Septième Jour de La Semaine, ou, La Création du monde par Guillaume du Bartas (1544-1590)

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Le Peintre qui, tirant un divers paysage,
A mis en œuvre l’art, la nature, et l’usage,
Et qui d’un las pinceau sur si docte portrait
A, pour s’éterniser, donné le dernier trait :
Oublie ses travaux, rit d’aise en son courage,
Et tient toujours ses yeux collés sur son ouvrage.

Il regarde tantôt par un pré sauteler
Un agneau, qui toujours, muet, semble bêler.
Il contemple tantôt les arbres d’un bocage,
Ore ­­­le ventre creux d’une grotte sauvage,
Ore un petit sentier, ore un chemin battu,
Ore un pin baise-nue, ore un chêne abattu.

Ici par le pendant d’une roche couverte
D’un tapis damassé, moitié de mousse verte,
Moitié de vert lierre, un argenté ruisseau­­
A flots entrecoupés précipité son eau :
Et, qui courant après, or’ sus, or’ sous la terre,
Humecte, divisé, les carreaux d’un parterre.

Ici l’arquebusier, de derrière un buis vert,
Affûté, vise droit contre un chêne couvert
De bisets passagers. Le rouet se débande,
L’amorce vole en-haut d’une vitesse grande.
Un plomb environné de fumée et de feu,
Comme un foudre éclatant, court par le bois touffu.

Ici deux bergerots sur l’émaillé rivage
Font à qui mieux courra pour le pris d’une cage.
Un nuage poudreux s’émeut dessous leurs pas :
Ils marchent et de tête, et de pieds, et de bras :
Ils fondent tout en eau : une suivante presse
Semble rendre en criant plus vite leur vitesse.

Ici deux bœufs suants de leurs cols harassés
Le coutre fend-guéret trainent à pas forcés.
Ici la pastourelle à travers une plaine,
A l’ombre, d’un pas lent son gras troupeau ramène :
Cheminant elle file, et à voir sa façon,
On dirait qu’elle entonne une douce chanson.

Un fleuve coule ici, là naît une fontaine :
Ici s’élève un mont, là s’abaisse une plaine :
Ici fume un château, là fume une cité :
Et là flotte une nef sur Neptune irrité.

Bref, l’art si vivement exprime la nature,
Que le Peintre se perd en sa propre peinture :
N’en pouvant tirer l’œil, d’autant qu’où plus avant
Il contemple son œuvre il se voit plus savant.

Ainsi ce grand ouvrier, dont la gloire fameuse
J’ébauche du pinceau de ma grossière muse
Ayant ces jours passés d’un soin non-soucieux,
D’un labeur sans labeur, d’un travail gracieux,
Parfait de ce grand Tout l’infini paysage,
Se repose ce Jour, s’admire en son ouvrage,
Et son œil, qui n’a point pour un temps autre objet,
Reçoit l’espéré fruit d’un si brave projet.
(Si le bégayement de ma froide éloquence
Peut parler des projets d’une si haute Essence.)

II voit ore comment la mer porte-vaisseaux
Pour hommage reçoit de tous fleuves les eaux.
Il voit que d’autre-part le Ciel ses ondes hume,
Sans que le tribut l’enfle, ou le feu la consume.
Il voit de ses bourgeois les fécondés amours :
De ses flux et reflux il contemple le cours,
Sur qui le front cornu de l’Etoile voisine,
D’un aspect inconstant, et nuit et jour domine.

Il œillade tantôt les champs passementés
Du cours entortillé des fleuves argentés.

Ore il prend son plaisir à voir que quatre frères
Soutiennent l’Univers par leurs efforts contraires :
Et comme l’un par temps en l’autre se dissout
Tant que de leur débat naît la paix de ce Tout.

Il s’égaye tantôt à contempler la course
Des cieux glissants autour de la Croix et de l’Ourse :
Et comme sans repos, or’ sus, or sous les eaux,
Par chemins tous divers ils guident leurs flambeaux.

Ore il prend ses ébats à voir comme la flamme,
Qui cerne ce grand Tout, rien de ce Tout n’enflamme,
Comme le corps glissant des non-solides airs
Peut porter tant d’oiseaux, de glaçons, et de mers.
Comme l’eau, qui toujours demande la descente,
Entre la terre et l’air se peut tenir en pente,
Comme l’autre élément se maintient otieux,
Sans dans l’eau s’effondrer, ou sans se joindre aux cieux.

Or’ son nez à longs traits odore une grand’ plaine,
Ou commence à flairer l’encens, la marjolaine,
La cannelle, l’œillet, le nard, le romarin,
Le serpolet, la rose, et le baume, et le thym.

Son oreille or’ se plaît de la mignarde noise
Que le peuple volant par les forêts dégoise :
Car bien que chaque oiseau, guidé d’un art sans art,
Dans les bois verdoyants tienne son chant à part,
Si n’ont-ils toutefois tous ensemble pour verbe
Que du Roi de ce Tout la louange superbe,
Et bref, l’oreille, l’œil, le nez du Tout-puissant,
En son œuvre n’oit rien, rien ne voit, rien ne sent,
Qui ne prêche son los, où ne luise sa face,
Qui n’épande par tout les odeurs de sa grâce.
Mais plus que tous encor les humaines beautés
Tiennent du Tout-puissant tous les sens arrêtés.
L’homme est sa volupté, l’homme est son saint image,
Et pour l’amour de l’homme il aime son ouvrage.

Non, que j’aille forgeant une Divinité,
Qui languisse là-haut en morne oisiveté,
Qui n’aime les vertus, qui ne punit les vices,
Un Dieu sourd à nos cris, aveugle à nos services,
Fainéant, songe-creux, et bref un Loir qui dort
D’un sommeil éternel, ou plutôt un Dieu mort.

Or bien que quelquefois repousser je ne puisse
Maint profane penser, qui dans mon cœur se glisse :
Je ne pense onc en Dieu, sans en Dieu concevoir
Justice, Soin, Conseil, Amour, Bonté, Pouvoir :
Vu que l’homme, qui n’est de Dieu qu’un mort image,
Sans ces dons n’est plus homme, ainsi bête sauvage.

Tu dormais Épicure, encor plus que ton Dieu,
Quand tu fantastiquais un léthargique au lieu
De la source de vie : ou, d’une ruse vaine
Des Athées fuyant non le crime, ains la peine,
Tu mettais en avant un Dieu tant imparfait,
Pour l’avouer de bouche, et le nier de fait.

Dieu n’est tel qu’un grand roi qui s’assied pour s’ébattre
Au plus éminent lieu d’un superbe théâtre,
Et qui sans ordonner des fables l’appareil,
Ne veut que contenter son oreille et son œil :

Qui content d’avoir fait rouer par sa parole,
Tant d’astres flamboyants sur l’un et l’autre pôle,
Et comme en chaque corps du burin de son doigt
Grave le texte saint d’une éternelle loi :
Tenant sa dextre au sein, abandonne leur bride,
Pour les laisser courir où ceste loi les guide :
Tel que cil qui jadis par un canal nouveau,
Pénible, a détourné le flottant cours d’un eau,
N’est plus comme devant pour ceste source en peine,
Ains la laisse couler où sa fosse la mène.

Dieu, notre Dieu n’est point un Dieu nu de puissance,
D’industrie, de soin, de bonté, de prudence :
Il s’est montré puissant, formant ce Tout de rien :
Plein de docte industrie, en le réglant si bien :
Soigneux en l’achevant en deux fois trois journées :
Bon en le bâtissant pour des choses non nées :
Et sage, en le tenant malgré l’effort du temps
En son premier étant tant de centaines d’ans.
Hé Dieu, combien de fois cette belle machine
Par sa propre grandeur eut causé sa ruine ?
Combien de fois ce Tout eut senti le trépas,
S’il n’eut eu du grand Dieu pour arcs-boutants les bras ?

Dieu est l’âme, le nerf, la vie, l’efficace,
Qui anime, qui meut, qui soutient cette masse.
Dieu est le grand ressort, qui fait de ce grand corps
Jouer diversement tous les petits ressorts.
Dieu est ce fort Atlas dont l’imployable échine
Soutient la pesanteur de l’astrée machine.

Dieu des moites surgeons rend immortel le cours :
Dieu fait couler sans fin les nuits après les jours,
L’automne après l’été, l’hiver après l’automne,
Après l’hiver sans fleurs le printemps qui fleuronne.
Dieu rengrosse la terre, et fait qu’elle n’a pas
De tant d’enfantements presqu’encor le flanc las.
Dieu fait que le Soleil, et les astres de même,
Bien qu’ils soient très ardents, ne se brûlent eux-mêmes :
Que leurs rayons brillants d’un triste embrasement
N’anticipent le jour du dernier jugement.
Et qu’en un même temps, d’une contraire course,
Ils vont vers le Ponant, vers l’Aurore, et vers l’Ourse.

Jamais le cours du Ciel ne transgresse ses lois.
Le Nérée flottant n’obéit qu’à sa voix.
L’air est de son ressort : le feu de son domaine :
La terre est en sa terre : et rien ne se promène
Par royaumes si grands, qui ne soit agité
Du secret mouvement de son Éternité.

Dieu est le président, qui par tout a justice
Haute, moyenne, et basse, et qui sans avarice,
Ignorance, faveur, crainte, respect, courroux,
Ses arrêts sans appel prononce contre nous.

Il est juge, enquêteur, et témoin tout ensemble,
Il ne trouve secret ce qui secret nous semble,
Le plus double courage il sonde jusqu’aux fonds,
Il voit clairs à minuit. Les gouffres plus profonds
Lui sont gués de cristal : et son œil de Lyncée
Découvre la pensée avant qu’être pensée.

Son jugement donné ne demeure sans fruit :
Car il a pour sergents tout ce qu’au Ciel reluit,
Qui germe par les champs, qui sur terre chemine,
Qui voltige par l’air, qui noue en la marine.
Il a pour ses commis tous ces esprits ailés,
Dont le pied foule l’or des cercles étoilés.
Et Satan assisté de l’infernale bande
Exécute soudain tout ce qu’il lui commande.
Bref c’est un bon Ouvrier, qui s’aide dextrement
Aussi bien d’un mauvais, que d’un bon instrument :
Qui fait pour donner cours à sa haute justice
Contre nous-mêmes armer notre propre malice :
Qui fait pour le dessein des méchants empêcher,
Ses plus grands ennemis à sa solde marcher.

Bien est vrai toutefois que les choses humaines
Sans frein semblent couler tant et tant incertaines,
Qu’on ne peut en la mer de tant d’évènements
Remarquer quelquefois les divins jugements :
Ains comme à-vau-de-route il semble que Fortune
Réglé sans règlement ce qui luit sous la Lune.

Si demeures-tu juste, ô Dieu ! mais je ne puis
Sonder de tes desseins l’inépuisable puits.
Mon esprit est trop court pour donner quelque atteinte
Même au plus bas conseil de ta Majesté sainte.
Tes secrets moins secrets, ô Dieu, je reconnois
Lettres closes à nous, et patentes à toi.

Bien-souvent toutefois ce qui de prime-face,
Comme injuste à nos sens, notre raison surpasse :
Tu veux, ô Tout-puissant, tu veux qu’en sa saison
Nous le reconnaissions être fait par raison.

Permettant aux Hébreux la vente fraternelle,
Tu semblas démentir ta justice éternelle.
Mais Joseph se voyant, par un rare bonheur
De misérable esclave être fait gouverneur
Des champs, pour qui le Nil d’un débord sept fois riche
Répare le défaut du Ciel d’humeur trop chiche,
Apprit que le complot de ses traitres germains
Avait mis le timon de Memphe entre ses mains :
Afin qu’à l’avenir la terre Égyptienne,
Nourrice, recueillît la race Abramienne.

Quand ton bras, qui, robuste, accable les pervers
Punit par feu Sodome, et par eau l’Univers :
D’autant qu’en eux encor vivait quelque relique
De justice, et bonté, tu semblas être inique.
Mais tout soudain qu’on vit sauvés Noé et Lot,
Cetui-ci de la flamme, et cetui-là du flot,
Clairement on connut que ta sainte justice
Preserve l’innocence et châtie le vice.

Celui ferme les yeux aux rais d’un clair soleil,
Qui ne voit que Pharon est comme l’appareil
Du salut des Hébreux, et que son dur courage
Aplanit le chemin à leur futur voyage :
Afin que l’Éternel, des tyrans combattu,
Trouve assez large champ pour montrer sa vertu.

Et qui ne sait encor que la traître injustice
D’un juge ambitieux, de Judas l’avarice,
Quand tu voulus punir d’un châtiment divers
Sodome par le feu, par la mer l’Univers :
L’envie des docteurs, du peuple la fureur,
Servirent d’instruments pour réparer Terreur
De ce vieux roi d’Eden, dont la gloutonne audace
Fit sa lèpre à jamais découler sur sa race ?

Le souci du grand Dieu par ses effets divers
De membre en membre court par tout cet Univers :
Mais d’un soin plus soigneux il couvre de ses ailes
La semence d’Adam, et surtout les fidèles.
Car il ne veille point qu’en faveur des humains,
Qui lui dressent, dévots, et leurs vœux et leurs mains :

Pour eux d’un cours certain le Ciel sans cesse ronde
Les champs sont faits pour eux, pour eux est faite l’onde :
II compte leurs cheveux, il mesure leurs pas.
Il parle par leur bouche, il manie leurs bras.
Il se parque en leur cœur, et nuit et jour des Anges
Il campe à l’entour d’eux les vaillantes phalanges.

Mais quel bruit ois-je ici ? Hommes sans Dieu, sans foi,
Je ne m’étonne pas de vous voir contre moi
Ligués à tous propos : seulement je m’étonne,
Que ceux de qui la foi comme un astre rayonne
Parmi nos sombres nuits, se puissent tant de fois
Escarmoucher au son d’une si saine te voix.
D’autant que non sans pleurs ils voient que la troupe
Qui plus le Ciel outrage a toujours vent en poupe :
Qu’elle a le sceptre en main, au coffre les lingots,
Le diadème au front, le pourpre sur le dos :
Que tout lui fait la cour, que tout la favorise,
Que sous la main céleste elle est comme en franchise :
Et que même ses biens, ses honneurs, ses plaisirs
Surmontent ses desseins, devancent ses désirs.
Qu’au contraire les bons sur la mer de ce monde
Sont sans cesse agités et du vent et de l’onde :
Qu’ils ont si peu qu’Euripe en la terre repos.
Que le fléau du grand Dieu pend toujours sur leur dos :
Qu’ils sont toujours suivis de honte, perte, encombre,
Comme est la nuit d’humeur, et le corps de son ombre.

Paix, paix, mes bons amis : car j’espère effacer
De vos cœurs chancelants ce profane penser,
Sachez donques que Dieu, afin qu’on ne l’estime
Juge sans jugement, punit ici maint crime.
Sachez qu’il laisse aussi maint crime sans tourment
Afin que nous craignions son dernier jugement.
Apprenez d’autre part, que la croix est l’échelle
Qui conduit les humains à la gloire immortelle :
Et la voie de lait, qui blanchissant les cieux,
Guide les saints esprits au saint conseil des Dieux.

Hé ! ne voyez-vous point comme le sage père
Tenant le frein plus court au fils qu’au mercenaire,
Reprend l’un rarement, et l’autre chaque jour,
L’un pour respect du gain, et l’autre par amour ?

L’écuyer, qui suivi d’une noble jeunesse
Les généreux destriers d’un grand Monarque dresse :
Repique plus souvent celui de ses chevaux,
Qu’il cuide être mieux né pour les guerriers travaux.

Le pénible régent, dont la docte parole
Tout l’honneur d’un pays cultive en une école,
Charge plus de leçon ceux, à qui Dieu départ
Plus d’esprit pour comprendre en peu de temps un art.
Un grand Chef ne commet qu’à ceux que plus il prise
Le dangereux hasard d’une belle entreprise.
Or il les fait aller les premiers à l’assaut
Or devant cent canons les plante sur le haut
D’une brèche assaillie, or avec peu de force
Leur commande d’entrer dans un fort que I’on force.

Dieu bat ceux qu’il chérit du bers jusqu’au cercueil,
Pour se faire connaître, abattre leur orgueil :
Arracher maint soupir de leur dévote bouche :
Éprouver leur constance à la pierre de touche :
Réveiller leur paresse : exercer leurs esprits
A travailler, heureux, après le prix sans prix.

Le Médecin, qui sait joindre à la théorique
L’exercice fâcheux d’une longue pratique,
Applique le remède au corps plein de langueur
Selon la qualité de la peccante humeur.
Guérissant cetui-ci par diètes austères,
L’autre par jus amers, cetui-là par cautères :
Et coupant quelquefois ou la jambe, ou le bras,
Aspre-doux garantit tout le corps du trépas.

Ainsi le Tout-puissant, selon l’humeur peccante,
Qui les Saints les plus saints à boutées tourmente,
Ordonne ore la faim, ore un bannissement,
Ore une ignominie, ore un aspre tourment,
Ore un procès fâcheux, ore un cruel naufrage,
Ore d’un fils la perte, ore un triste veuvage.
Mais tenant toutefois pour le salut humain
En une main le fléau, l’emplastre en l’autre main.

Le guerrier, qui par trop séjourné en une place,
Laisse attiédir l’ardeur de sa première audace.
La rouille va mangeant le glaive au croc pendu.
Le ver ronge l’habit dans le coffre étendu.
L’eau qui ne court, se rend et puante et malsaine.
La vertu n’a vertu que quand elle est en peine.

De vrai tout ce qu’on voit au monde de plus beau
Est sujet au travail. Aussi la flamme et l’eau
L’une à mont, l’autre à val, sont toujours en voyage.
L’air n’est presque jamais sans vent et sans orage.
L’esprit est sans esprit, s’il ne sait discourir.
Le Ciel cessera d’être en cessant de courir.

Par les plaies du front le soldat se signale :
Mais cil qui non-blessé de la brèche dévale
Donne à penser aux Chefs, que la peur du trépas
A glacé son courage, et lié ses deux bras.

Dieu donc pour proposer à l’humaine ignorance,
Quelque rare patron d’invincible constance,
Et ses fils bien-aimés couronner des lauriers,
A juste titre acquis dessus mille guerriers,
Va contre eux harceler autant, ou plus encore
De maux, que, comme on dit, n’en apporta Pandore :
Munissant toutefois d’un tel plastron leur cœur,
Qu’étant le corps vaincu l’esprit reste vainqueur.

Mais sans cause à ces maux si mauvais nom je donne.
Le seul vice est mauvais, la vertu seule est bonne
De sa propre nature : et tout le demeurant,
Outre vice et vertu, demeure indiffèrent.

Que la Fortune adverse aux champs mette ses forces
Contre un homme constant, ses plus rudes entorses
Ne lui feront changer ses desseins bien conçus,
Non même quand le Ciel lui tomberait dessus.

L’homme vraiment constant est tout tel que Nérée
Qui ouvre à tous venants sa poitrine azurée :
Et toutefois tant d’eaux, qu’il boit de tous côtés,
Ne lui font tant soit peu changer ses qualités.
L’homme que Dieu munit d’une brave assurance
Semble au bon estomac, qui soudain ne s’offense
Pour l’excès plus léger, ains change promptement
Toute sorte de mets en parfait aliment.

Donques bien que de Dieu la sagesse profonde
Encor, encor besongne au régime du monde :
Si faut-il s’assurer que sa main composa
En six jours ce grand Tout, et puis se reposa :
Voulant qu’à son exemple Adam, et sa lignée,
Chôme éternellement la septième journée.

L’Éternel se souvient que sa maîtresse main,
D’une masse de fer ne fit le corps humain :
Ains qu’il logea notre âme en un vaisseau de terre,
Plus liquide que l’eau, plus frêle que le verre.
Il sait que rien plutôt ne nous guide au trépas,
Qu’avoir toujours tendus les esprits et les bras.

Le champ qui quelques ans demeure comme en friche,
Quand il est ressemé, fait un rapport plus riche.
Le fleuve pour un temps par l’écluse arrêté,
Pousse plus roidement son flot précipité.
L’arc, qui pour quelques jours désencordé demeure,
Enfonce plus avant la mortelle blesseure,
Le soudard au combat rêva plus furieux,
Ayant un peu couvé le sonne dans ses yeux.
Tout de même ce corps, quand pour reprendre haleine
II vit en doux repos un jour de la semaine,
Ses facultés rassemble, et met le lendemain
Beaucoup plus gaiement en besongne sa main.

Mais le but principal où ce précepte vise,
C’est qu’éteignant chez nous le feu de convoitise,
Et donnant quelque trêve aux profanes labeurs,
Nous laissions travailler l’Éternel dans nos cœurs.
C’est qu’en foulant des pieds toutes choses mortelles
Nous puissions beaucoup mieux soigner les éternelles :
Faisant comme l’archer, qui, pour conduire mieux
La flèche sur le blanc, ferme l’un de ses yeux.

Car par le Tout-puissant ceste sainte journée
Ne fut aux bals, aux jeux, aux masques destinée,
Pour languir en séjour, pour se perdre en plaisirs,
Pour la bride lâcher aux forcenés désirs :
Pour faire d’un jour saint des ordres Lupercales,
Des Orgies criards, des folles Saturnales :
Pour éblouir les yeux d’une vaine splendeur,
Pour prier d’autres Dieux, pour servir sa grandeur
Suivant les vaines lois, dont l’humaine arrogance
De l’Église première a sapé l’innocence.

Dieu veut qu’en certain lieu on s’assemble ce jour
Pour de son nom apprendre et la crainte et l’amour.
Il veut que là-dedans le ministre fidèle
De l’os des saints écrits arrache la moelle,
Et nous face toucher comme au doigt les secrets
Cachés sous le bandeau des oracles sacrés.
Car bien que la leçon des deux plus saintes pages
Faite entre murs privez émeuve nos courages,
La doctrine qui part d’une diserte voix
Sans doute a beaucoup plus d’efficace et de poids.

Il veut que là-dedans, comme à l’envi des Anges,
Nous fassions retentir ses divines louanges,
Pour l’hommage et le fief des biens que nous tenons
En sa riche directe. Il veut que nous prenions
Son Christ pour sauvegarde, et qu’avec assurance
Par lui nous implorions sa divine clémence :
Vu qu’il tient sous la clef de ses riches trésors
Tous les biens de fortune, et de l’âme et du corps.

Il veut que ce Sabbat nous soit une figure
Du bienheureux Sabbat de la vie future.
Mais l’un comme légal, n’a soin que du dehors
L’autre met en repos et l’esprit et le corps.
L’un ne dure qu’un jour : de l’autre l’heur extrême
N’est point moins éternel, que l’Éternité même.
L’un consiste en ombrage, et l’autre en vérité.
L’un en pédagogie, et l’autre en liberté.
L’un a souvent le front affublé d’un nuage
De chagrineux soucis, et l’autre a le visage
Riantement serein, sans que jamais de lui
S’approche seulement la crainte d’un ennui.
C’est le grand Jubilé, c’est la fête des fêtes,
Le Sabbat des Sabbats, qu’avecques les Prophètes,
Les Apôtres zélés, et les Martyrs constants,
Heureux, nous espérons chômer dans peu de temps.

II veut que ce jourd’hui, notre âme séquestrée
Des négoces humains, lise en la voûte astrée,
Dans la mer, dans la terre, et dans l’air éventé,
Son provoyant conseil, son pouvoir, sa bonté :
Afin que tant de corps soient autant de bons maîtres
Pour rendre grands docteurs ceux qui n’ont point de lettres.

Sied-toi donc, ô lecteur, sied-toi donc près de moi,
Discourt en mes discours, vois tout ce que je vois,
Oi ce docteur muet, étudie en ce livre,
Qui nuit et jour ouvert t’apprendra de bien vivre.
Car depuis les clous d’or du vaste firmament
Jusqu’au centre profond du plus bas élément,
Chose tu ne verras, tant petite soit-elle,
Qui n’enseigne aux plus lourds quelque leçon nouvelle.

Vois-tu pas ces brandons qu’à tort on nomme errants ?
L’un court çà, l’autre là, par sentiers différents :
Et toutefois sans fin leur route suit la route
Du Ciel premier moteur, qui tout clôt de sa voûte.
Cela t’apprend, qu’encor que ton propre désir
Directement s’oppose au céleste plaisir,
Et de voile et de rame, en ta façon de vivre,
De Dieu premier moteur le vouloir tu dois suivre.

Homme vain, plein de vent, t’orgueillis-tu de voir
Riche en beautés ton corps, ton esprit en savoir ?
Phœbé, qui de Phœbus tient ses beautés plus belles,
Par exemple te doit faire baisser les ailes :
D’autant que par emprunt, non-moins qu’elle, tu tiens
Du prince des flambeaux toute sorte de biens.

Veux-tu de corps en corps jusqu’en terre descendre ?
Vois que ce feu, que Dieu voulut en rond étendre,
Comme voisin du Ciel, est léger, clair et pur,
Et celui de çà-bas, pesant, fumeux, obscur.
Ainsi tandis qu’au Ciel ton esprit a commerce,
Bien loin de lui s’enfuit toute fureur perverse :
Et, bien que citoyen du monde vicieux,
Tu ne vis moins content que les Anges des cieux.
Mais si toujours tu tiens l’âme comme collée
Contre l’impur limon de la sombre vallée,
Où chétifs nous vivons, elle prendra sa part
De cet air pestilent, qui de sa loge part.

S’il advient que fortune en ton endroit farouche
Te dresse nuit et jour mainte chaude escarmouche,
Souvienne-toi que l’air se corrompt vitement,
Si le vent ne le bat d’un divers soufflement.

Téthys qui dans l’enfer engouffre ore son onde,
Or d’un mont écumeux bat le plancher du monde,
Sans passer toutefois le moindre de ces bords,
Que l’Éternel planta pour brider ses efforts :
Te monstre que des rois le menaçant orage,
Le vent d’ambition, l’insatiable rage
D’entasser or sur or, d’un seul travers de doigt
Ne te doit du grand Dieu faire franchir la loi.

La terre, qui jamais toute en un temps ne croule,
Bien que la pesanteur de sa fécondé boule
N’ait reçu du grand Dieu plus fermes fondements,
Que le glissant appuy des plus mois éléments :
Par son constant séjour nous monstre quel doit être
L’animal, qui fut fait de la terre le maître.

Mais hé ! qu’as-tu chez toi, notre mère, qu’as-tu,
Qui d’un style disert ne prêche la vertu ?
Que le noble, le fort, l’opulent, et le docte,
Soit comme roturier, débile, pauvre, indocte :
Et voyant par les champs blondoyer la moisson
Des épics barbotez apprenne sa leçon,
Qui plus sont pleins de grain, plus leurs testes abaissent :
Plus sont vuides de grain, plus haut leurs testes dressent.

Que celle qui se sent chatouiller du désir
De souiller le saint lit d’un défendu plaisir,
Ait honte pour le moins de la palme loyale,
Qui ne veut porter fruit qu’étant près de son mâle.

Toi qui brossant après la couronne d’honneur,
Au milieu du chemin perds la force et le cœur :
Souviens-toi que l’honneur ressemble la cannelle,
Autour de qui nature épaissement dentèle
Mille poignants buissons, afin que les humains
Ne jettent, sans danger, sur son tige leurs mains.

Hé ! peux-tu contempler l’étroite sympathie
Qui joint le blond Soleil et la blonde Clithie,
Sans penser qu’il nous faut imiter tous les jours
Du Soleil de justice, et la vie, et le cours ?

O Terre ! les trésors de ta creuse poitrine
Ne sont point envers nous moins féconds en doctrine :
Car ainsi que la chaux dans l’onde se dissout,
Saute, s’enfle, s’épand, fume, pétillé, bout,
Et réveille ce feu, dont l’ardeur paresseuse
Dormait sous l’épaisseur d’une niasse pierreuse :
Celui, qui peut marcher sous l’enseigne de Christ,
Veut laisser dans son cœur régner le saint Esprit,
Doit faire qu’au milieu des tourments il réveille
Son zèle qui souvent en temps calme sommeille.

Et comme d’autre-part le riche diamant,
Soit au fer, soit au feu résisté obstinément :
L’homme vraiment Chrétien, bien qu’il n’ait jamais trêve,
Doit mépriser des grands et la flamme et le glaive :
Ou si d’un fléau pesant l’impiteuse rigueur
Du siège de constance ébranle un peu son cœur,
Il doit imiter l’or, duquel la riche masse
S’étend bien tant qu’on veut, mais jamais ne se casse :
Et cuite, perd en l’air, ou par ses jaunes bords,
Sa lie, et non son poids, sa crasse et non son corps.

La pierre, que du nom de l’Arc moite on appelle,
Du brandon porte-jour reçoit la face belle,
Et d’un repoussement imprime puis-après
Contre les murs prochains la clarté de ses rais.
Ainsi, ou peu s’en faut, l’homme ayant dans son âme
Reçu quelque rayon de la divine flamme,
Le doit faire briller aux yeux de son prochain :
N’enterrant le trésor que Dieu lui met en main,
Pour lui donner grand cours, et faire qu’en l’Église
Une centième usure en une heure il produise.

Comme le fer touché par la pierre d’aimant
Vers le pôle du Nord regarde incessamment :
Ainsi l’esprit touché par la vertu secrète
D’une foi non-fardée, et jour et nuit s’arrête
Vers l’éclatant fanal, qui sert d’Ourse en tout temps,
Pour guider les nochers sur ceste mer flottants.

Ces exemples tirés des corps qui n’ont point vie,
Engendrent en nos cœurs quelque louable envie.
Mais les enseignements des corps vivants appris
Touchent plus vivement toutes sortes d’esprits.

Sus donc rois, sus vassaux, sus courez à l’école
De l’essaim donne-miel qui par Hymette vole.
Là là vous apprendrez qu’une éternelle loi
Captive le vassal sous le vouloir du Roi.
Là là vous apprendrez qu’un magnanime Prince
N’a point de piqueron pour vexer sa province.

Ce Perse, qui grava d’une sanglante main
Des lois contre l’ingrat sur le publique airain,
Savait que l’épervier ayant tenu sous l’aile,
Pour fomenter son sein, la chaude passerelle,
Lui redonne les champs, et d’un vol différent
S’éloigne tant qu’il peut du chemin qu’elle prend :
Afin qu’à l’avenir dans la chair tremblotante
De l’oiseau bienfaisant son bec il ne sanglante.

Pères, si vous voulez que vos sages enfants
Par leur propre bonheur bien heurent vos vieux ans,
Mettez-les au chemin de la vertu non-feinte
Par beaux enseignements, par exemple, et par crainte.
Ainsi l’Aigle volette autour de ses petits,
Pour apprendre à voler leur plumage apprentis :
Que si dans peu de temps la vertu paternelle
Par exemple ne peut donner au vent leur aile,
Il laisse quelques jours sans les paître écouler,
Afin qu’une aspre faim les contraigne à voler :
Et pour dernier remède, il bat, il point, il presse
A coups d’aile et de bec leur craintive paresse.

Vous qui, pour avancer du mari le trépas,
Souillez d’un noir venin le conjugal repas,
Hélas pouvez-vous voir, sans quelque syndérèse,
La Tourtre, qui perdant son mari perd son aise :
Qui n’ard pour autre Hymen, ains pleure tous les jours
Dessus le sec rameau ses premières amours ?

Toi, que la liberté d’une langue indiscrète
Précipité en danger, d’un frein prudent arrête
Ton débordé babil, ainsi que, sages font
Les oies qui passant de Cilice le mont
Portent et nuit et jour dans leur bouche criarde
Pour un muet bâillon une pierre qui garde
Que des aigles du Nord les troupeaux ravissants
Ne découvrent le vol de tant d’oiseaux passants.

Mères las ! pouvez-vous, pouvez-vous, ô cruelles
Refuser à vos fils vos nourrices mamelles ?
Puis que de maint poisson le charitable sein
Reçoit de ses petits le tremblotant essaim,
Sentant cent et cent fois dans la perse marine,
Pour même enfantement le tourment de Lucine.

Hé ! que n’embrassons-nous, et d’esprit et de corps
Les vifs par charité, par piété les morts :
Donnant aux uns secours, aux autres sépulture,
Ainsi que le Dauphin qui s’oppose à l’injure
Faite à ses compagnons, et morts les va sous l’eau,
Couvrir du tas pesant d’un sablonneux tombeau ?
Enfants, que contre espoir, la Divine largesse
A couronnés d’honneur, et comblés de richesse,
N’oubliez vos Parents : enfants jetez votre œil
Sur la sainte amitié du pied vite Chevreuil,
Qui tandis qu’es hauts monts la tremblante vieillesse
De ses fers trop pesants ses parents apparaisse,
Vivandier diligent, leur apporte pour mets
Des plus tendres rameaux les plus tendres sommets :
Et verse de sa bouche en leur bouche le fleuve,
Qui tant et tant de fois sans avoir soif l’abreuve.

Pour régler ta maison ne li point les écrits
Du fils de Nicomaque, honneur des bons esprits :
Ne feuilleté celui que le proverbe antique,
Pour ses discours sucrés, appela muse Attique :
Et du soin de l’épouse et du soin de l’époux.
Car le mâle nourrit sa maison de sa chasse :
Et la sage femelle a soin de la filasse.
Son ventre engendre-étain, crache-fil, porte-laine,
Fournit de quenouillée à sa tant docte peine :
Son poids est le fuseau qui tire et tort le fil,
Que son doigt fait par tout également subtil,
Sa toile par le centre ourdir elle commence :
Puis l’alonge en rondeaux, mesurant leur distance
Par la grandeur des tours, et d’un fin écheveau
Du centre jusqu’aux bords trame son drap nouveau,
Percé par tout à jour, à celle fin que Tire
Des Eures loin-volants sa gaze ne déchire,
Et que la sotte mouche entre plus aisément
Émaillés d’un filé filé si dextrement.
Certes à peine encor toucher elle commence
Les clairs bords de ce rets, que le mâle s’élance
Au milieu de la toile : afin que sans danger
II prenne dans ses lacs l’oiselet passager.

Rois, qui vos mains armés d’une juste alumelle,
Pardonnés au sujet, et domptés le rebelle,
Du lion généreux imitants la vertu
Qui jamais ne s’attaque au soldat abattu :
Ains fendant, enragé, la presse qui l’oppresse,
Au milieu de cent morts témoigne sa prouesse.
Paresseux, si tu veux apprendre ta leçon,
Va-t’en à la formi, va-t’en au hérisson.

Cetui-ci de son dos ravit les fruits d’automne,
L’autre les fruits d’été de sa bouche moissonne,
Afin d’avitailler pour la froide saison
Cetui-ci son logis, l’autre sa garnison.
Lecteur, nous sommes tels que celui qui démarre
De Saba, de Bandan, et du Pérou barbare,
Pour chercher à travers les menaçantes eaux,
L’encens, l’épice, l’or, sous les cieux tous nouveaux.
Vu que sans désancrer de notre propre rive,
Nous trouvons ce qui fait que bienheureux on vive,
Et que de notre corps les réglés mouvements
Donnent aux plus grossiers cent beaux enseignements.

Vous Juges, vous Pasteurs, et vous Chefs de gendarmes
Ne corrompez vos lois, vos sermons, et vos armes :
De peur que ce venin glissant de toutes parts
N’infecte vos sujets, vos troupeaux, vos soudarts.
Gardez que votre mal le mal d’autrui ne traine :
Car le reste est peu-sain quand la tête est malsaine.

Princes, ne déchirez par la diversité
De vos conseils légers la commune cité :
Ains comme les deux yeux ne voient qu’une chose,
Chacun de vous la paix devant ses yeux propose.

Toi, qui le bien d’autrui cultives jour et nuit
Avec un grand travail, mais presque sans nul fruit :
Vois les dents, qui mâchant de ce corps la dépense,
En tirent prou de peine, et bien peu de substance.

Tout ainsi que le cœur un seul moment ne peut
Demeurer en repos, ains nuit et jour se meut,
Pour d’un ba-batement d’artères en artères
Envoyer haut et bas les esprits à ses frères :
Ceux à qui l’Éternel a commis son bercail
Doivent être toujours en soin, veille et travail,
Pour souffler par leurs mœurs, et par doctrine exquise,
L’esprit vivifiant dans le corps de l’Église.

Et comme l’estomac d’avec les aliments
Séparé l’épaisseur des plus lourds excréments,
Ils doivent séparer du faux la chose vraie,
La foi de l’hérésie, et du froment l’ivraie :
Pour faire recevoir l’un d’eux pour aliment,
Et l’autre rejeter impur comme excrément.
Quand la brillante épée au dépourvu menace
Ou le ventre, ou la gorge, ou la jambe, ou la face,
La main s’oppose au coup, et d’une peur sans peur
Reçoit de ses germains la sanglante douleur.
Et nous parmi l’horreur des sacrilèges armes.
Qui comblent l’Univers de sang et de vacarmes,
Pourrons-nous refuser le secours de nos mains
A ceux qui par la foi nous sont plus que germains ?

De moi, je ne vois point en quel endroit le Sage
Puisse trouver çà-bas un plus parfait image
D’un état franc de bruits, de ligues, de discords,
Que l’ordre harmonieux qui fait vivre nos corps.

L’un membre n’a si tôt souffert la moindre offense,
Que tout le demeurant souffre pour sa souffrance :
Le pied ne veut flairer, le nez ne veut courir,
Le cerveau batailler ni la main discourir.
Ains sans troubler Testât de leur chose-publique
Par combats intestins, un chacun d’eux s’applique
Sans contrainte à Testât qu’il a reçu d’en-haut,
Soit honnête, soit vil, soit infime, soit haut.

Quoi, Muses, voulez-vous redire l’artifice,
Qui brille haut, et bas dans l’humain édifice ?
Vu qu’un même sujet, deux ou trois fois tanté,
Ennuie l’auditeur, pour bien qu’il soit chanté.

Sus donq Muses, à bord, jetons, ô chère bande,
L’ancre arrête-navire : attachons la commande.
Ici jà tout nous rit : ici nul vent ne bat :
Puis c’est assez vogué pour le jour du Sabbat.