Théodore de Banville (1823-1891) 

A Adolphe Gaïffe

Jeune homme sans mélancolie,
Blond comme un soleil d’Italie,
Garde bien ta belle folie.

C’est la sagesse ! Aimer le vin,
La beauté, le printemps divin,
Cela suffit. Le reste est vain.

Souris, même au destin sévère :
Et, quand revient la primevère,
Jettes-en les fleurs dans ton verre.

Au corps sous la tombe enfermé,
Que reste-t-il ? D’avoir aimé
Pendant deux ou trois mois de mai.

” Cherchez les effets et les causes “,
Nous disent les rêveurs moroses.
Des mots ! Des mots !… Cueillons les roses !


A ma mère

Madame Élisabeth-Zélie de Banville

Ô ma mère, ce sont nos mères
Dont les sourires triomphants
Bercent nos premières chimères
Dans nos premiers berceaux d’enfants.

Donc reçois, comme une promesse,
Ce livre où coulent de mes vers
Tous les espoirs de ma jeunesse,
Comme l’eau des lys entr’ouverts !

Reçois ce livre, qui peut-être
Sera muet pour l’avenir,
Mais où tu verras apparaître
Le vague et lointain souvenir

De mon enfance dépensée
Dans un rêve triste ou moqueur,
Fou, car il contient ma pensée,
Chaste, car il contient mon cœur.

Juillet 1842

A Théophile Gautier

Ô toi, Gautier ! sage parmi les sages
Aux regards éblouis,
Toi, dont l’esprit vécut dans tous les âges
Et dans tous les pays,

Tu fus surtout un Grec, et tu contemples
De tes yeux immortels
Les purs profils harmonieux des temples
Dans les bleus archipels.

Tu les aimas, les doux porteurs de glaive,
Plus forts que la douleur,
Et dans le rêve où bouillonnait la sève
De ta pensée en fleur,

Tu fus rhapsode, et pour charmer les heures
Chez les rois étrangers,
Tu leur chantas dans les hautes demeures
Achille aux pieds légers.

Tu modelas auprès de Polyclète,
Car tu n’ignorais rien,
Et tu sculptais des figures d’athlète
Avec ce Dorien.

Sur les gazons où rit la marguerite,
Des Dieux même enviés,
Ta claire enfance apprit de Théocrite
Les chansons des bouviers.

Avec Pindare aimant la sainte règle,
Aux oiseleurs pareil,
Tu fis monter les Odes au vol d’aigle
Vers le rouge soleil,

Et tu raillas avec Aristophane,
Par des mots odieux,
Le philosophe indocile et profane,
Vil contempteur des Dieux.

Et maintenant qu’avec des pleurs moroses,
Tristes, nous nous plaignons,
Tu reconnais sous les grands lauriers-roses
Tes anciens compagnons.

Pour que ta lèvre enfin se rassasie,
Dans le festin charmant,
Au milieu d’eux, tu goûtes l’ambroisie
En causant longuement.

Auprès de toi le riant paysage
Est fait comme tu veux,
Et tu souris à côté de la sage
Hélène aux beaux cheveux,

Qui déchaîna l’effroyable désastre
Des guerriers et des rois,
Et sa beauté resplendissante d’astre,
À présent tu la vois !

Novembre 1872.

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