Honorat de Bueil de Racan (1589-1670)


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Stances sur la retraite

Thirsis, il faut penser à faire la retraite :
La course de nos jours est plus qu’à demi faite.
L’âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde ;
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle on bâtit sur le sable.
Plus on est élevé, plus on court de dangers :
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête
Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois que les toits des bergers.

Ô bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire
Dont l’inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin, retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs.

Il laboure le champ que labourait son père ;
Il ne s’informe point de ce qu’on délibère
Dans ces graves conseils d’affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d’orages,
Et n’observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu’il a du salut de ses blés.

Roi des passions, il a ce qu’il désire,
Son fertile domaine est son petit empire ;
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces,
Et sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau.

Il voit de toute part combler d’heur sa famine,
La javelle à plein poing tomber sous la faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers ;
Et semble qu’à l’envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S’efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Il suit aucunes fois un cerf par les foulées,
Dans ces vieilles forêts du peuple reculées
Et qui même du jour ignorent le flambeau ;
Aucunes fois des chiens il suit les voix confuses
Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses,
Du lieu de sa naissance en faire son tombeau.

Tantôt il se promène au long des fontaines,
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L’argent de leurs ruisseaux parmi l’or des moissons ;
Tantôt il se repose avecque les bergères
Sur des lits naturels de mousse et de fougères,
Qui n’ont d’autres rideaux que l’ombre des buissons.

Il soupire en repos l’ennui de sa vieillesse
Dans ce même foyer où sa tendre jeunesse
A vu dans le berceau ses bras emmaillotés.
Il tient par les moissons registre des années,
Et voit de temps en temps, leurs courses enchaînées,
Vieillir avecque lui les bois qu’il a plantés.

Il ne va point fouiller aux terres inconnues,
A la merci des vents et des ondes chenues,
Ce que nature avare a caché de trésors,
Et ne recherche point, pour honorer sa vie,
De plus illustre mort ni plus digne d’envie
Que de mourir au lit où ses pères sont morts.

Il contemple du port les insolentes rages
Des vents de la faveur, auteurs de nos orages,
Allumer des mutins les desseins factieux,
Et voit en un clin d’oeil, par un contraire échange,
L’un déchiré du peuple au milieu de la fange,
Et l’autre en même temps élevé dans les cieux.

S’il ne possède point ces maisons magnifiques,
Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques,
Où la magnificence étale ses attraits,
Il jouit des beautés qu’ont les saisons nouvelles,
Il voit de la verdure et des fleurs naturelles
Qu’en ces riches lambris l’on ne voit qu’en portraits.

Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude
Et vivons désormais loin de la servitude
De ces palais dorés où tout le monde accourt.
Sous un chêne élevé, les arbrisseaux s’ennuient
Et devant le soleil tous les astres s’enfuient
De peur d’être obligés de lui faire la cour.

Après qu’on a suivi sans aucune assurance
Cette vaine faveur qui nous paît d’espérance,
L’envie en un moment tous nos desseins détruit.
Ce n’est qu’une fumée, il n’est rien de si frêle ;
Sa plus belle moisson est sujette à la grêle
Et souvent elle n’a que des fleurs pour du fruit.

Agréables déserts, séjour de l’innocence,
Où, loin des vanités, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.


La Venue du printemps

À Monsieur de Termes

Enfin, Termes, les ombrages
Reverdissent dans les bois,
L’hiver et tous ses orages
Sont en prison pour neuf mois ;
Enfin la neige et la glace
Font à la verdure place,
Enfin le beau temps reluit,
Et Philomèle, assurée
De la fureur de Térée,
Chante aux forêts jour et nuit.

Déjà les fleurs qui bourgeonnent
Rajeunissent les vergers,
Tous les échos ne résonnent
Que de chansons de bergers,
Les jeux, les ris, et la danse
Sont partout en abondance,
Les délices ont leur tour,
La tristesse se retire,
Et personne ne soupire
S’il ne soupire d’amour.

Les moissons dorent les plaines,
Le ciel est tout de saphirs,
Le murmure des fontaines
S’accorde au bruit des zéphirs,
Les foudres et les tempêtes
Ne grondent plus sur nos têtes,
Ni des vents séditieux
Les insolentes colères
Ne poussent plus les galères
Des abîmes dans les cieux.

Ces belles fleurs que Nature
Dans les campagnes produit
Brillent parmi la verdure
Comme des astres la nuit :
L’Aurore, qui dans son âme
Brûle d’une douce flamme,
Laissant au lit endormi
Son vieux mari, froid et pâle,
Désormais est matinale
Pour aller voir son ami.

Termes, de qui le mérite
Ne se peut trop estimer,
La belle saison invite
Chacun au plaisir d’aimer
La jeunesse de l’année
Soudain se voit terminée,
Après le chaud véhément
Revient l’extrême froidure,
Et rien au monde ne dure
Qu’un éternel changement.

Leurs courses entresuivies
Vont comme un flux et reflux,
Mais le printemps de nos vies
Passe et ne retourne plus,
Tout le soin des Destinées
Est de guider nos journées
Pas à pas vers le tombeau,
Et sans respecter personne,
Le Temps de sa faux moissonne
Ce que l’homme a de plus beau.

Tes louanges immortelles
Ni tes aimables appas
Qui te font chérir des belles
Ne t’en garantiront pas :
Crois-moi, tant que Dieu t’octroie
Cet âge comblé de joie
Qui s’enfuit de jour en jour,
Jouis du temps qu’il te donne,
Et ne crois pas en automne
Cueillir les fruits de l’amour.

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