François de Malherbe (1555-1628) 

À M. Le cardinal de Richelieu 

À ce coup nos frayeurs n’auront plus de raison,
Grande âme aux grands travaux sans repos adonnée
Puisque par vos conseils la France est gouvernée,
Tout ce qui la travaille aura sa guérison.

Tel que fut rajeuni le vieil âge d’Eson,
Telle cette princesse en vos mains résignée
Vaincra de ses destins la rigueur obstinée,
Et reprendra le teint de sa verte saison.

Le bon sens de mon roi m’a toujours fait prédire
Que les fruits de la paix combleraient son empire,
Et comme un demi-dieu le feraient adorer :

Mais voyant que le vôtre aujourd’hui le seconde,
Je ne lui promets pas ce qu’il doit espérer,
Si je ne lui promets la conquête du monde.

Epigramme sur la mort 

Belle âme qui fus mon flambeau,
Reçois l’honneur qu’en ce tombeau
Je suis obligé de te rendre.
Ce que je fais te sert de peu :
Mais au moins tu vois en la cendre
Comme j’en conserve le feu.


Enfin ma patience, et les soins que j’ai pris

Pour le comte de Charny, qui souhaitait en mariage
Mademoiselle de Castille, qu’il épousa en 1620.


Enfin ma patience et les soins que j’ai pris
Ont, selon mes souhaits, adouci les esprits
Dont l’injuste rigueur si longtemps m’a fait plaindre.
Cessons de soupirer :
Grâce à mon destin, je n’ai plus rien à craindre,
Et puis tout espérer.

Soit qu’étant le soleil dont je suis enflammé
Le plus aimable objet qui jamais fut aimé,
On ne m’ait pu nier qu’il ne fut adorable,
Soit que d’un oppressé
Le droit bien reconnu soit toujours favorable,
Les Dieux m’ont exaucé.

Naguère que j’oyais la tempête souffler,
Que je voyais la vague en montagne s’enfler,
Et Neptune à mes cris faire la sourde oreille,
À-peu-près englouti,
Eussé-je osé prétendre à l’heureuse merveille
D’en être garanti ?

Contre mon jugement les orages cessés
Ont des calmes si doux en leur place laissés,
Qu’aujourd’hui ma fortune a l’empire de l’onde ;
Et je vois sur le bord
Un ange, dont la grâce est la gloire du monde,
Qui m’assure du port.

Certes c’est lâchement qu’un tas de médisants,
Imputant à l’Amour qu’il abuse nos ans,
De frivoles soupçons nos courages étonnent ;
Tous ceux à qui déplaît
L’agréable tourment que ses flammes nous donnent
Ne savent ce qu’il est.

S’il a de l’amertume à son commencement,
Pourvu qu’à mon exemple on souffre doucement,
Et qu’aux appas du change une âme ne s’envole,
On se peut assurer
Qu’il est maître équitable, et qu’enfin il console
Ceux qu’il a fait pleurer.



Consolation à M. Du Périer sur la mort de sa fille 

Ta douleur, Du Perier, sera donc éternelle,
               Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
               L’augmenteront toujours !

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
               Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
               Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine,
               Et n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine,
               Avecque son mépris.

Mais elle était du monde où les plus belles choses
                Ont le pire destin,
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
                L’espace d’un matin.

Puis, quand ainsi serait que, selon ta prière,
                Elle aurait obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
                Qu’en fut-il advenu ?

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
                Elle eut eu plus d’accueil?
Ou qu’elle eut moins senti la poussière funeste
                Et les vers du cercueil?

Non, non, mon Du Perier, aussitôt que la Parque
                Ôte l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au deçà de la barque,
                Et ne suit point les morts.

Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale;
                Et Pluton aujourd’hui,
Sans égard du passé, les mérites égale
                D’Archémore et de lui.

Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes;
                Mais, sage à l’advenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
                Éteins le souvenir.

C’est bien, je le confesse, une juste coutume,
                Que le cœur affligé,
Par le canal des yeux vuidant son amertume,
                Cherche d’être allégé.

Même quand il advient que la tombe sépare
                Ce que nature a joint,
Celui qui ne s’émeut à l’âme d’un barbare,
                Ou n’en a du tout point.

Mais d’être inconsolable et dedans sa mémoire
                Enfermer un ennui,
N’est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
                De bien aimer autrui ?

Priam, qui vit ses fils abattus par Achille,
                Dénué de support
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
                Reçut du réconfort.

François, quand la Castille, inégale à ses armes,
                Lui vola son Dauphin,
Sembla d’un si grand coup devoir jeter des larmes
                Qui n’eussent point de fin.

Il les sécha pourtant, et, comme un autre Alcide,
                Contre fortune instruit,
Fit qu’à ses ennemis d’un acte si perfide
                La honte fut le fruit.

Leur camp, qui la Durance avait presque tarie
                De bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de sa furie,
                Et demanda la paix.

De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre
                Je me suis vu perclus ;
Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre
                Qu’il ne m’en souvient plus.

Non qu’il ne me soit grief que la tombe possède
                Ce qui me fut si cher;
Mais, en un accident qui n’a point de remède,
                Il n’en faut point chercher.

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.
                On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles,
                Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
                Est sujet à ses lois,
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
                N’en défend point nos rois.

De murmurer contr’elle et perdre patience,
                Il est mal à propos :
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
                Qui nous met en repos.


Prière pour le Roi Henri le Grand

Pour le roi allant en Limousin.

Ô Dieu, dont les bontés, de nos larmes touchées,
Ont aux vaines fureurs les armes arrachées,
Et rangé l’insolence aux pieds de la raison ;
Puisqu’à rien d’imparfait ta louange n’aspire,
Achève ton ouvrage au bien de cet empire,
Et nous rends l’embonpoint comme la guérison !

Nous sommes sous un roi si vaillant et si sage,
Et qui si dignement a fait l’apprentissage
De toutes les vertus propres à commander,
Qu’il semble que cet heur nous impose silence,
Et qu’assurés par lui de toute violence
Nous n’avons plus sujet de te rien demander.

Certes quiconque a vu pleuvoir dessus nos têtes
Les funestes éclats des plus grandes tempêtes
Qu’excitèrent jamais deux contraires partis,
Et n’en voit aujourd’hui nulle marque paraître,
En ce miracle seul il peut assez connaître
Quelle force a la main qui nous a garantis.

Mais quoi ! de quelque soin qu’incessamment il veille,
Quelque gloire qu’il ait à nulle autre pareille,
Et quelque excès d’amour qu’il porte à notre bien,
Comme échapperons-nous en des nuits si profondes,
Parmi tant de rochers qui lui cachent les ondes,
Si ton entendement ne gouverne le sien ?

Un malheur inconnu glisse parmi les hommes,
Qui les rend ennemis du repos où nous sommes :
La plupart de leurs vœux tendent au changement ;
Et, comme s’ils vivaient des misères publiques,
Pour les renouveler ils font tant de pratiques,
Que qui n’a point de peur n’a point de jugement.

En ce fâcheux état ce qui nous réconforte,
C’est que la bonne cause est toujours la plus forte,
Et qu’un bras si puissant t’ayant pour son appui,
Quand la rébellion, plus qu’une hydre féconde,
Aurait pour le combattre assemblé tout le monde,
Tout le monde assemblé s’enfuirait devant lui.

Conforme donc, Seigneur, ta grâce à nos pensées :
Ôte-nous ces objets qui des choses passées
Ramènent à nos yeux le triste souvenir ;
Et comme sa valeur, maîtresse de l’orage,
À nous donner la paix a montré son courage,
Fais luire sa prudence à nous l’entretenir.

Il n’a point son espoir au nombre des armées,
Étant bien assuré que ces vaines fumées
N’ajoutent que de l’ombre à nos obscurités.
L’aide qu’il veut avoir, c’est que tu le conseilles ;
Si tu le fais, Seigneur, il fera des merveilles,
Et vaincra nos souhaits par nos prospérités.

Les fuites des méchants, tant soient-elles secrètes,
Quand il les poursuivra n’auront point de cachettes ;
Aux lieux les plus profonds ils seront éclairés :
II verra sans effet leur honte se produire,
Et rendra les desseins qu’ils feront pour lui nuire
Aussitôt confondus comme délibérés.

La rigueur de ses lois, après tant de licence,
Redonnera le cœur à la faible innocence
Que dedans la misère on faisait envieillir.
À ceux qui l’oppressaient il ôtera l’audace ;
Et, sans distinction de richesse ou de race,
Tous de peur de la peine auront peur de faillir.

La terreur de son nom rendra nos villes fortes ;
On n’en gardera plus ni les murs ni les portes ;
Les veilles cesseront au sommet de nos tours ;
Le fer, mieux employé, cultivera la terre ;
Et le peuple, qui tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n’est pour danser n’aura plus de tambours.

Loin des mœurs de son siècle il bannira les vices,
L’oisive nonchalance et les molles délices,
Qui nous avaient portés jusqu’aux derniers hasards ;
Les vertus reviendront de palmes couronnées,
Et ses justes faveurs aux mérites données
Feront ressusciter l’excellence des arts.

La foi de ses aïeux, ton amour et ta crainte,
Dont il porte dans l’âme une éternelle empreinte,
D’actes de piété ne pourront l’assouvir ;
II étendra ta gloire autant que sa puissance,
Et, n’ayant rien si cher que ton obéissance,
Où tu le fais régner il te fera servir.

Tu nous rendras alors nos douces destinées ;
Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années
Qui pour les plus heureux n’ont produit que des pleurs.
Toute sorte de biens comblera nos familles,
La moisson de nos champs lassera les faucilles,
Et les fruits passeront la promesse des fleurs.

La fin de tant d’ennuis dont nous fûmes la proie
Nous ravira les sens de merveille et de joie ;
Et, d’autant que le monde est ainsi composé
Qu’une bonne fortune en craint une mauvaise,
Ton pouvoir absolu, pour conserver notre aise,
Conservera celui qui nous l’aura causé.

Quand un roi fainéant, la vergogne des princes,
Laissant à ses flatteurs le soin de ses provinces,
Entre les voluptés indignement s’endort,
Quoique l’on dissimule on en fait peu d’estime ;
Et, si la vérité se peut dire sans crime,
C’est avecque plaisir qu’on survit à sa mort.

Mais ce roi, des bons rois l’éternel exemplaire
Qui de notre salut est l’ange tutélaire,
L’infaillible refuge et l’assuré secours,
Son extrême douceur ayant dompté l’envie,
De quels jours assez longs peut-il borner sa vie,
Que notre affection ne les juge trop courts ?

Nous voyons les esprits nés à la tyrannie,
Ennuyés de couver leur cruelle manie,
Tourner tous leurs conseils à notre affliction ;
Et lisons clairement dedans leur conscience
Que, s’ils tiennent la bride à leur impatience,
Nous n’en sommes tenus qu’à sa protection.

Qu’il vive donc, Seigneur, et qu’il nous fasse vivre !
Que de toutes ces peurs nos âmes il délivre,
Et, rendant l’univers de son heur étonné,
Ajoute chaque jour quelque nouvelle marque
Au nom qu’il s’est acquis du plus rare monarque
Que ta bonté propice ait jamais couronné !

Cependant son Dauphin d’une vitesse prompte
Des ans de sa jeunesse accomplira le compte ;
Et, suivant de l’honneur les aimables appas,
De faits si renommés ourdira son histoire,
Que ceux qui dedans l’ombre éternellement noire
Ignorent le soleil ne l’ignoreront pas.

Par sa fatale main qui vengera nos pertes
L’Espagne pleurera ses provinces désertes,
Ses châteaux abattus et ses camps déconfits ;
Et si de nos discordes l’infâme vitupère
A pu la dérober aux victoires du père,
Nous la verrons captive aux triomphes du fils.


Sus, debout la merveille des belles

Sus, debout, la merveille des belles !
   Allons voir sur les herbes nouvelles
Luire un émail dont la vive peinture
Défend à l’art d’imiter la nature.

   L’air est plein d’une haleine de roses,
   Tous les vents tiennent leurs bouches closes ;
Et le soleil semble sortir de l’onde
Pour quelque amour plus que pour luire au monde.

   On dirait, à lui voir sur la tête
   Ses rayons comme un chapeau de fête,
Qu’il s’en va suivre en si belle journée
Encore un coup la fille de Pénée.

   Toute chose aux délices conspire,
   Mettez-vous en votre humeur de rire ;
Les soins profonds d’où les rides nous viennent
À d’autres ans qu’aux vôtres appartiennent.

   Il fait chaud, mais un feuillage sombre
   Loin du bruit nous fournira quelque ombre,
Où nous ferons parmi les violettes,
Mépris de l’ambre et de ses cassolettes.

   Près de nous, sur les branches voisines
   Des genêts, des houx et des épines,
Le rossignol, déployant ses merveilles,
Jusqu’aux rochers donnera des oreilles.

   Et peut-être à travers des fougères
   Verrons-nous, de bergers à bergères,
Sein contre sein, et bouche contre bouche,
Naître et finir quelque douce escarmouche.

   C’est chez eux qu’Amour est à son aise ;
   II y saute, il y danse, il y baise,
Et foule aux pieds les contraintes serviles
De tant de lois qui le gênent aux villes.

   Ô qu’un jour mon âme aurait de gloire
   D’obtenir cette heureuse victoire,
Si la pitié de mes peines passées,
Vous disposait à semblables pensées !

   Votre honneur, le plus vain des idoles,
   Vous remplit de mensonges frivoles :
Mais quel esprit que la raison conseille,
S’il est aimé, ne rend point la pareille ?

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