette voisine
Mille fois de plus près la terre et la marine.

Car les Cieux ne sont point ensemble entrelassés,
Ains étant les plus bas des plus hauts embrassés
Ils vont étrécissant la rondeur de leur ventre,
Selon que plus ou moins ils approchent du centre :
Comme la peau des œufs sous la coque, et de rang,
Le blanc dessous la peau, le moyeu sous le blanc.

Or ainsi que le vent fait tournoyer les voiles
D’un moulin équipé de sous-soufflantes toiles,
Des voiles la roideur anime l’arbre ailé,
L’arbre promène en rond le rouet dentelé,
Le rouet la lanterne, et la lanterne vire
La pierre qui le grain en farine déchire :
Et tout ainsi qu’on voit en l’horloge tendu,
Qu’un juste contrepoids justement suspendu
Émeut la grande roue, et qu’encor elle agite
Par ses tours mainte roue et moyenne et petite,
Le branlant balancier, et le fer martelant,
Les deux fois douze parts du vrai jour égalant :
Ainsi le plus grand ciel, dans quatre fois six heures
Visitant des mortels les diverses demeures,
Par sa prompte roideur emporte tous les cieux
Qui dorent l’Univers des clairs rais de leurs yeux :
Et les traine en un jour par sa vitesse étrange,
Du Gange jusqu’au Tage, et puis du Tage au Gange.

Mais les ardents flambeaux qui brillent dessous lui,
Fâchés d’être toujours sujets au gré d’autrui,
De ne changer jamais de son, ni de cadence,
D’avoir un même Ciel toujours pour guide-dance,
S’obstinent contre lui : et d’un oblique cours,
Qui deçà, qui delà, marchent tout au rebours :
Si bien que chacun d’eux (bien qu’autrement il semble)
En un même moment marche et recule ensemble,
Monte ensemble et descend et d’un contraire pas
Chemine en même temps vers Inde et vers Atlas.
Comme celui qui veut dessus la côte Anglaise
Guider les noirs paquets de l’herbe Lauragaise,
Tandis que vers la mer le roide fil de l’eau
De Tondeuse Garonne emporte son bateau,
Peut marcher, s’il lui plaît, de la proue à la poupe,
Et malgré les efforts de la voguante troupe,
Les souffles de l’Autan, et la roideur des eaux,
Aller en même temps vers Toulouse, et Bordeaux.

Mais tant plus que chacun de ces planchers voisine
L’inécroulable mur de la maison divine,
Il fait plus de chemin, et dépend plus de jours
A retrouver le point où commence son cours.

Et c’est pourquoi I’on tient que cette Tente riche,
Que l’immortel Brodeur, d’une dextre peu chiche,
Parsema d’écussons ardemment reluisants,
Employé en son voyage environ sept mille ans.

Mari de Mnémosyne, ingénieux Saturne,
Père de l’âge d’or, combien que taciturne,
Pensif, froidement sec, ridé, chauve, grison,
Tu tiens des feux errans la première maison :
Et ta coche de plomb au bout de trente années
De sa carrière voit les bornes destinées.

Toi Jupiter bénin, opulent, chasse-maux,
Voisines à bon droit ton Père porte-faux :
Et tandis qu’en rouant, bien heureux, tu modéres
Son astre désastré par cent vertus contraires,
Ton chariot d’étain, cerné de clous ardents,
Traverse obliquement douze astres en douze ans.

Mars au cœur généreux, mais qui transporté d’ire
Rien que guerre, que sang, que meurtre ne désire,
Repique nuit et jour ses destriers furieux,
Pour franchir vitement la carrière des cieux :
Mais ses roues d’acier trouvent tant de passages
Qui retardent, bossus, ses éternels voyages.
Que le gaillard Denis par trois fois a foulé 
D’un humide talon le raisin empoulé,
Et Cérès par trois fois tondu sa tresse blonde,
Ains que d’un cours tout sien il ait cerné le monde.

Phœbus aux cheveux d’or, Apollon donne-honneurs,
Donne-âme, porte-jour, soutien des grands seigneurs,
Poète, Médecin, tes routes sont bornées
Des bornes de trois cent soixante-cinq journées.
Car tu mesures l’an avec ton propre cours,
Et de ton cours forcé tu mesures les jours.

La douillette Venus, dont la vertu féconde
Engrosse heureusement tous les membres du monde,
A qui les jeux mignards, les douces voluptés,
Les mois Cupidonneaux, les gentilles beautés,
La jeunesse, le ris, et le bal font escorte,
Du jour porte-lumière ouvre et ferme la porte :
Sans que ses pigeons blancs, ou sur, ou sous les eaux,
S’osent guère écarter du Prince des flambeaux.

Ainsi, ou peu s’en faut, (Hermé, guide-navire,
(Mercure échelle-ciel, invent’-art, aime-lyre,
Trafiqueur, montre-voie, orateur, courtisan,
A faire son voyage emploie presque un an,
Sans qu’en si long chemin ses vites talonnières
S’osent guère éloigner du Prince des lumières.
Et Phœbé verse-froid, verse-humeur, borne-mois,
Passe le Zodiaque en un an douze fois.

Or si de ces brandons la flamboyante presse
Languissait pour jamais en oisive paresse,
Toujours l’obscure nuit et toujours le clair jour
Feraient en même part leur trop constant séjour.
L’été ses rais ardents, l’hiver sa froide glace
Opposés verseraient toujours en même place.
Rien ne naîtroit çà-bas, rien çà-bas ne croîtroit,
Pour être abandonné ou du chaud ou du froid.

Et quand bien sans muer de rang ou de distance
Tous ces flambeaux suivraient une même cadence,
Les membres inconstants de ce bas Univers
Ne sentiraient chez eux tant d’accidents divers,
Que les accouplements des célestes chandelles
Versent incessamment sur les choses mortelles.

Je ne croirai jamais que l’Ouvrier Tout-puissant
Ait peint de tant de feux le Ciel toujours-glissant
Pour servir seulement d’une vaine parade,
Et de nuit amuser la champêtre brigade.
Je ne croirai jamais que la moindre des fleurs,
Qui le champ plus désert pare de ses couleurs,
Que le moindre caillou, qu’en sa creuse matrice
Recèle avarement notre mère-nourrice,
Ait quelque vertu propre : et que tant de flambeaux
Qui passent en grandeur et la terre, et les eaux,
Luisent en vain au ciel, n’ayant point autre charge
Que de se promener par un palais si large.

Celui n’a point de sens, qui sans rougir dément
De ses sens non blessés le certain jugement.
Et celui qui combat contre l’expérience,
N’est digne du discours d’une haute science.
Tel est celui qui dit que les astres n’ont pas
Pouvoir dessus les corps qui fourmillent çà bas,
Bien que du Ciel courbé les effets manifestes
Soient en nombre plus grand que les torches célestes.

Je ne veux mettre en jeu les diverses saisons
Que cause le Soleil en changeant de maisons :
Je tairais que jamais la torche journalière
Ne dérobe à nos yeux en plein jour sa lumière,
Que quelque grand n’éclipse : et qu’encor Alecton
N’exile pour un temps des régnés de Pluton
La becquetante faim, la trahison funeste,
La sanglante Enyon, et la punaise peste,
Pour déborder sur nous une mer de douleurs,
Et noyer l’Univers et de sang et de pleurs.
J’oublierais que la mer s’enfle et se diminue
Par l’accroît et décroît de l’étoile cornue :
Que tant plus elle croît en ses nuiteux travaux,
Tant plus croît la moelle es os des animaux,
Dans les veines le sang, la sève dans les plantes,
Et la baveuse chair dans les huitres flottantes.
Que l’aulne, et le Sapin, que d’un mont verdissant
Le charpentier arrache au croissant du Croissant,
Ne se verra jamais, comme l’ouvrier désire,
Ni chez nous vieil chevron, ni sur mer vieil navire.
Et qu’en ce temps encor les malades esprits,
Sont de plus grande rage éperdument épris,
Si que cet astre seul monstre combien les flammes
Du ciel toujours rouant peuvent même en nos âmes,
Réglant ensemblement nos mœurs et nos humeurs,
Troublant ensemblement nos humeurs et nos mœurs,
Pour la fraternité, qui lie mainte année
L’esprit avec le corps d’un étroit Hyménée.

Je dirai seulement, que puisque les regards
Du céleste avant-chien lancent de toutes pars
Mil invisibles feux : qu’ils sèchent les campagnes,
Qu’ils cuisent les vallons, qu’ils brûlent les montagnes.
Et que le plus souvent ils causent dans nos corps
De cent accès fiévreux les pantelants efforts :
Que la Crèche au rebours, les humides Pléiades,
Le brillant Orion, les pleureuses Hyades
Jamais presque sur nous n’allument leurs flambeaux
Sans étendre les bords des écumeuses eaux.

Bref, puis qu’il est ainsi, que sur le clair visage
Du doré firmament on ne voit presque image,
Qui sur le monde bas ne verse évidemment,
Pour fomenter ce Tout, maint et maint changement :
On peut conjecturer quelle vertu secrète
Découlé sur nos chefs de chacune Planète,
De chacun de ces feux que Dieu voulut ficher
Pour leur rare pouvoir chacun en son plancher.

Non que par ce discours, Stoïque, je me peine
D’attacher l’Éternel à la dure cadène
De la nécessité, d’un nœud diamantin,
Pressant ses libres pieds dans les ceps du destin.

Je tiens que le grand Dieu, comme cause première,
Donne aux célestes corps force, course, lumière :
Qu’il les tient en sa main : que pas un d’eux ne peut
Verser sur les mortels que le destin qu’il veut.
Mais qu’il faut cependant qu’à part chacun s’efforce
De connaître du Ciel et la route et la force :
Afin qu’apercevant sous combien de tyrans
Nous fûmes asservis, lors que nos fols parents,
Perdirent leur justice, et que l’aveugle femme
En chopant fit choper les deux parts de son âme,
Nous désenflions nos cœurs, et ployant les genoux,
Apaisions par soupirs du grand Dieu le courroux,
Le priant d’écarter les grêles, les orages,
Les froids trop violents, les ardeurs, les ravages,
Dont tant et tant de fois nous sommes menacés
Par les cruels regards des astres courroucés :
De nous donner un frein pour brider l’insolence
Où nous pousse l’effort d’une triste naissance :
De verser un peu d’eau, pour dans nous étancher
Les furieux désirs d’une bouillante chair :
D’accoiser en nos cœurs les passions diverses,
Qui naissent du limon de nos humeurs perverses.

Phœbé mère des mois, Phœbus père des ans,
Ha ! vous me cachez donc vos visages luisants ?
Quoi ? vous ne voulez pas me montrer vos étoiles
Qu’à travers l’épaisseur de deux funèbres voiles ?
Ôtez-moi ces bandeaux : dépouillez-moi ce deuil :
Tous tels qu’êtes au Ciel montrez-vous à mon œil,
Et par l’éternel vol de ma muse emplumée
Votre gloire sera par moi si loin semée,
Que loin, loin vous courrez, pour conduire à leur tour
Le jour après la nuit, la nuit après le jour.

Postillon, qui jamais ne vois fin à ta course,
Fontaine de chaleur, de clarté vive source,
Vie de l’Univers, clair flambeau de ce Tout,
Riche ornement du Ciel, hé ! dis-moi, par quel bout
Je dois prendre ton los ? Je semble cil qui nombre
Les cailles, qui couvrant la mer Itale d’ombre,
Pour vivre sous un Ciel plus fécond et plus doux,
Viennent par escadrons passer l’été chez nous,
Tandis qu’il est après à conter une bande,
Une autre, une autre encor, une autre encor plus grande
Se présente à ses yeux : si qu’essaim sur essaim
Lui trouble la mémoire, et rompt tout son dessein.

Œil du jour, si je dis que tout ainsi qu’un Prince
Qui, plein de majesté, rode par sa province,
Est entouré de Ducs, de Comtes, de Barons,
Voit derrière et devant marcher les escadrons
Des archers de sa garde, et n’a rien en sa bande
Qui sa sainte grandeur ne rende encor plus grande :
Toi de même rouant autour de l’Univers,
Qui ne vit que du feu de tes aspects divers,
Six grands Princes du ciel, trois devant, trois derrière,
Accompagnent, vassaux, ton char porte-lumière :
Outre l’ost brillonnant du ciel plus haut monté,
Qui de toi ne reçoit pour solde que clarté.

Je veux tout sur le champ trompeter qu’en la sorte
Qu’au milieu de son corps le Microcosme porte
Le cœur source de vie, et qui de toutes parts
Fournit le corps d’esprits par symétries espars :
Que de même, ô Soleil, chevelu d’or, tu marches
Au milieu des six feux des six plus basses arches
Qui voûtent l’Univers, afin d’également,
Riche, leur départir clarté, force, ornement,
En louant ton ardeur qui pénétré, subtile,
La solide épaisseur de la terre fertile,
Qui va dans ses roignons le Mercure cuisant,
Qui change un pâle soufre en un métal luisant,
Je sors de la carrière : et peu constant, désire
Chanter, que si ton œil cessait un jour de luire,
L’air non purgé par toi en eau se résoudrait,
Et sur les monts plus hauts Neptun reflotterait.

A peine ai-je entrepris de compasser ta face,
Qui tant et tant de fois de sa grandeur surpasse
La grandeur de la terre, et qui fait en passant
Que ce qui vit çà-bas, et la voit et la sent,
Que je prends autre route, et fantasque je laisse
Un sujet si fécond pour chanter ta vitesse :
Pour chanter qu’en quittant des flots Indois le bord,
Tu sembles, ô Titan, un bel époux qui sort
Le matin de sa chambre, et des rais de sa face,
De For de ses cheveux, des attraits de sa grâce,
Et des riches couleurs d’un habit éclatant,
Égaye à son lever la presse qui l’attend
D’un extrême désir, et bénit la journée
Par le chant amoureux d’un gaillard Hyménée.
Puis comme un Prince accort, qui couvant dans le cœur
Les poignants aiguillons et d’amour et d’honneur,
Devant cent mil humains, qui bordent la barrière,
Veut emporter le pris d’une longue carrière :
Par le cirque du Ciel tu cours si vitement,
Qu’à peine notre esprit atteint ton mouvement.

Quand je dis qu’à bon droit tes roussins tu pourmènes
Par le quatrième ciel, afin que leurs haleines
Ondoyantes de feu tempèrent en passant
La froideur de Saturne, et l’humeur du Croissant :
Et que, si tu luisais en la voûte plus basse,
Tu cuirais les humains de l’ardeur de ta face :
Si ton feu dans le Ciel de Saturne éclairait,
Qu’à faute de chaleur toute chose mourrait.

Je tâche en même temps chanter que ta naissance,
Fait renaître ce Tout : que devant ta présence
La neige, le brouillas, l’oisiveté, la nuit,
Le fantôme, la peur, et le somme s’enfuit.
Bref, c’est un Océan qui n’a ni fond ni rive,
Et le trop de sujet de parole me prive.

Si veux-je toutefois, ô Roy du Ciel, je veux
Qu’entre cent mille fleurs, qui cernent tes cheveux,
Ma main chaste en élise une ou deux des plus belles
Pour en faire un présent à tes sœurs immortelles.
Je veux, ô clair flambeau, chanter que tu n’es pas
De ces Rois, qui pipez par les flatteurs appas
D’un ou deux de leur cour tout un peuple paumassent,
Afin que de ses biens deux ou trois s’enrichissent :
Qui charmez des douceurs de mille voluptés
Ne hantent, partiaux, qu’une de leurs cités:
Et n’aimant qu’un pays à des personnes viles
Abandonnent le soin du reste de leurs Villes.
Car à chaque pays dans l’espace d’un jour
Tu donnes le bonsoir, tu donnes le bonjour :
Et ton œil loin-voyant comme Censeur visite
Les façons des oiseaux, les mœurs de l’Amphitrite,
Et nos déportements dignes cent et cent fois
Du pleur Éphésien, et du rire Abdérois.

Il est bien vrai qu’afin qu’une chaleur féconde
Rajeunisse de rang tous les climats du monde,
Et que tous les humains ressentent de plus près
Par ordre alternatif la vertu de tes rais,
Tu fais que ce beau char, qui la clarté nous porte,
Par un même portail chaque matin ne sorte,
Ains pour faire par tout connaître tes travaux,
Tu changes chaque jour d’étable à tes chevaux :
Afin que le printemps attiré de verdure
Règne ici cependant qu’ailleurs l’automne dure,
Et tandis que l’été dessèche nos moissons,
Ailleurs le froid hiver couvre tout de glaçons.

Tu n’as si tôt fléchi ta flamboyante course
Du plus haut lieu du ciel vers les clairs feux de l’Ourse,
Pour t’égayer trois mois les riantes maisons
Du Mouton, du Taureau, et des frères Bessons,
Que la troupe des monts de farine couverte
Son blanc habillement ne change en robe verte,
Que de fleurs les jardins ne se voient parés,
De feuillage les bois, et d’herbages les prés,
Que le mignard Zéphyr ne baisote sa Flore,
Que les chantres ailés ne saluent l’Aurore,
Que par l’air Cupidon ne blesse les oiseaux,
Sur terre les humains, les poissons dans les eaux.

Quand, rebrossant chemin, ton chaud Phlégon héberge,
Chez le Cancre brûlant, le Lion, et la Vierge,
La terre se crevasse, et d’épis surdorés
L’été va couronnant sa maîtresse Cérès :
Le faucheur pantelant et de chaud et de peine,
Tond d’un fer recourbé les cheveux de la plaine :
Et le bon ménager, qui fait tout par saison,
Avitaillé en un mois pour un an sa maison.

Quand du milieu du ciel ton clair flambeau s’envole
Vers les astres croisés de l’Antarctique pôle,
Pour se lever trois mois, et trois mois se coucher
Chez le clair Scorpion, la Balance, et l’Archer :
La terre peu à peu sa beauté nous dérobe,
Pomone va chargeant le devant de sa robe
Et ses clissés paniers de fruits aigrement-doux,
Pour servir de dessert à son malsain époux.
L’automne, qui pied-nu dans la claie trépigne,
Faisant par tout couler le doux jus de la vigne.

Puis logeant chez le Dain, la Cruche, et les Poissons,
L’hiver au lieu de fleurs se pare de glaçons :
L’eau des toits pend en l’air, et l’époux d’Orithie
D’un souffle brise-roc évente la Scythie,
Tout languit en paresse, et Bacchus et Vulcan
Corrigent la froideur des plus vifs mois de Tan.

O le second honneur des célestes chandelles,
Assuré calendrier des Fastes éternelles,
Princesse de la mer, flambeau guide-passant,
Conduit-somme, aime-paix ! que dirai-je, ô Croissant,
De ton front inconstant, qui fait que je balance,
Tantôt çà tantôt là d’une vaine inconstance ?

Si par l’œil toutefois l’humain entendement
De corps tant éloignés peut faire jugement
J’estime que ton corps est rond comme une baie,
Dont la superficie en tous lieux presque égaie,
Comme un miroir poli, or’ dessus, or’ dessous,
Rejette la clarté du soleil ton époux.
Car comme la grandeur du mari rend illustre
La femme de bas lieu : tout de même le lustre
Du chaleureux Titan éclaircit de ses rais
Ton front qui de soi-même est sombrement épais.

Or cela ne se fait toujours de même sorte :
Ains d’autant que ton char plus vitement t’emporte
Que celui du Soleil, diversement tu luis,
Selon que plus ou moins ses approches tu fuis.

C’est pourquoi chaque mois, quand une noce heureuse
Rallume dans vos corps une ardeur amoureuse,
Et que, pour t’embrasser, des étoiles le Roi,
Plein d’un bouillant désir, raye à plomb dessus toi,
Ton demi-rond, qui voit des mortels la demeure,
Suivant son naturel du tout sombre demeure.

Mais tu n’as pas si tôt gagné son clair côté
Qu’en ton flanc jà blanchit un filet de clarté,
Un arceau mi-bandé, qui s’enfle où moins ta coche
Du char ramène-jour de ton époux approche :
Et qui parfait son rond soudain que ce flambeau
D’un opposite aspect le regarde à niveau.

De ce point peu à peu ton plein se diminue,
Peu à peu tu te fais vers l’Occident cornue :
Jusqu’à ce que tombant es bras de ton Soleil,
Vaincue de plaisir tu refermes ton œil.

Ainsi tu te refais, puis tu te renouvelles,
Aimant toujours le change, et les choses mortelles
Comme vivant sous toi, sentent pareillement
L’insensible vertu d’un secret changement.

Non que toujours Phœbus de ses rais n’illumine
La moitié pour le moins de ta face divine :
Mais il semble autrement à l’œil qui ne voit pas
Que de ton globe rond l’hémisphère d’embats
Bien que, croissant vers nous, vers le Ciel tu décroisses,
Que vers nous décroissant, devers le ciel tu croisses :

Toutefois il advient, lors même que ton front
En son plus haut chemin nous apparait tout rond,
Et que le voile épais d’un bigarré nuage
Ne nous peut dérober les rais de ton visage,
Que ton argent s’efface, et que ton teint souillé
Se couvre de l’acier d’un rondache rouillé.
Car ton front se trouvant durant son cours oblique
Vis à vis du Soleil en la ligne Écliptique,
Et la terre entre deux, tu pers ce lustre beau
Que tu tiens à profit du fraternel flambeau.

Mais pour te revancher de la Terre, qui garde
Que pour lors front à front Phœbus ne te regarde,
Ton épaisse rondeur se loge quelquefois
Entre Phœbus et nous sur la fin de ton mois.
Et d’autant que les rais qui partent de sa face,
Ne traversent l’épais de ton obscure masse,
Phœbus, comme sujet aux douleurs du trépas,
Semble être sans clarté, bien qu’il ne le soit pas.

Ainsi donc ton éclipse est au sien tout contraire,
Le tien se fait souvent : rare est cil de ton frère.
Ton éclipse vraiment efface ta beauté :
Le sien prive nos yeux, non son front de clarté.
La terre est celle-là qui te rend ainsi sombre :
L’éclipse du Soleil est causé par ton ombre,
Ton front vers le Levant se commence obscurcir :
Son front vers l’Occident commence à se noircir,
Ton éclipsé se fait lors que plus luit sa face :
Le sien quand ta beauté décroissante s’efface.
Le tien est général vers la terre et les cieux :
Le sien n’est même ici connu qu’en certains lieux.

Mais ce hideux bandeau, qui de nocturnes voiles
Couvrit les yeux flambants du Prince des étoiles,
Quand il vit éclipser, pour nos faits vicieux,
L’inimitable Ouvrier des clairs flambeaux des cieux,
Fut bien d’autre façon. La troupe basanée
Qui raye les guérets de la riche Guinée :
Le peuple que le Nil par l’effroyable bruit
De sa chute pierreuse essourde jour et nuit :
Celui qui dans l’enclos des murs de Cassagale
Foule à sec de ses pieds la mer orientale,
Et qui passe, en suivant tous ses beaux carrefours,
Et douze mille ponts et douze mille tours :
Celui qui vers le Nord chasse de lande en lande
Les martres au doux poil de Norvège et Finlande,
Ou qui roule sans peur ses glissants tombereaux
Sur le dos non-flottant des Islandaises eaux :
Fut témoin de son deuil, et sut par conjecture
Que Nature souffrait, ou le Dieu de Nature.

Et qui plus est encor de la Lune le front
Parfaisait au compas le blanc trait de son rond :
Et, pour être si loin, ne pouvait de son ombre,
Suivant Tordre commun le Soleil rendre sombre,
Ni, venant à sortir du côté de Levant,
Perdre cette beauté qui l’ornait paravant.
Bref, mon œil, qui se perd en si divins spectacles,
Trouve en ce seul miracle une mer de miracles.

Que pouvais-tu moins faire, ô des astres l’honneur,
Qu’en te déshonorant honorer ton Seigneur ?
Que porter pour un temps sur l’infame Hémisphère
Un deuil non usité pour la mort de ton Père ?
Que fermer en plein jour tes beaux yeux, pour ne voir
Un crime, dont horreur l’enfer semblait avoir ?
Et navré de douleurs d’une si grieve injure,
Pour plaire au Tout-puissant, déplaire à la Nature ?

Ainsi pour témoigner de Midi jusqu’au Nord
Que ton Dieu révoquait le triste arrêt de mort
Donné contre Ézéchiel, et qu’il avait envie
D’allonger pour quinze ans le filet de sa vie,
Transgressant du clair ciel les éternelles lois,
Tu refis en un jour même chemin trois fois :
Et comme désireux de sommeiller encore
Entre les bras aimés de ta vermeille Aurore,
Ta coche tourne bride, et tes suants chevaux.
De dix degrés entiers allongent leurs travaux.
Les quadrants sont menteurs, et les forêts plus sombres
S’émerveillent d’ainsi voir reculer leurs ombres.

Ainsi lors que le ciel, colèré, combattait
A la solde d’Isaac, lors que le ciel jetait
Parmi dix mille éclairs, sur les bandes royales
Du peuple Amorien une nue de baies :
Et que, pour abolir d’un fer victorieux
Tout ce qu’échapperait à la fureur des cieux,
Josué t’adjura, ta brillante lumière
Fit ferme au beau milieu de ta longue carrière :
Et pour favoriser l’exercite sacré,
S’arrêta tout un jour en un même degré :
Afin qu’une nuit brune à l’ombre de ses ailes,
Clémente, ne sauvât les fuyards infidèles.
Ceux qui vivaient là-bas sous un pôle divers,
Voyant que l’astre clair, qui dore l’Univers,
Tardait tant à montrer sur eux sa face belle,
Estimaient cette nuit une nuit éternelle.
L’Indois et l’Espagnol ne pensait de son œil,
Voir plus chez soi lever ni coucher le Soleil :
L’ombre des tours faisait en même lieu demeure :
Le quadrant ne marquait en douze-heures qu’une heure.