Jean Cocteau (1889-1963)

Ce que m’a dit la minute

La minute m’a dit : « Presse-moi dans ta main ;
Tu ne sais aujourd’hui si tu seras demain ;
Ainsi prends tout le suc qui m’enfle comme une outre,
Ne tourne pas la tête et ne passe pas outre,
Vis-moi !… dans un instant, je serai du passé !
Mais tu ne sais peut-être au juste ce que c’est
Qu’étreindre dans ses bras la minute qui passe,
Si tu comprends la splendeur grave de l’espace
Qui te laissait jadis indifférent et froid,
Si tu sais accepter la douleur sans effroi,
Si tu sais jouir d’un très subtil parfum de rose,
Si pour toi le couchant est une apothéose,
Si tu pleures d’amour, si tu sais voir le beau
Alors suis sans trembler la route du tombeau.
Tu vivras de chansons, de splendeurs, de murmures,
Le chemin n’est plus long si l’on cueille ses mûres,
Et je suis près de toi la mûre du chemin ! »
La minute m’a dit : « Presse-moi dans ta main. »


Odile

Odile rêve au bord de l’île,
Lorsqu’un crocodile surgit;
Odile a peur du crocodile
Et, lui évitant un “ci-gît”,
Le crocodile croque Odile.

Caï raconte ce roman,
Mais, sans doute, Caï l’invente
Odile alors serait vivante
Et, dans ce cas-là, Caï ment.

Un autre ami d’Odile, Alligue
Pour faire croire à cette mort
Se démène, paye et intrigue
D’aucuns disent qu’Alligue à tort.


Retour à la page “Les plus beaux poèmes de la langue française”