Rémy Belleau (1529-1577)

Le Ver luisant de nuit

Jamais ne se puisse lasser
Ma Muse de chanter la gloire
D’un Ver petit, dont la mémoire
Jamais ne se puisse effacer :

D’un Ver petit, d’un Ver luisant,
D’un Ver sous la noire carrière
Du ciel, qui rend une lumière
De son feu le ciel méprisant.

Une lumière qui reluit
Au soir, sur l’herbe roussoyante,
Comme la tresse rayonnante
De la courrière de la nuit.

D’un Ver tapi sous les buissons,
Qui au laboureur prophétise
Qu’il faut que pour faucher aiguise
Sa faux, et fasse les moissons.

Gentil prophète et bien appris,
Appris de Dieu qui te fait naître
Non pour néant, mais pour accroître
Sa grandeur dedans nos esprits !

Et pour montrer au laboureur
Qu’il a son ciel dessus la terre,
Sans que son œil vaguement erre
En haut pour apprendre le heur

Ou de la teste du Taureau,
Ou du Cancre, ou du Capricorne,
Ou du Bélier qui de sa corne
Donne ouverture au temps nouveau.

Vraiment tu te dois bien vanter
Etre seul ayant la poitrine
Pleine d’une humeur cristalline
Qui te fait voir, et souhaiter

Des petits enfants seulement,
Ou pour te montrer à leur père,
Ou te pendre au sein de leur mère
Pour lustre, comme un diamant.

Vis donc, et que le pas divers
Du pied passager ne t’offense,
Et pour ta plus sûre défense
Choisis le fort des buissons vers.


Avril

Avril, l’honneur et des bois
   Et des mois,
Avril, la douce espérance
Des fruits qui sous le coton
   Du bouton
Nourrissent leur jeune enfance ;

Avril, l’honneur des prés verts,
   Jaune, pers,
Qui d’une humeur bigarrée
Émaillent de mille fleurs
   De couleurs
Leur parure diaprée ;

Avril, l’honneur des soupirs
   Des zéphyrs,
Qui, sous le vent de leur aile,
Dressent encore les forêts
   Des doux rets
Pour ravir Flore la belle ;

Avril, c’est ta douce main
   Qui du sein
De la nature desserre
Une moisson de senteurs
   Et de fleurs,
Embaumant l’air et la terre.

Avril, l’honneur verdissant,
   Florissant
Sur les tresses blondelettes
De ma dame, et de son sein
   Toujours plein
De mille et mille fleurettes ;

Avril, la grâce et le ris
   De Cypris,
Le flair et la douce haleine ;
Avril, le parfum des dieux
   Qui des cieux
Sentent l’odeur de la plaine.

C’est toi courtois et gentil
   Qui d’exil
Retire ces passagères,
Ces arondelles qui vont
   Et qui sont
Du printemps les messagères.

L’aubépine et l’églantin,
   Et le thym,
L’œillet, le lis et les roses,
En ceste belle saison,
   À foison,
Montrent leurs robes écloses.

Le gentil rossignolet,
   Doucelet,
Découpe dessous l’ombrage
Mille fredons babillards,
   Frétillards
Au doux chant de son ramage.

C’est à ton heureux retour
   Que l’amour
Souffle à doucettes haleines
Un feu croupi et couvert
   Que l’hiver
Recelait dedans nos veines.

Tu vois en ce temps nouveau
   L’essaim beau
De ces pillardes avettes
Voleter de fleur en fleur
   Pour l’odeur
Qu’ils mussent en leurs cuissettes.

Mai vantera ses fraîcheurs,
   Ses fruits meurs
Et sa féconde rosée,
La manne et le sucre doux,
   Le miel roux,
Dont sa grâce est arrosée.

Mais moi je donne ma voix
   À ce mois,
Qui prend le surnom de celle
Qui de l’écumeuse mer
   Voit germer
Sa naissance maternelle.

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